Discours de Benoît XVI aux évêques français en visite ad limina, 30 novembre
Monsieur le Cardinal, chers frères dans l’épiscopat, Je garde toujours vivant
le souvenir de mon Voyage apostolique en France à l’occasion des célébrations marquant
le cent cinquantième anniversaire des apparitions à Lourdes de l’Immaculée Conception.
Vous êtes le dernier des trois groupes d’Évêques de France venus en visite ad limina.
Je vous remercie, Éminence, pour vos aimables paroles. En m’adressant à vos prédécesseurs,
j’ai ouvert comme un triptyque dont l’indispensable prédelle pourrait être le discours
que je vous avais adressé à Lourdes en 2008. L’examen de cet ensemble indissociable
vous sera certainement d’utilité, et guidera vos réflexions. Vous êtes en charge
de régions où la foi chrétienne a très tôt pris racine et porté des fruits admirables.
Des régions liées à des noms illustres qui ont tant travaillé pour l’enracinement
et l’épanouissement du Royaume de Dieu dans ce monde ; les martyrs tels que Pothin
et Blandine, de grands théologiens comme Irénée et Vincent de Lérins, des maîtres
de la spiritualité chrétienne comme Bruno, Bernard, François de Sales, et tant d’autres.
L’Église en France s’inscrit dans une longue lignée de saints, de docteurs, de martyrs
et de confesseurs de la foi. Vous êtes les héritiers d’une grande expérience humaine
et d’une immense richesse spirituelle. Elles sont donc pour vous, sans aucun doute,
source d’inspiration dans votre mission de pasteurs. Ces origines et ce passé glorieux,
toujours présents dans notre pensée et si chers à notre esprit, nous permettent de
nourrir une grande espérance, à la fois solide et hardie, à l’heure de relever les
défis du troisième millénaire et d’écouter les attentes des hommes de notre époque,
auxquelles Dieu seul peut apporter une réponse satisfaisante. La Bonne Nouvelle que
nous sommes chargés d’annoncer aux hommes de tous les temps, de toutes langues et
de toutes cultures, peut se résumer en quelques mots : Dieu, créateur de l’homme,
en son fils Jésus nous fait connaître son amour pour l’humanité : « Dieu est amour
» (cf. 1 Jn), il veut le bonheur de ses créatures, de tous ses enfants. La constitution
pastorale Gaudium et spes (cf. n. 10) a posé les questions clés de l’existence humaine,
sur le sens de la vie et de la mort, du mal, de la maladie et de la souffrance, si
présents dans notre monde. Elle a rappelé que, dans sa bonté paternelle, Dieu a voulu
apporter des réponses à toutes ces questions et que le Christ a fondé son Église pour
que tous les hommes puissent les connaître. C’est pourquoi, l’un des plus graves problèmes
de notre époque est celui de l’ignorance pratique religieuse dans laquelle vivent
beaucoup d’hommes et de femmes, y compris des fidèles catholiques (cf. Exhort. apost.
Christifideles laici, ch. V). C’est pour cette raison que la nouvelle évangélisation,
dans laquelle l’Église s’est résolument engagée depuis le concile Vatican II et dont
le Motu proprio « Ubicumque et semper » a tracé les principales modalités, se présente
avec une urgence particulière comme l’ont souligné les Pères du Synode qui vient de
s’achever. Elle demande à tous les chrétiens de « rendre compte de l’espérance qui
les habite » (1 P 3, 15), consciente que l’un des obstacles les plus redoutables de
notre mission pastorale est l’ignorance du contenu de la foi. Il s’agit en réalité
d’une double ignorance : une méconnaissance de la personne de Jésus-Christ et une
ignorance de la sublimité de ses enseignements, de leur valeur universelle et permanente
dans la quête du sens de la vie et du bonheur. Cette ignorance produit en outre dans
les nouvelles générations l’incapacité de comprendre l’histoire et de se sentir héritier
de cette tradition qui a façonné la vie, la société, l’art et la culture européenne. En
cette Année de la foi, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a donné, dans la
note du 6 janvier 2012, les indications pastorales souhaitables pour mobiliser toutes
les énergies de l’Église, l’action de ses pasteurs et de ses fidèles, en vue de l’animation
en profondeur de la société. C’est l’Esprit Saint qui, par « la vigueur de l’Évangile,
assure la jeunesse de l’Église et la renouvelle sans cesse » (Lumen gentium, n. 4).
Cette note rappelle que « chaque initiative prise pour l’Année de la foi veut favoriser
la redécouverte joyeuse et le renouvellement du témoignage de la foi pour que cette
Année soit une occasion privilégiée de partager ce que le chrétien a de plus cher
: le Christ Jésus, Rédempteur de l’homme, Roi de l’univers, « principe et terme de
la foi » (He 12, 2) ». Le Synode des Évêques proposait récemment à tous et à chacun,
les moyens pour mener à bon port cette mission. L’exemple de notre divin Maître est
toujours le fondement de toute notre réflexion et de notre action. Prière et action,
tels sont les moyens que notre Sauveur nous demande encore et toujours d’employer. La
nouvelle évangélisation sera efficace si elle engage en profondeur les communautés
et les paroisses. Les signes de vitalité et l’engagement des fidèles laïcs dans la
société française sont déjà une réalité encourageante. Nombreux sont dans le passé
les engagements des laïcs, je pense à Pauline-Marie Jaricot, dont nous avons célébré
le 150e anniversaire de la mort, et à son œuvre de la Propagation de la
foi, si déterminante pour les missions catholiques au XIXe et au XXe
siècles. Les laïcs, avec leurs évêques et les prêtres, sont protagonistes dans la
vie de l’Église et dans sa mission d’évangélisation. Dans plusieurs de ses documents
(Lumen gentium, Apostolicam actuositatem, entre autres), le Concile Vatican II a souligné
la spécificité de leur mission : imprégner les réalités humaines de l’esprit de l’Évangile.
Les laïcs sont le visage du monde dans l’Église et en même temps le visage de l’Église
dans le monde. Je connais la valeur et la qualité de l’apostolat multiforme des laïcs,
hommes et femmes. J’associe ma voix à la vôtre pour leur exprimer mes sentiments d’appréciation. L’Église
en Europe et en France ne peut rester indifférente face à la diminution des vocations
et des ordinations sacerdotales, non plus que des autres genres d’appel que Dieu suscite
dans l’Église. Il est urgent de mobiliser toutes les énergies disponibles, pour que
les jeunes puissent écouter la voix du Seigneur. Dieu appelle qui il veut et quand
il veut. Cependant, les familles chrétiennes et les communautés ferventes demeurent
des terrains particulièrement favorables. Ces familles, ces communautés et ces jeunes
se trouvent donc au cœur de toute initiative d’évangélisation, malgré un contexte
culturel et social marqué par le relativisme et l’hédonisme. La jeunesse étant
l’espoir et l’avenir de l’Église et du monde, je ne veux pas omettre de mentionner
l’importance de l’éducation catholique. Elle accomplit une tâche admirable, souvent
difficile, rendue possible par le dévouement inlassable de formateurs : prêtres, personnes
consacrées ou laïcs. Au-delà du savoir transmis, le témoignage de vie des formateurs
doit permettre aux jeunes d’assimiler les valeurs humaines et chrétiennes afin de
tendre à la recherche et à l’amour du vrai et du beau (cf. Gaudium et spes, n. 15).
Continuez de les encourager et de leur ouvrir de nouvelles perspectives pour qu’ils
bénéficient aussi de l’évangélisation. Les Instituts catholiques sont évidemment au
premier poste du grand dialogue entre la foi et la culture. L’amour de la vérité qui
y rayonne est en lui-même évangélisateur. Ce sont des lieux d’enseignement et de dialogue,
et aussi des centres de recherche, qui doivent toujours être plus développés, plus
ambitieux. Je connais bien la contribution que l’Église en France a apportée à la
culture chrétienne. Je sais votre attention – et je vous encourage dans ce sens –
à cultiver la rigueur académique et à tisser des liens plus intenses de communication
et de collaboration avec des universités d’autres pays, tantôt pour les faire bénéficier
de vos propres excellences, tantôt pour apprendre d’elles, afin de toujours mieux
servir l’Église, la société, l’homme tout entier. Je souligne avec gratitude les initiatives
prises, dans certains de vos diocèses, pour favoriser l’initiation théologique de
jeunes étudiants en disciplines profanes. La théologie est une source de sagesse,
de joie, d’émerveillement qui ne peut être réservée aux seuls séminaristes, prêtres
et personnes consacrées. Proposée à de nombreux jeunes et adultes, elle les confortera
dans leur foi, et fera d’eux, à n’en pas douter, des apôtres audacieux et convaincants.
C’est donc une perspective qui pourrait être proposée largement aux Instituts supérieurs
de théologie, comme expression de la dimension intrinsèquement missionnaire de la
théologie, et comme service de la culture dans son sens le plus profond. Quant
aux écoles catholiques qui ont façonné la vie chrétienne et culturelle de votre pays,
elles ont aujourd’hui une responsabilité historique. Lieux de transmission du savoir
et de formation de la personne, d’accueil inconditionnel et d’apprentissage de la
vie en commun, elles bénéficient souvent d’un prestige mérité. Trouver les chemins
pour que la transmission de la foi demeure au centre de leur projet éducatif, est
nécessaire. La nouvelle évangélisation passe par ces écoles et par l’œuvre multiforme
de l’éducation catholique qui sous-tend de nombreuses initiatives et mouvements dont
l’Église est reconnaissante. L’éducation aux valeurs chrétiennes donne les clés de
la culture de votre pays. En ouvrant à l’espérance et à la liberté authentique, elle
continuera de lui apporter dynamisme et créativité. L’ardeur apportée à la nouvelle
évangélisation sera notre meilleure contribution à l’épanouissement de la société
humaine et la meilleure réponse aux défis de toute sorte qui se posent à tous en ce
début du troisième millénaire. Chers frères dans l’épiscopat, je vous confie,
ainsi que votre travail pastoral et l’ensemble des communautés dont vous avez la charge,
à la sollicitude maternelle de la Vierge Marie qui vous accompagnera dans votre mission
au cours des années à venir ! Et comme je l’ai affirmé avant de laisser la France
en 2008 : « De Rome, je vous resterai proche et lorsque je m'arrêterai devant la réplique
de la grotte de Lourdes, qui se trouve dans les jardins du Vatican depuis un peu plus
d'un siècle, je penserai à vous. Que Dieu vous bénisse ! »