Dossier : un médecin au coeur de la guerre en Syrie
Jacques Bérès est ce qu’on peut appeler un vétéran, un baroudeur. Mais pour la bonne
cause. Chirurgien humanitaire, co-fondateur de Médecins sans frontières, Bérès est
intervenu notamment au Vietnam, en Libye l’année dernière, et en Syrie. De retour
d’une mission de quinze jours à Alep, -sa troisième en territoire syrien depuis le
début du conflit-, où il officiait dans un hôpital de la « zone libérée », il raconte.
Des
djihadistes aux côtés des rebelles
Cette mission diffère des
précédentes, à plusieurs niveaux. Jacques Bérès a en effet travaillé cette fois dans
un « vrai hôpital », pourvu de trois salles d’opération, de personnel plus ou moins
qualifié et du matériel adéquat… ce qui n’était pas le cas auparavant.
Autre
différence : la proximité de la ligne de front. Les blessés dont le chirurgien a s’est
occupé étaient donc en très grande majorité des combattants de l’armée syrienne libre.
Les civils, note-t-il, étaient calfeutrés chez eux, « rideaux de fer tirés » ; « à
moins d’un tir ou d’un bombardement direct chez eux, ils étaient relativement à l’abri
».
« Et parmi ces combattants, révèle Bérès, il y avait un nombre, enfin, une
proportion non négligeable de dhijadistes ». Des combattants étrangers, « qui avaient
le bandeau vert ou noir, avec les versets du Coran », avec « le look salafiste »,
soit la moustache rasée et le collier de barbe. Venus du Mali, de Somalie, et d’autres
pays arabes, ces combattants affirment certes, vouloir renverser le régime baassiste,
mais parlent surtout de l’après-Assad, et de l’installation du Califat mondial. «
J’ai vu un rouquin avec un accent londonien », raconte Bérès, « et aussi deux Français
». Peu loquaces, et assez méfiants, l’un deux, soigné par Bérès, lui a pourtant confié
ses motivations : combattre Bachar Al-Assad, jusqu’à son départ, puis instaurer la
Charia. « Il disait tout cela avec une voix très douce, très posée, les yeux illuminés….
C’était très impressionnant ».
Alep en situation de guerre
Certains
témoignages parlent d’une crise alimentaire en Syrie, notamment à Alep, la plus grande
ville du pays, située au nord. Bérès affirme ne pas en avoir connaissance. Il décrit
cependant une guerre totale dans la ville, avec des combats violents, des quartiers
détruits, des massacres de civils, bombardés par des avions de l’armée régulière,
tandis qu’ils attendaient devant une boulangerie.
Le vétéran de 71 ans, qui
a connu le Vietnam et la Libye, affirme n’avoir jamais connu une telle barbarie. «
C’est un régime criminel », passé maître dans l’art de la perversion, rompu à la torture,
aux enlèvements. Les avions de l’armée régulière bombardent les marchés, les hôpitaux
clandestins, les pharmacies : « les habitants atteints d’une maladie chronique ne
peuvent plus se soigner »…
« C’est une honte ! »
Jacques
Bérès laisse exploser sa colère, lorsqu’on lui parle de la communauté internationale,
et plus précisément de l’actuelle 67e Assemblée générale de l’ONU : «
il n’y a aucune session extraordinaire sur la Syrie ! C’est terrorisant ! C’est une
honte ! »,s’insurge-t-il. Et de prédire « si un régime salafiste vient à se mettre
en place en Syrie, les occidentaux ne devront s’en prendre qu’à eux-mêmes ».
Arrêté
à la frontière turque
Le chirurgien, quittant la Syrie, a choisi de
passer par la Turquie. Il raconte que la frontière a été inondée, à dessein, par les
militaires turcs à la frontière : « avec mon guide, on pataugeait dans 15 cm d’eau
». Arrêtés par les militaires, Bérès a ainsi passé 20 heures d’interrogatoire, avant
de recevoir une amende de 500 euros (soit 1000 livres turques) pour passage illégal
de la frontière, et un avertissement.
Le témoignage de Jacques Bérès, interrogé
par Manuella Affejee :