Discours prononcé par Benoît XVI, le 15 septembre à Beyrouth, devant les membres
du Gouvernement libanais, des Institutions de la République, le corps diplomatique,
les chefs religieux et les représentants du monde de la culture, au palais présidentiel
de Baabda
Monsieur le Président de la République, Mesdames et Messieurs
les représentants des Autorités parlementaires, gouvernementales, institutionnelles
et politiques du Liban, Mesdames et Messieurs les Chefs de mission diplomatique, Béatitudes,
Responsables religieux, chers frères dans l’Épiscopat, Mesdames, Messieurs, chers
amis,
سَلامي أُعطيكُم [« Je vous donne ma paix »] (Jn 14, 27) ! C’est avec
cette parole du Christ Jésus que je désire vous saluer et vous remercier de votre
accueil et de votre présence. Je vous remercie, Monsieur le Président, non seulement
pour vos paroles cordiales mais aussi pour avoir permis cette rencontre. Avec vous,
je viens de planter un cèdre du Liban, symbole de votre beau pays. En voyant cet arbrisseau
et les soins qu’il demandera pour se fortifier jusqu’à étendre ses branches majestueuses,
j’ai pensé à votre pays et à sa destinée, aux Libanais et à leurs espérances, à toutes
les personnes de cette Région du monde qui semble connaître les douleurs d’un enfantement
sans fin. J’ai alors demandé à Dieu de vous bénir, de bénir le Liban et de bénir tous
les habitants de cette Région qui a vu naître de grandes religions et de nobles cultures.
Pourquoi Dieu a-t-il choisi cette Région ? Pourquoi vit-elle dans la tourmente ? Dieu
l’a choisie, me semble-t-il, afin qu’elle soit exemplaire, afin qu’elle témoigne à
la face du monde la possibilité qu’a l’homme de vivre concrètement son désir de paix
et de réconciliation ! Cette aspiration est inscrite depuis toujours dans le plan
de Dieu, qui l’a imprimée dans le cœur de l’homme. C’est de la paix que je désire
vous entretenir car Jésus a dit : سَلامي أُعطيكُم [« Je vous donne ma paix »] . Un
pays est avant tout riche des personnes qui vivent en son sein. De chacune d’elles
et de toutes ensemble dépend son avenir et sa capacité à s’engager pour la paix. Un
tel engagement ne sera possible que dans une société unie. Cependant, l’unité n’est
pas l’uniformité. La cohésion de la société est assurée par le respect constant de
la dignité de chaque personne et la participation responsable de chacune selon ses
capacités en engageant ce qu’il y a de meilleur en elle. Afin d’assurer le dynamisme
nécessaire pour construire et consolider la paix, il faut inlassablement revenir aux
fondements de l’être humain. La dignité de l’homme est inséparable du caractère sacré
de la vie donnée par le Créateur. Dans le dessein de Dieu, chaque personne est unique
et irremplaçable. Elle vient au monde dans une famille, qui est son premier lieu d’humanisation,
et surtout la première éducatrice à la paix. Pour construire la paix, notre attention
doit donc se porter vers la famille afin de faciliter sa tâche, pour ainsi la soutenir
et donc promouvoir partout une culture de la vie. L’efficacité de l’engagement pour
la paix dépend de la conception que le monde peut avoir de la vie humaine. Si nous
voulons la paix, défendons la vie ! Cette logique disqualifie non seulement la guerre
et les actes terroristes, mais aussi toute atteinte à la vie de l’être humain, créature
voulue par Dieu. L’indifférence ou la négation de ce qui constitue la véritable nature
de l’homme empêchent le respect de cette grammaire qu’est la loi naturelle inscrite
dans le cœur humain (cf. Message pour la Journée mondiale de la paix 2007, n. 3).
La grandeur et la raison d’être de toute personne ne se trouvent qu’en Dieu. Ainsi,
la reconnaissance inconditionnelle de la dignité de tout être humain, de chacun de
nous, et celle du caractère sacré de la vie impliquent la responsabilité de tous devant
Dieu. Nous devons donc unir nos efforts pour développer une saine anthropologie qui
intègre l’unité de la personne. Sans elle, il n’est pas possible de construire la
paix véritable. Pour être plus évidentes dans les pays qui connaissent des conflits
armés - ces guerres pleines de vanités et d’horreurs -, les atteintes à l’intégrité
et à la vie des personnes existent aussi dans d’autres pays. Le chômage, la pauvreté,
la corruption, les diverses addictions, l’exploitation, les trafics de toutes sortes
et le terrorisme entraînent, avec la souffrance inacceptable de ceux qui en sont victimes,
un affaiblissement du potentiel humain. La logique économique et financière veut sans
cesse nous imposer son joug et faire primer l’avoir sur l’être ! Mais la perte de
chaque vie humaine est une perte pour l’humanité entière. Celle-ci est une grande
famille dont nous sommes tous responsables. Certaines idéologies, en remettant en
cause de façon directe ou indirecte, ou même légale, la valeur inaliénable de toute
personne et le fondement naturel de la famille, sapent les bases de la société. Nous
devons être conscients de ces atteintes à l’édification et à l’harmonie du vivre ensemble.
Seule une solidarité effective constitue l’antidote à tout cela. Solidarité pour rejeter
ce qui fait obstacle au respect de tout être humain, solidarité pour soutenir les
politiques et les initiatives qui œuvrent en vue d’unir les peuples de façon honnête
et juste. Il est beau de voir les actions de collaboration et de vrai dialogue qui
construisent une nouvelle manière de vivre ensemble. Une meilleure qualité de vie
et de développement intégral n’est possible que dans le partage des richesses et des
compétences, en respectant l’identité de chacun. Mais un tel mode de vie convivial,
serein et dynamique ne peut exister sans la confiance en l’autre, quel qu’il soit.
Aujourd’hui, les différences culturelles, sociales, religieuses, doivent aboutir à
vivre un nouveau type de fraternité, où justement ce qui unit est le sens commun de
la grandeur de toute personne, et le don qu’elle est à elle-même, aux autres et à
l’humanité. Là se trouve la voie de la paix ! Là est l’engagement qui nous est demandé
! Là est l’orientation qui doit présider aux choix politiques et économiques, à chaque
niveau et à l’échelle planétaire ! Pour ouvrir aux générations de demain un avenir
de paix, la première tâche est donc celle d’éduquer à la paix pour construire une
culture de paix. L’éducation, dans la famille ou à l’école, doit être avant tout l’éducation
aux valeurs spirituelles qui donnent à la transmission du savoir et des traditions
d’une culture, leur sens et leur force. L’esprit humain a le goût inné du beau, du
bien et du vrai. C’est le sceau du divin, la marque de Dieu en lui ! De cette aspiration
universelle découle une conception morale ferme et juste, qui place toujours la personne
au centre. Mais c’est seulement librement que l’homme peut se tourner vers le bien,
car « la dignité de l’homme exige de lui qu’il agisse selon un choix conscient et
libre, personnellement, c’est-à-dire mû et déterminé de l’intérieur, et non sous l’effet
de poussées intérieures aveugles ou d’une contrainte purement extérieure » (Gaudium
et spes, 17). La tâche de l’éducation est d’accompagner la maturation de la capacité
à faire des choix libres et justes, qui peuvent aller à contre-courant des opinions
répandues, des modes, des idéologies politiques et religieuses. L’établissement d’une
culture de paix est à ce prix ! Il faut évidemment bannir la violence verbale ou physique.
Elle est toujours une atteinte à la dignité humaine, celle de l’auteur comme celle
de la victime. Par ailleurs, en valorisant les œuvres pacifiques et leur rayonnement
pour le bien commun, on crée aussi l’intérêt pour la paix. Comme en témoigne l’histoire,
de tels gestes de paix ont un rôle considérable dans la vie sociale, nationale et
internationale. L’éducation à la paix formera ainsi des hommes et des femmes généreux
et droits, attentifs à tous, et particulièrement aux personnes les plus faibles. Pensées
de paix, paroles de paix et gestes de paix créent une atmosphère de respect, d’honnêteté
et de cordialité, où les fautes et les offenses peuvent être reconnues en vérité pour
avancer ensemble vers la réconciliation. Que les hommes d’État et les responsables
religieux y réfléchissent ! Nous devons être bien conscients que le mal n’est
pas une force anonyme qui agit dans le monde de façon impersonnelle ou déterministe.
Le mal, le démon, passe par la liberté humaine, par l’usage de notre liberté. Il cherche
un allié, l’homme. Le mal a besoin de lui pour se déployer. C’est ainsi qu’ayant offensé
le 1er commandement, l’amour de Dieu, il en vient à pervertir le second,
l’amour du prochain. Avec lui, l’amour du prochain disparaît au profit du mensonge
et de l’envie, de la haine et de la mort. Mais il est possible de ne pas se laisser
vaincre par le mal et d’être vainqueur du mal par le bien (cf. Rm 12, 21). C’est à
cette conversion du cœur que nous sommes appelés. Sans elle, les ‘libérations’ humaines
si désirées déçoivent car elles se meuvent dans l’espace réduit concédé par l’étroitesse
d’esprit de l’homme, sa dureté, ses intolérances, ses favoritismes, ses désirs de
revanche et ses pulsions de mort. La transformation en profondeur de l’esprit et du
cœur est nécessaire pour retrouver une certaine clairvoyance et une certaine impartialité,
le sens profond de la justice et celui du bien commun. Un regard nouveau et plus libre
rendra capable d’analyser et de remettre en cause des systèmes humains qui conduisent
à des impasses, afin d’avancer en tenant compte du passé pour ne plus le répéter avec
ses effets dévastateurs. Cette conversion demandée est exaltante car elle ouvre des
possibilités en faisant appel aux ressources innombrables qui habitent le cœur de
tant d’hommes et de femmes désireux de vivre en paix et prêts à s’engager pour la
paix. Or elle est particulièrement exigeante : il s’agit de dire non à la vengeance,
de reconnaître ses torts, d’accepter les excuses sans les rechercher, et enfin de
pardonner. Car seul le pardon donné et reçu pose les fondements durables de la réconciliation
et de la paix pour tous (cf. Rm 12, 16b. 18). Alors seulement peut croître la
bonne entente entre les cultures et les religions, la considération sans condescendance
des unes pour les autres et le respect des droits de chacune. Au Liban, la Chrétienté
et l’Islam habitent le même espace depuis des siècles. Il n’est pas rare de voir dans
la même famille les deux religions. Si dans une même famille cela est possible, pourquoi
cela ne le serait-il pas au niveau de l’ensemble de la société ? La spécificité du
Moyen-Orient se trouve dans le mélange séculaire de composantes diverses. Certes,
elles se sont combattues, hélas aussi ! Une société plurielle n’existe qu’à cause
du respect réciproque, du désir de connaître l’autre et du dialogue continu. Ce dialogue
entre les hommes n’est possible que dans la conscience qu’il existe des valeurs communes
à toutes les grandes cultures, parce qu’elles sont enracinées dans la nature de la
personne humaine. Ces valeurs qui sont comme un substrat, expriment les traits authentiques
et caractéristiques de l’humanité. Elles appartiennent aux droits de tout être humain.
Dans l’affirmation de leur existence, les différentes religions apportent une contribution
décisive. N’oublions pas que la liberté religieuse est le droit fondamental dont dépendent
beaucoup d’autres. Professer et vivre librement sa religion sans mettre en danger
sa vie et sa liberté doit être possible à quiconque. La perte ou l’affaiblissement
de cette liberté prive la personne du droit sacré à une vie intègre sur le plan spirituel.
La soi-disant tolérance n’élimine pas les discriminations, parfois elle les conforte
même. Et sans l’ouverture au transcendant qui permet de trouver des réponses aux interrogations
de son cœur sur le sens de la vie et sur la manière de vivre de façon morale, l’homme
devient incapable d’agir selon la justice et de s’engager pour la paix. La liberté
religieuse a une dimension sociale et politique indispensable à la paix ! Elle promeut
une coexistence et une vie harmonieuses par l’engagement commun au service de nobles
causes et par la recherche de la vérité qui ne s’impose pas par la violence mais par
« la force de la vérité elle-même » (Dignitatis humanae, 1), cette Vérité qui est
en Dieu. Car la croyance vécue conduit invariablement à l’amour. La croyance authentique
ne peut pas conduire à la mort. L’artisan de paix est humble et juste. Les croyants
ont donc aujourd’hui un rôle essentiel, celui de témoigner de la paix qui vient de
Dieu et qui est un don fait à tous dans la vie personnelle, familiale, sociale, politique
et économique (cf. Mt 5, 9 ; He 12, 14). L’inaction des hommes de bien ne doit pas
permettre au mal de triompher. Il est pire encore de ne rien faire. Ces quelques
réflexions sur la paix, la société, la dignité de la personne, sur les valeurs de
la famille et de la vie, sur le dialogue et la solidarité ne peuvent demeurer de simples
idéaux énoncés. Ils peuvent et doivent être vécus. Nous sommes au Liban et c’est ici
qu’ils doivent être vécus. Le Liban est appelé, maintenant plus que jamais, à être
un exemple. Politiques, diplomates, religieux, hommes et femmes du monde de la culture,
je vous invite donc à témoigner avec courage, à temps et à contretemps autour de vous,
que Dieu veut la paix, que Dieu nous confie la paix. سَلامي أُعطيكُم [« Je vous donne
ma paix »] (Jn 14, 27) nous dit le Christ ! Que Dieu vous bénisse ! Merci !