Un Patriarche invite les chrétiens arabes à ne pas se replier sur eux-mêmes
Alep, poumon économique de la Syrie, était mercredi en proie pour le sixième jour
consécutif à de violents combats entre rebelles et forces du régime, ces dernières
ayant lancé à Damas une offensive contre l'une des dernières poches de résistance
rebelle de la capitale. Les chaînes d'information arabes Al-Jazeera et Al-Arabiya
ont annoncé mardi soir la défection de la diplomate syrienne à Chypre. Le 11 juillet,
l'ambassadeur de Syrie en Irak, Nawaf Farès, avait quitté son poste et trouvé refuge
au Qatar. Tandis que deux généraux de brigade syriens ont franchi mardi la frontière
pour se réfugier en Turquie, ce qui porte à 27 le nombre de généraux syriens déserteurs
accueillis sur le sol turc. Dans la région, la coexistence pacifique entre communautés
chrétiennes et musulmanes et l’exode des minorités chrétiennes suscite une inquiétude
croissante en raison des retombées possibles de la crise syrienne. Interrogé sur notre
antenne, à l'occasion de son passage à Rome, le Patriarche catholique arménien de
Cilicie, qui réside à Beyrouth a expliqué les craintes des chrétiens face à l'avancée
de l'Islam extrémiste. Sa Béatitude Nerses Bedros XIX a toutefois reconnu qu'il était
temps de sortir des régimes militaires autoritaires et il a invité les chrétiens à
ne pas se montrer moins patriotes que leurs concitoyens musulmans et à ne pas recourir
aux Etats puissants, soi-disant chrétiens ou civilisés, pour s'assurer une protection,
car ces Etats font fi de la religion et ne cherchent que leurs propres intérêts.
Ci-dessous,
la transcription de l'entretien que le Patriarche a accordé à notre confrère de la
rédaction arménienne Robert Attarian Q.1- Face aux situations difficiles qui
secouent le monde arabe de nos jours, quel souhait adressez-vous aux peuples arabes
et spécialement aux communautés chrétiennes ?
R.1- Depuis un an et demi, le
monde arabe est en pleine effervescence. A commencer par la Tunisie, suivie par l’Egypte,
la Libye et le Yémen, c’est le tour de la Syrie, qui est toujours en état de conflit,
qui cause chaque jour une centaine de morts environ. La situation est déplorable
surtout pour les victimes innocentes, qui en payent le prix : les morts, les blessés
et les familles qui fuient les lieux de combat pour le Liban, la Jordanie, l’Irak
et la Turquie. Cette situation se répercute sur les communautés chrétiennes d’une
manière spéciale, qui sont numériquement minoritaires et qui craignent que l’avance
de l’Islam extrémiste, une fois au pouvoir, ne respecte pas leurs droits civiques
et religieux. Pourtant, l’on ne peut ignorer qu’il est temps de sortir des régimes
militaires autoritaires, qui durent depuis plusieurs décennies, pour fonder enfin
des régimes plus justes et plus humains. Le changement ne peut être ni rapide, ni
parfait. C’est pourquoi, il faudrait joindre à la patience le sens de la citoyenneté,
où l’on sacrifie le bien personnel au profit du bien commun et où l’on rejette tout
ce qui est taché de corruption, qui rend riches certains et opprime les plus faibles. Devant
cette situation de transition, les chrétiens ne devraient pas se dissocier de ces
principes pour sauvegarder des droits propres ou se rendre partenaires des plus forts.
Le sens de citoyenneté doit prévaloir, où tous les citoyens jouiraient des mêmes droits. La
conscience, éclairée par la prière, aide à faire de bons choix et à éviter les partialités.
Il s’agit de démontrer que les chrétiens ne sont pas moins patriotes que leurs concitoyens
musulmans. Il ne faudrait surtout pas recourir aux états puissants pour s’assurer
une couverture. Les pays puissants font fi de la religion et ne cherchent que leurs
propres intérêts. En politique, il n’y a malheureusement ni éthique, ni justice ;
ce qui compte c’est uniquement l’intérêt personnel. Pour cela, il faudrait collaborer
avec les personnes honnêtes et de bonne volonté, avec les personnes compétentes et
dotées de sagesse, sans égard à leur croyance, à leur choix politique ou à leur esprit
de partisanat. Je répète, il faut beaucoup de patience, de sagesse et de justice,
afin que personne ne soit lésé dans ses droits fondamentaux.
Q.2- a) D’après
vous, quels sont les plus grands dangers qui pourraient nuire à la présence chrétienne
au Moyen-Orient ? b) Quelle est l’importance de la collaboration des chrétiens
moyen-orientaux avec leurs compatriotes musulmans ?
R.2- a) Les dangers peuvent
provenir des 2 directions : des chrétiens comme des musulmans. 1. De la part des
chrétiens :
ce serait un danger de se recroqueviller sur soi-même
et d’attendre la fin de la crise, dans une attitude passive ou indifférente. ce
serait dangereux de vouloir former un parti politique à consonance religieuse pour
s’assurer des privilèges. ce serait dangereux aussi de dédaigner leurs compatriotes
musulmans et de chercher le salut auprès des pays soi-disant chrétiens ou civilisés.
2.
De la part des musulmans :
ce serait dangereux de faire prévaloir
la force du nombre sur la force du droit. ce serait dangereux de vouloir imposer
l’Islam par la force ou par la chariah. ce serait dangereux de dédaigner les chrétiens
et de les considérer avoir été favorisés par les régimes précédents, et se venger
d’eux. ce serait dangereux de considérer les chrétiens comme des citoyens de second
rang.
b) Je pense qu’il ne peut y avoir une société vraiment démocratique
que si elle est fondée sur le droit de citoyenneté. Or, ceci requiert la collaboration
de toutes les tranches de la société, qu’elles soient chrétiennes ou musulmanes, majoritaires
ou minoritaires. Même les moins nombreux pourraient apporter leur collaboration
dans la rédaction d’une constitution juste, basée sur le principe de la citoyenneté
et non sur les courants religieux ou politiques. En cela, les chrétiens moyen-orientaux,
même très minoritaires dans certains pays, pourraient porter leur part de compétence
dans tous les domaines essentiels pour la formulation d’une constitution démocratique,
surtout sur les plans juridique, politique, économique et social.
Q.3-
a) Comment concevez-vous la prochaine visite du Pape Benoît XVI au Liban ? b)
Qu’espérez-vous que cette visite puisse apporter aux Chrétiens du Moyen-Orient ?
R.3-
a) La visite du Pape Benoît XVI au Liban est une visite pastorale du Chef de l’Eglise
Catholique aux libanais, mais elle l’est aussi et surtout pour confier aux Patriarches
Orientaux Catholiques l’Exhortation Apostolique concernant le Synode des Evêques du
Moyen-Orient. Le Pape est donc invité par le Président de la République libanaise,
unique pays chrétien parmi les 22 pays arabes, et par l’Assemblée du Patriarches et
des Evêques Catholiques du Liban.
b) Cette visite portera avant tout la joie
aux catholiques du Moyen-Orient, surtout aux libanais. Elle leur rappellera la visite
historique du Bienheureux Jean-Paul II en 1997 à l’occasion du Synode Spécial pour
le Liban, dont l’Exhortation Apostolique a été reçue avec satisfaction par tous les
libanais, y compris les musulmans, qui en citent parfois des paroles comme des principes
déjà admis. Cette visite aura pour but de rappeler aux Catholiques du Moyen-Orient
les 3 buts à poursuivre, indiqués par le synode, à savoir :
la communion entre les Eglises Catholiques.
l’ouverture
aux communautés chrétiennes non-catholiques.
la
collaboration avec les adeptes des religions non-chrétiennes.
Tout
cela dans le but de construire une société où règnent la paix, la justice, la sécurité
et le droit à une vie digne, où règnent la liberté de conscience et une politique
qui respecte les droits de chacun.
Q.4- Comment
se prépare l’Eglise arménienne catholique pour accueillir S.S. le Pape au Liban ?
R.4-
Les Arméniens Catholiques, tout comme les autres catholiques libanais, attendent avec
une grande joie la visite du Pape au Liban du 14 au 16 septembre prochain. Les
Arméniens Catholiques : Patriarche, Evêque, Clergé et laïcs collaborent avec les autres
catholiques libanais aux préparatifs de cette première visite du Pape Benoît XVI.
Ainsi, les Arméniens Catholiques participent aux diverses réunions pour la préparation
de cet événement religieux, en tout premier lieu, et se rendent disponibles pour les
services à accomplir, en plus de leur participation à la prière personnelle et communautaire
préparée pour cette heureuse occasion. Les Arméniens Catholiques collaborent dans
les médias, les préparatifs à la Célébration Eucharistique - qui formera le sommet
de la visite - durant laquelle le S. Père remettra l’Exhortation Apostolique aux
Patriarches Catholiques d’Orient et à laquelle participera plusieurs centaines de
milliers de personnes des divers pays du Moyen-Orient. Mais la joie immense de
l’Eglise Arménienne se concentre surtout autour de la visite du Pape Benoît XVI à
notre Couvent Notre Dame de Bzommar, édifié en 1749, qui est le Siège des Patriarches
de Cilicie et qui comprend aussi l’Institut du Clergé Patriarcal de Bzommar. En effet,
c’est la première fois, depuis la Restauration du Patriarcat Arménien Catholique en
1742 par S.S. le Pape Benoît XIV, d’heureuse mémoire, que notre Siège Patriarcal accueillera
un Pape, S.S. Benoît XVI, le samedi 15 septembre, pour présider à 2 événements : Le
premier pour bénir à l’entrée du couvent et en présence de la Hiérarchie arménienne
catholique, des fidèles et de la presse, la Statue Commémorative dédiée au moine arménien
catholique Hagop Méghabarb, le promoteur de l’impression du premier livre imprimé
en arménien il y a juste 500 ans en l’an 1512 à Venise, depuis la découverte de l’imprimerie.
C’est un livre de prières intitulé « le livre du vendredi ». Le deuxième événement
est de présider à un déjeuner préparé en Son honneur pour un centaine de personnes,
qui représentent le Comité accompagnateur du Pape, le Conseil Pontifical du Synode
des Evêques, les Patriarches Catholiques d’Orient et les membres évêques de l’Assemblée
des Patriarches et des Evêques Catholiques du Liban.