Mgr Toso préconise de nouvelles réalités politiques en Italie
Mgr Mario Toso, salésien, ancien professeur universitaire, secrétaire du Conseil pontifical
Justice et Paix, prépare les réflexions du Saint-Siège sur l'énergie en vue de la
Conférence des Nations Unies sur le Développement durable dite « Rio+20 » ou « Rio
2012 ». Avec le document sur l'eau, publié en mars dernier, ce nouveau texte va s'insérer
dans le cadre fixé par le document du dicastère sur la finance globale. En octobre
dernier, le Conseil pontifical Justice et Paix a publié un document intitulé «Réflexions
sur la réforme du système monétaire et financier », qui proposait, entre autres, la
mise en place d'une « Autorité politique mondiale ». Les réactions furent vives, parfois
hostiles, notamment dans les milieux catholiques, certain estimant que ce texte ne
reflètait pas la ligne du Saint-Siège. Mgr Toso ne se laisse décourager pour
autant et poursuit son chemin - explique-t-il dans une interview accordée à Vatican
Insider. Or, ce chemin n'est autre que celui tracé par Benoît XVI dans son encyclique
Caritas in Veritate. Il explique que l'idée d'une autorité politique mondiale
a été mal interprétée, que le terme « autorité » a été confondu avec « pouvoir »,
pouvoir absolu, pouvoir arbitraire. Il regrette que certains rejettent l'idée d'un
contrôle politique dans le domaine économique ou financier . L'Autorité mondiale dont
parle le document, explique-t-il, doit être «construite par des moyens démocratiques
et conçue avant tout comme une force morale et juridique ». Elle ne ne vise nullement
à anéantir les autonomies des États mais à « les renforcer » sur la base de la subsidiarité.
Pour Mgr Toso, cette avalanche de critiques prouve que la question est sensible et
que la situation est grave.
Il y a un an, alors que le gouvernement de Silvio
Berlusconi était secoué par les scandales et la crise, Mgr Toso avait invité les catholiques
engagés en politique à chercher de nouvelles voies et pourquoi pas, à envisager la
création d'un nouveau parti, non confessionnel mais d'inspiration chrétienne. Dans
son interview à Vatican insider, Mgr Toso accepte de commenter la situation italienne.
Il estime que le gouvernement actuel de Mario Monti est une solution dictée par la
nécessité, mais, selon lui, il s'agit d'une solution exceptionnelle qui ne peut durer
à l'infini. Pour le secrétaire du Conseil pontifical Justice et Paix, on ne peut pas
s'attendre à ce que le gouvernement Monti, concentré sur le dossier économique. puisse
résoudre les problèmes politiques de l'Italie. Or sur ce plan, Mgr Toso est pessimiste
: à l'heure actuelle, on ne constate aucune volonté de réforme. Au contraire, les
partis se décomposent. Mgr Toso suggère la création de « nouvelles réalités politiques
» : les partis doivent être refondés, puisqu'il semble bien difficile de les réformer.
Il avertit toutefois que la réforme ou la création de nouveaux partis ne découle pas
simplement d'une nouvelle loi électorale. Il faut dépasser les vieux clivages et construire
du neuf sur la base des principes moraux.
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REFLEXIONS SUR LA
REFORME DU SYSTEME MONETAIRE ET FINANCIER Version française du texte intégral
« les Réflexions de S. E. Mgr. Mario Toso, Secrétaire du Conseil Pontifical « Justice
et Paix », sur la Note « Pour une réforme du système financier et monétaire international
dans la perspective d´une autorité publique à compétence universelle », rédigée par
ce Dicastère.
1. Nature de la déclaration du Conseil pontifical «Justice
et Paix» «Une petite erreur commise au début devient une grande erreur à la fin»
enseigne Aristote.1 Pour commencer, il semble donc utile de réfléchir sur la nature
et sur la vocation de la Note offerte par le Conseil pontifical «Justice et Paix»
à propos de la réforme du système monétaire et financier mondial.2 Puisqu' il
s'agissait de choisir le genre de déclaration sur un thème important et crucial
pour le développement intégral des peuples, il a été concordé avec les organismes
compétents du Saint-Siège de ne pas opter pour l'élaboration d'une Note formellement
adoptée par celui-ci, contrairement à il y a quelques années, lors de la Note sur
la Conférence de l'Assemblée générale des Nations Unies à Doha,3 elle aussi élaborée
par les experts du Conseil pontifical «Justice et Paix». La raison en est que – pour
des motifs évidents - le Saint-Siège n'aurait pas participé au G20 de Cannes qui, comme
on le sait, s'est déroulé du 3 au 4 novembre 2011. Ainsi, la Note devait s'inscrire
dans le cadre de simples réflexions rédigées par le Conseil pontifical, sous la
responsabilité de celui-ci, et selon la compétence caractérisant un Dicastère dont 1
Cf. De coelo et mundo, I, 5, 271b 8-10. 2 Cf. CONSEIL PONTIFICAL «JUSTICE ET PAIX»,
Pour une réforme du système financier et monétaire international dans la perspective
d'une autorité publique à compétence universelle, Typographie Vaticane, Cité du Vatican
2011. 3 Cf. CONSEIL PONTIFICAL «JUSTICE ET PAIX», Un nouveau pacte financier international,
18 novembre 2008. Note sur finance et développement en vue de la Conférence organisée
par l'Assemblée générale des Nations Unies à Doha, Typographie Vaticane, Cité du
Vatican 2009. Avant cela, le Conseil s'était déjà intéressé aux crises financières récurrentes
et à la nécessités de nouvelles institutions et avait publié les textes suivants :
ANTOINE DE SALINSFRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU, Le développement moderne des activités
financières à la lumière des exigences éthiques du christianisme, Typographie Vaticane,
Cité du Vatican 1994; Social and Ethical Aspects of Economics, Actes du Ier Séminaire
d'économistes organisé le 5 novembre 1990 au siège du Conseil Pontifical «Justice
et Paix», Vatican Press, Vatican City 1992; World Development and Economic Institutions,
Actes du IIème Séminaire d'économistes organisé le 4 janvier 1993, Vatican Press,
Vatican City 1994. Ces deux Séminaires ont été possibles grâce à la collaboration
des Prof. Ignazio Musu et Stefano Zamagni, experts du Conseil Pontifical. 2 l'une
des finalités est de diffuser et approfondir la Doctrine sociale de l'Eglise, ainsi que
de contribuer à son expérimentation. Selon certains commentateurs, cela aurait
limité l'importance de la déclaration, comme s'il s'agissait d'une expression marginale
du Saint-Siège. Certes, il faut relever qu'il ne s'agit pas d'un texte signé par
le Souverain Pontife, comme le sont les encycliques ou le Message désormais traditionnel
pour la Journée mondiale de la Paix. Et ce n'est pas non plus, comme on l'a dit
plus haut, un textedocument officiel du Saint-Siège. Il s'agit précisément d'une
Note présentée par un Dicastère du Saint-Siège. Une Note qui, bien que n'ayant
pas été formellement souscrite par d'autres organismes supérieurs, est le fruit
de la pratique caractéristique des documents des Dicastères de la Curie romaine,
qui prévoit une consultation préalable et permanente, ainsi que l'autorisation
des organismes compétents du Saint-Siège. Cela afin de garantir la spécificité
des rôles, en même temps que l'homogénéité de la pensée. Ceci étant dit, il ne
semble pas inutile de noter aussi que, pour être évalué correctement dans son autorité,
un texte devrait être lu en tenant compte du rôle institutionnel du sujet qui le
rédige. Toutefois, il doit surtout être jugé en vertu de son contenu, de sa cohérence
avec le magistère de l'Eglise, de sa raison et de sa consistance par rapport au
thème qu'il traite. Et c'est à ce niveau que s'est situé le Conseil pontifical,
en élaborant une réflexion en accord avec sa compétence propre - morale et religieuse
– et dans la fidélité à la Doctrine sociale de l'Eglise et au magistère de Benoît
XVI. 3 2. Les raisons de la déclaration et la continuité avec l’encyclique «Caritas
in veritate» L’élaboration d'une Note – qui devait être brève et centrée sur
un unique problème important – avait un but très simple4 : il s'agissait d'offrir
une série de réflexions approfondies, rédigées grâce à la contribution d'experts
internationaux très compétents, et ayant pour objectif de développer l'analyse,
le jugement et la programmation déjà esquissés dans Caritas in veritate (CIV)5
quant à la crise des systèmes monétaires et financiers dans la contexte de la mondialisation. Le
Conseil pontifical y a été poussé en vertu de son engagement institutionnel, mais
aussi de la durée de la crise économique et financière, et de la déclaration d'intention
souscrite par les leaders du G20 célébré en 2009, où il était affirmé : «the economic
crisis demonstrates the importance of ushering in a new era of sustainable global
economic activity grounded in responsibility».6 C'est donc dans une telle perspective
que l'on a voulu recueillir l'appel de Benoît XVI, selon lequel la crise actuelle
: «nous oblige à reconsidérer notre itinéraire, à nous donner de nouvelles règles
et à trouver de nouvelles formes d’engagement, à miser sur les expériences positives
et à rejeter celles qui sont négatives. La crise devient (...) une occasion de
discernement et elle met en capacité d’élaborer de nouveaux projets» (CIV 21). En
outre, l'intention était d'approfondir ce que propose le Souverain Pontife au n° 57
(c'est-à-dire la nécessité d'une Autorité qui gouverne la mondialisation selon le principe
de subsidiarité et de façon polyarchique) et au n° 67 (que nous reportons ici 4
La Note n'entendait pas recenser toutes les causes, mais plutôt analyser surtout celles
de type anthropologique et éthique, avec une attention spéciale à celles de type
idéologique, dans la ligne indiquée par CIV. 5 Cf. BENOIT XVI, Caritas in veritate,
Librairie Editrice Vaticane, Cité du Vatican 2009. 6 Cf. Leaders’ Statement, The
Pittsburgh Summit, September 24-25, 2009; Annex, 1: «La crise économique prouve l'importance
d'entamer une nouvelle ère de l'économie mondiale basée sur la responsabilité». 4 et
qui est omis par certains parce qu'il exprimerait des contenus en contraste avec le paragraphe
précédent) : «Face au développement irrésistible de l’interdépendance mondiale,
et alors que nous sommes en présence d’une récession également mondiale, l’urgence
de la réforme de l’Organisation des Nations Unies comme celle de l’architecture
économique et financière internationale en vue de donner une réalité concrète au
concept de famille des Nations, trouve un large écho. On ressent également fortement
l’urgence de trouver des formes innovantes pour concrétiser le principe de la responsabilité
de protéger et pour accorder aux nations les plus pauvres une voix opérante dans les décisions
communes. Cela est d’autant plus nécessaire pour la recherche d’un ordre politique, juridique
et économique, susceptible d’accroître et d’orienter la collaboration internationale
vers le développement solidaire de tous les peuples. Pour le gouvernement de l’économie
mondiale, pour assainir les économies frappées par la crise, pour prévenir son
aggravation et de plus grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarmement
intégral, pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la
protection de l’environnement et pour réguler les flux migratoires, il est urgent
que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale telle qu’elle
a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, le bienheureux Jean XXIII. Une telle Autorité devra
être réglée par le droit, se conformer de manière cohérente aux principes de subsidiarité
et de solidarité, être ordonnée à la réalisation du bien commun, s’engager pour
la promotion d’un authentique développement humain intégral qui s’inspire des valeurs
de l’amour et de la vérité. Cette Autorité devra en outre être reconnue par tous,
jouir d’un pouvoir effectif pour assurer à chacun la sécurité, le respect de la
justice et des droits. Elle devra évidemment posséder la faculté de faire respecter
ses décisions par les différentes parties, ainsi que les mesures coordonnées adoptées
par les divers forums internationaux. En l’absence de ces conditions, le droit international, malgré
les grands progrès accomplis dans divers domaines, risquerait en fait d’être conditionné
par les équilibres de pouvoir entre les plus puissants. Le développement intégral
des peuples et la collaboration internationale exigent que soit institué un degré
supérieur d’organisation à l’échelle internationale de type subsidiaire pour la
gouvernance de la mondialisation et que soit finalement mis en place un ordre social
conforme à l’ordre moral et au lien entre les sphères morale et sociale, entre
le politique et la sphère économique et civile que prévoyait déjà le Statut des Nations
Unies». A l'intention de ceux qui entendent approfondir le sens des affirmations
de la Doctrine sociale de l'Eglise, qu'il soit permis d'observer qu'à propos du
concept d'autorité politique il est impossible d'extraire du corpus du magistère
social une 5 seule affirmation ou un seul paragraphe des encycliques. Dans le
cas présent, le numéro 57 de CIV, qui a été mis en relief par certains journalistes
et commentateurs, doit être lu et interprété en liaison avec le numéro 67 de la
même encyclique. Et ce n'est pas tout. En outre, ces deux numéros doivent être
mis en rapport avec Mater et magistra et Pacem in terris auxquelles CIV se rattache,
ainsi que le suggère le passage rapporté ci-dessus, dans le but de relancer la
perspective d'une Autorité politique mondiale. 3. La constitution d'une Autorité
politique mondiale, l’angle de l’approche, les raisons du bien commun et de la
justice sociale. CIV, dont le thème central est donné par le développement intégral
dans le contexte de la mondialisation, énumère une série de raisons de type moral
plus que «technocratique» qui, pour finir, postulent la constitution d'une Autorité
politique mondiale. Comme il ressort du numéro 67 reporté plus haut, celle-ci doit
être comprise au sens déjà indiqué par Jean XXIII dans Pacem in terris. C'est-à-dire
non comme une simple governance, une sorte d'autoréglementation du secteur monétaire et
financier, ou d'une réglementation fruit de la collaboration spontanée entre les principaux
Etats, conformément à ce que certains exégètes improvisés des textes du Magistère
social ont voulu nous faire croire. Et non plus dans le sens d'une super puissance
technocratique et monocratique ; mais bien dans le sens d'une force morale, d'un
principe unifiant et coordinateur supérieur ayant la faculté d'exercer le commandement
suivant la raison, mais aussi d'être coercitif, en vertu d'un ordre moral et juridique
auquel il s'efforce de s'adapter toujours plus afin de le traduire dans des décisions
concrètes, indispensables pour réaliser le bien commun. Tel est le sens de l'expression
"Autorité politique mondiale" à laquelle se réfère CIV. Mais revenons-en à la série
de raisons énumérées dans CIV pour justifier la constitution d'une telle Autorité.
Si on relit la totalité de l'encyclique, la liste du numéro 67 pourrait s'allonger
avec la référence au taux élevé de chômage, à la priorité du travail pour tous,
aux objectifs du dépassement de la pauvreté et de la 6 faim, à l'urgence d'une
green economy et de l'universalisation d'une welfare society. Il est pris acte
des contenus actuels du bien commun mondial de la famille des peuples de la terre
et des exigences morales qui en découlent. Ce sont justement ces exigences - dont
l'importance est accrue par le contexte de la mondialisation – qui postulent la promotion
d'Institutions politiques et économiques qui, en dépassant les nationalismes, sont
véritablement supranationales. Autrement dit, l'émergence toujours plus évidente
de biens collectifs mondiaux qui, par de nouveaux contenus, alimentent le bien
commun de toute l'humanité – les souverainetés nationales individuellement n'étant
pas en situation de le garantir et de le promouvoir, ni seules ni en formant des
groupes spontanés - postulent une Autorité de dimension adéquate, qui dispose donc
de nouveaux organismes, de nouvelles structures et de nouveaux agents de façon
à pouvoir traduire dans la réalité ces biens collectifs et le bien commun mondial.
Dans une telle perspective, dont les racines sont ancrées dans des exigences morales
objectives clairement énoncées dans la Note, l'«autorité» et la «souveraineté»
mondiales ne sont pas des entités absolues, étrangères au bien humain universel.
Leur nouveau profil vient se dessiner non pas simplement comme un ouvrage d'ingénierie
institutionnelle et bureaucratique, mais avant tout sur la base de l'importance
de ces exigences morales, inhérentes à des sujets libres et responsables, qu'il
s'agisse de personnes ou de peuples, qui ont pour but essentiel leur réalisation
au plan humain, caractérisée par la transcendance horizontale et verticale. On
trouve donc dans la Note un lien étroit entre la proposition d'une Autorité politique
mondiale et le bien commun, vu, certes, comme l'ensemble des conditions sociales
permettant aux individus, aux familles et aux peuples de se réaliser pleinement
sur le plan humain. A ce point, et à propos des conditions sociales, il vient spontanément
à l'esprit de souligner que, parmi les raisons sollicitant la constitution d'une
Autorité politique mondiale, on trouve particulièrement celles – d'ailleurs déjà
bien exprimées dans CIV – de la réalisation d'une justice sociale mondiale. 7 La
question de la justice sociale, qui se pose pour les différents problèmes liés aux biens
publics de l'air, de l'eau et de la paix, se pose aussi en référence aux autres biens publics,
ceux constitués par les systèmes économiques, monétaires et financiers. Par exemple,
il y a les questions de justice posées par la libéralisation des marchés, la délocalisation
des entreprises, la libéralisation du mouvement des capitaux qui, grâce aux nouvelles
technologies télématiques, peuvent être transférés immédiatement d'un point à l'autre
du globe, en échappant à toute sorte de contrôle de la part des autorités nationales
; il y aussi des problèmes comme les crises financières périodiques et mondiales,
qui créent des dommages très importants à l'économie réelle et à la croissance,
avec des retombées dévastatrices sur les plus faibles. Il faut prendre acte en
particulier de ce que la question de la justice sociale doit être affrontée et résolue aussi
bien dans le cadre des différents secteurs économiques qu'au plan mondial, et que
les réponses obtenues doivent être proportionnelles à son extension pour ce qui est
du revenu mondial des peuples, aujourd'hui réunis dans une unique communauté. L’activité
financière est une activité humaine et elle a une fonction sociale indispensable
au niveau mondial également. Aussi ne doit-elle pas être laissée à ellemême, sans
aucune intervention qui fournisse discipline et orientation au plan national et
mondial, du fait que, comme le reconnaissent les experts mêmes du secteur, l'autorégulation
ne fonctionne pas toujours.7 En outre, une réflexion sérieuse est nécessaire –
comme celle effectuée en son temps par Quadragesimo anno à l'occasion de l'effondrement
de la bourse de New York en 1929 -, sur le caractère unitaire de l’économie mondiale
et sur la mondialisation de l’économie sociale. A ce propos, nous ne devrions pas
nous lasser de nous poser la question suivante : pour quelle raison, bien que l'on
parle en permanence d'économie mondialisée, n'approfondit-on pas le thème de l'unité
de l'économie mondiale, en mettant en évidence ses implications au plan de la justice
sociale ? Cela est exigé par l'interdépendance toujours plus grande existant dans
les politiques, les facteurs 7 Cf., par exemple, T. PADOA-SCHIOPPA, Regole e finanza.
Contemperare libertà e rischi, Il Mulino, Bologna 2011, p. 97-118. 8 productifs,
les secteurs économiques, l'usage des ressources et les salaires euxmêmes, puisque
la convenance à investir des capitaux là où le coût de la main d'oeuvre est la
plus basse déclenche, à l'échelle mondiale, une concurrence salariale et commerciale
indue. En outre : comment se fait-il, qu'au plan de la destination universelle
des biens matériels, techniques et qualitatifs, et des opportunités sociales et
culturelles, l'urgence de réaliser la justice sociale dans les transactions financières et
commerciales ne soit pas ressentie ? Il est évident qu'il faut être cohérent, lorsqu'on
admet le caractère unitaire de l'économie et de la finance, ainsi que leur fonction
ou utilité sociale, face aussi aux crises récurrentes déterminées par la spéculation
et par l'absolutisation du profit : une nouvelle architecture institutionnelle
et juridique est nécessaire et urgente, une architecture qui puisse – avec des
méthodes démocratiques, c'est-à-dire participatives et subsidiaires – réaliser
la justice sociale dans le cadre du bien commun mondial, pour ce qui est de ses
aspects distributifs et contributifs. Une Autorité politique mondiale est indispensable,
capable de réaliser la justice sociale mondiale, face à la constatation que les
autorités ou les souverainetés nationales sont caractérisées par leur dégradation
et leurs disproportions. La réalisation de la justice sociale au plan mondial est
la prémisse et la condition pour un développement qualitatif et durable pour tous,
en vue d'une paix sociale stable, largement compromise aujourd'hui par des inégalités
considérables entre les riches et les pauvres. Selon certains économistes célèbres
comme Joseph Stiglitz et Jean-Paul Fitoussi, ce sont ces facteurs qui seraient
à l'origine de la récession actuelle. 4. Les bases morales de la souveraineté et
de l’autorité mondiales sont le fondement d'une de leur conception polyarchique
et démocratique La tension au bien humain intégral, inscrite dans la conscience
de tous les peuples et débouchant dans l'exigence de réaliser un bien commun mondial,
nécessite, entre 9 autre, de voir répudié le fait que l'économique et le financier
englobent toutes choses, comme cela s'est produit lors de la dernière crise ; qu'ils
soient ramenés à leur juste «mesure» anthropologique, éthique et sociale, au plan
national et mondial ; que soit reconnue à la politique l'importante et noble tâche
de coordination, de direction, d'encouragement et même de coercition - si nécessaire
- qui est la sienne ; que la politique même, conçue comme l'art de bien vivre ou
de la bonne vie sociale, selon les exigences du bien commun mondial, soit réalisée
en étant subordonnée à la primauté ontologique et finaliste des personnes et des
peuples. Une primauté qui demande l'intériorité, c'est-à-dire la primauté de leur
union morale sur les institutions et sur les normes procédurales, celles-ci restant
incontournables. Elle exige en outre de renoncer à une conception idéologique de
souveraineté, qui alimente les isolationnismes et les nationalismes archaïques.
La souveraineté ne peut pas se concentrer en un seul lieu, en générant une sorte
de Super-Etat, de Léviathan technocratique, de concentration dangereuse de pouvoir
monocratique. Elle doit plutôt être considérée comme une réalité fonctionnelle
ou ministérielle, indispensable en vue de la réalisation du bien commun universel
au niveau local et mondial, devant donc être modelée de façon subsidiaire, c'est-à-dire
d'une manière flexible et réticulaire, suivant des termes d'autonomie et de liberté
responsable, dans un contexte de solidarité. Par rapport à l'actuelle situation,
la souveraineté doit donc être «redistribuée» entre les Etats nationaux et les
entités politiques régionales ou mondiales, suivant les nécessités historiques
et, évidemment, ayant une valeur démocratique. Cela implique qu'en vue du bien
commun universel, les Nations considèrent la nécessité de renoncer librement à
exercer certaines prérogatives, pour les transférer à une souveraineté supérieure
de plus justes dimensions. De sorte que les souverainetés nationales doivent être
conçues en termes non pas radicaux d'autonomie et d'indépendance, mais de communication
et de réciprocité, comme des réalités interdépendantes, en rapport avec quelque
chose de précédent. En effet, elles ont, inscrit dans leur essence relationnelle
même, un 10 principe d'autotranscendance vers la forme d'une souveraineté supérieure,
qui les complète sans les nier, les suppose et les renforce selon le principe de
subsidiarité, en les reliant et en leur permettant d'agir ensemble à un niveau
transnational, dans le cadre d'une communion de principes coordinateurs et potestatifs. Si
l'on considère Pacem in terris et CIV, la question n'est pas simplement celle d'une
Autorité mondiale et de son articulation institutionnelle. La constitution d'une Autorité
mondiale doit être impérativement précédée par la constitution d'une société politique
mondiale, c'est-à-dire l'unification des nombreux peuples en une conscience commune,
ce qui suppose l'assomption de responsabilités, la volonté de collaborer – à travers
des institutions et des règles procédurales partagées – à réaliser le bien commun
mondial. Bref, le processus de constitution d'une Autorité politique mondiale ne
peut pas se passer d'un mouvement démocratique de participation venant du bas.
Cette constitution est liée à une démocratie universelle : une démocratie substantielle,
participative, solidaire et ouverte à la transcendance. La Note concentre son attention
sur la crise des systèmes monétaires et financiers internationaux, pour lesquels
CIV demande la réforme de l'architecture actuelle, en rapport avec la réforme de
l'Organisation des Nations Unies. L’encyclique insiste sur le fait que les systèmes
monétaires et financiers doivent être orientés vers le bien commun de la famille
des Nations non seulement de la part des sujets monétaires et financiers – premiers
responsables d'eux-mêmes - mais aussi de la part d'autres sujets sociaux, ainsi
que d'une Autorité politique mondiale en tant qu'ultime responsable, mais non l'unique,
du bien commun en question. Comme on l'a déjà vu, une Autorité politique à responsabilité
universelle trouve l'une de ses raisons d'être justement dans l'existence et le
fonctionnement adéquat des marchés monétaires et financiers qui, selon la Note,
doivent être considérés comme un «bien public». C'est justement le «bien» constitué
par des systèmes monétaires nationaux et internationaux – rendus aujourd'hui, par
la mondialisation, plus interdépendants et reliés entre eux – qui exige la constitution
non seulement d'une Autorité monétaire et financière internationale, mais aussi
d'une Autorité politique mondiale, adaptée aux exigences des «biens 11 publics»,
à une dimension supranationale. Les systèmes monétaires et financiers fonctionnant
de façon adéquate sont des biens qui doivent être rendus accessibles à tous, conformément
au principe de la destination universelle des biens. 5. Difficultés herméneutiques
dans la réception Certains ont vu la proposition de la Note quant à la constitution
d'une Autorité politique mondiale comme «utopiste» ou du moins n'étant pas plausible
pour l'instant, parce que considérée comme trop difficile à réaliser, au vu de
la fragmentation actuelle du tissu international. D'autres l'ont jugée incompréhensible,
voire nocive pour la démocratie, et même antithétique à elle-même. Ils considèrent
en effet que le concept d'Autorité proposé par la Note n'est pas conciliable avec
l'idée actuelle de démocratie. Ceux qui invoquent la constitution d'une Autorité
politique mondiale ne voudraient pas la démocratie, presque comme si l'existence
d'un principe unifiant et coordinateur – ayant des difficultés à commander selon
la raison et à sanctionner selon le droit – venait heurter l'essence même des gouvernements
démocratiques, qui décident leurs lois sur la base du principe de la majorité et
du consensus social, en le détachant de son enracinement dans l'ordre moral en
tant que réalité metaconsensuelle. Ce sont des difficultés réelles de compréhension
des contenus de la Note, qui ont émergé aussi pendant la conférence de presse au
cours de laquelle elle a été présentée, comme pour démontrer la nécessité toujours
plus aiguë de devoir soigner la communication des contenus de la Doctrine sociale
de l'Eglise. A y voir de plus près, les difficultés subsistent car, désormais,
la plupart de nos contemporains – outre le fait d'avoir perdu le concept traditionnel
de bien commun – a perdu aussi la notion classique d'autorité, comprise en tant
que faculté de commander selon la raison : c'est-à-dire en tant que force morale
– et donc, non arbitraire et non irrationnelle – au service de la croissance en
liberté et responsabilité des citoyens et des peuples, parce que «proportionnelle»
à cette dignité humaine qui les caractérise en tant que 12 personnes douées
de la capacité de rechercher leur bien propre et celui d'autrui, et ce en toute
liberté et responsabilité. Bref, nos contemporains se réfèrent surtout à un concept
d'autorité coïncidant en fait avec celui de pouvoir, issu de la doctrine politique
moderne (cf. J. Bodin, Th. Hobbes, mais aussi J. J. Rousseau, bien que d'une manière
différente, en partant de la perspective d'une démocratie gouvernée par la volonté
générale), qui a contribué à hypostasier les concepts d'autorité et de souveraineté,
les rendant indépendants de l'ordre moral. L'autorité et la souveraineté n'ont
aucun compte à rendre à qui que ce soit, sinon à elles-mêmes. Elles ne reconnaissent
aucun ordre supérieur. Chaque Etat individuellement se situe au-dessus de la communauté
des Nations et de la loi morale. Aussi est-il évident que, si on se rattache à
un concept d'autorité qui s'identifie à un pouvoir arbitraire, centralisateur et
qui absorbe toute autonomie, il est impossible de comprendre le sens de la proposition
d'une Autorité mondiale sans tomber dans l'erreur. A ce sujet, se présente alors
l'urgence de retrouver un concept plus adéquat d'autorité, au sens personnaliste
et communautaire, qui réaffirme ses nombreux liens avec l'ordre moral, met en évidence
sa valeur en tant que ministère et souligne sa connexion avec le pluralisme social
et institutionnel : l'autorité existe pour être au service des libertés et des
autonomies, pour les aider à grandir, et non pour les abattre ou les opprimer.
L'élément méthodologique de la démocratie conféré par le principe ou le critère
de la majorité retrouvera alors toute la mesure éthique qui est la sienne. C'est
seulement de cette façon que l'autorité ne courra pas le risque de se retrouver à la
merci de l'arbitraire de minorités ou majorités totalitaires. La rationalité et la conformité
à l’ordre moral sont essentielles à l’autorité politique. En fin de compte, la
Doctrine sociale de l'Eglise, qui propose une Autorité politique mondiale, n'entend
nullement avancer l'idée d'un centre de super-puissance irrésistible, tel un Moloch
dominant sur toute chose, ou qui soit l'expression d'intérêts partiels, ôtant toute
liberté, en assujettissant tous les sujets sociaux, niant leur droit d'initiative
et les réduisant à de simples courroies de transmission d'une volonté supérieure
et tyrannique, comme c'était le cas dans les Etats absolus. 13 La proposition
avancée par la Doctrine sociale va vers la réalisation d'une Communauté et d'une
Autorité politique mondiales, instituées d'un commun accord et non pas imposées
par la force, mais fondées sur des principes démocratiques, structurées et agissant
de façon subsidiaire. Autrement dit, leurs institutions devraient être modelées
et activées sur la base de la représentation et de la représentativité, de la division
des pouvoirs, d'un ordre juridique dans lequel soient fixés les rapports entre
les personnes-citoyens, les sociétés religieuses, les familles, les corps intermédiaires
et les pouvoirs publics des communautés politiques respectives ; entre les pouvoirs
publics de chaque communauté ; entre les pouvoirs de chaque communauté politique
et les pouvoirs publics de la communauté mondiale ; entre les pouvoirs publics
de la communauté mondiale et les sociétés civiles, les organisations internationales
gouvernementales et celles non gouvernementales. Le fonctionnement démocratique
d'un gouvernement englobe aussi la méthodologie du critère de la majorité. Une
condition préjudicielle est que les critères et les méthodes démocratiques soient
informés des contenus moraux du bien commun mondial et de la justice sociale qui
y est reliée. Les pouvoirs publics de la communauté mondiale n'auront donc pas
pour but de limiter la sphère d'action des pouvoirs publics des communautés politiques,
et encore moins de remplacer ceux-ci ; au contraire, leur but sera de contribuer
– au plan mondial - à la création d'un «milieu» dans lequel les pouvoirs publics
des communautés politiques, leurs citoyens, les familles et les corps intermédiaires,
de même que les sociétés religieuses, puissent assurer leurs tâches, respecter
leurs devoirs, et exercer leurs droits avec la plus grande sécurité. En définitive,
tout comme l'autorité politique nationale, l'autorité mondiale sera une autorité
limitée, ou, pour mieux dire, elle respectera un ordre juridique qui sera normalement
exprimé dans un texte constitutionnel ou un Statut, comme cela est prévu du reste
dans les Etats libres de droit ; elle verra la participation de plusieurs institutions
représentatives facilitant l'application du principe de l'autonomie sociale et
politique des différents sujets sociaux ; elle sera décentralisée, parce qu'articulée
sur plusieurs niveaux et 14 «connectée» à plusieurs sujets sociaux (pluralisme
social et institutionnel : Etats, Peuples, Organisations internationales, gouvernementales
et non gouvernementales, sociétés civiles et acteurs non étatiques, comme par exemple
les communautés religieuses). 6. La re-sémantisation de l’économie et de la
finance, à travers la récupération d'une raison intégrale et du telos humain La
Note encourage la re-sémantisation de l'économie et, en particulier, de la finance.
Il ne s'agit pas seulement de mettre en relief le côté intrinsèque et autonome de
leur caractère éthique : un caractère éthique particulier, qui implique le critère
de la gratuité et du don, et qui les caractérise dans leur essence même. Il s'agit
surtout de les percevoir et de les saisir dans le contexte des autres activités
de l'homme et, donc, en rapport avec la politique, la culture et la religion. L’identité
de l’économie et de la finance ne peut pas être définie correctement si elle est
détachée des personnes concrètes et historiques, de la multiplicité de leurs objectifs.
En effet, l’économie et la finance n'existent pas en elles-mêmes, de façon abstraite,
séparées des sujets qui les réalisent, hors des contextes sociaux, politiques,
nationaux et supranationaux. La crise de la finance a vu le jour, et elle persiste,
du fait que l'activité humaine correspondante est vécue dans un cadre culturel
amputé, fragmenté, qui enregistre la désarticulation entre les biens-valeurs, et
même là où il n'y a plus d'échelle hiérarchique, à cause d'un scepticisme gnoséologique
et d'un relativisme éthique absolu. Manque alors une rationalité capable de coordonner
et d'harmoniser les divers objectifs humains au sein d'un telos qui les ordonne
en vertu du vrai et du bien parfaits, c'est-à-dire de Dieu. C'est pourquoi persistent
le polythéisme des valeurs et les attitudes qui absolutisent le profit, l'instrumentalisation
de la politique à la finance, en provoquant la destruction du bien commun et de
la justice sociale inhérente. 15 Sans référence au telos humain, l’économie
et la finance ne reconnaissent pas l'existence du bien commun, c'est-à-dire de
cet ensemble de conditions sociales qui facilitent la réalisation de la plénitude
humaine. Elles deviennent réfractaires à cette réalisation, ainsi qu'à un concept
de justice sociale basé sur l'aspiration au bien propre et à celui d'autrui, avant
qu'au consensus social. Pour sortir de la crise financière et économique actuelle,
de la spéculation sans limite qui endommage l'économie réelle et porte à la faillite
les systèmes monétaires et financiers eux-mêmes, en érodant les systèmes de sécurité
sociale et, en même temps, pour réaliser une re-sémantisation, il est nécessaire
de retrouver une raison intégrale, prémisse d'une éthique amie de la personne et
de son bien global, ouvert à la transcendance. En l'absence de Dieu, recherché
et désiré comme le Bien suprême, vient aisément à manquer la référence qui permet
d'insérer correctement la finance parmi les biens à réaliser selon un ordre hiérarchique. 7.
La proposition d'une Autorité politique mondiale devant être réalisée progressivement Quant
au projet, c'est-à-dire l'indication de voies possibles de solutions, se rapportant
au magistère social des papes, la Note du Conseil pontifical suggère que la mondialisation
soit gouvernée à travers la constitution d'une Autorité publique à compétence universelle,
sans constituer un pôle nouveau détaché de l'ONU actuelle mais à partir de la réforme
de celle-ci. Dans le sillage tracé par Pacem in terris de Jean XXIII, cette perspective
est proposée une nouvelle fois - de façon claire et déterminée – par Benoît XVI,
au numéro 67 de CIV. Les réflexions du Conseil pontifical entendent la développer,
en voulant par là esquisser les grandes lignes de suggestions pour la réforme des
Institutions internationales actuelles, afin de les rendre plus compétentes et
démocratiques. Elles doivent être l'expression d'un accord libre et partagé par
tous les peuples, plus représentatives, avec davantage de participation et de légitimité,
et impliquant le plus possible toutes les sociétés 16 politiques et civiles.
Elles doivent être super partes, au service du bien de tous, capables à la fois
d'offrir une guide efficace et de permettre à chaque Pays d'exprimer et de rechercher
son bien commun propre selon le principe de subsidiarité, dans le contexte du bien
commun mondial. C'est seulement ainsi que les Institutions internationales parviendront
à faciliter l'existence de systèmes monétaires et financiers efficients et efficaces,
c'est-à-dire de marchés libres et stables, disciplinés par un cadre juridique adéquat,
fonctionnels au développement durable et au progrès social de tous et s'inspirant
des valeurs de la charité dans la vérité. L’Autorité mondiale ne devra ni écraser
ni exploiter les Gouvernements nationaux ou régionaux. Elle devra comprendre la
faculté qui est la sienne d'orienter, de décider et de sanctionner sur la base
du droit, comme étant un service aux différents Pays membres, afin qu'ils développent
et disposent des marchés non hyperprotégés par des politiques nationales paternalistes,
et non affaiblis par des déficits systématiques des finances publiques et des Produits
nationaux qui, en fait, les empêchent d'agir au niveau mondial en tant qu'institutions
ouvertes et concurrentielles8. Le court texte du Conseil pontifical montre sans
doute sa plus grande originalité lorsqu'il s'efforce de tracer certaines étapes
et caractéristiques de la voie à suivre vers la constitution d'une Autorité économique
à compétence universelle, spécialement en référence au milieu économique et financier. La
Note envisage avant tout un processus de réforme, appliqué en «ayant comme référence
l'Organisation des Nations Unies, en raison de la dimension mondiale de ses responsabilités,
de sa capacité de réunir les nations de la terre, et de la diversité de ses tâches
et de celles de ses Agences spécialisées».9 En outre, elle invoque un saut net
de qualité pour les institutions existantes. Il est nécessaire d'innover par rapport
à l'actuelle ONU, aux institutions de Bretton 8 Cf. Pour une réforme du système
financier et monétaire international, p. 24-25. 9 Cf. ib., p. 27-28. 17 Woods,10
au G8, au G20, et à d'autres encore. En particulier, il faut passer résolument
d'un système de governance, de simple coordination horizontale entre les Etats
en l'absence d'une Autorité supérieure, à un système qui, en plus de cette coordination
horizontale, dispose d'une Autorité super partes ayant la faculté de décider selon
une méthode démocratique, et de sanctionner en étant conforme au droit. Le Conseil
pontifical explique qu'un tel passage vers un Gouvernement mondial ne peut avoir
lieu qu'en donnant une expression politique aux interdépendances et coopérations
déjà existantes. Donc, sans abandonner la pratique du multilatéralisme, que ce
soit au niveau diplomatique ou dans le cadre des programmes pour le développement
durable et pour la paix.11 Selon les réflexions du Conseil pontifical, bien que
représentant un pas en avant, l'élargissement actuel du G7 au G20, - organisé aussi
selon d'autres modalités qui, dans les orientations que doivent assumer l'économie
et la finance mondiales, impliquent davantage la responsabilité des Pays à plus
dense population, en voie de développement et émergents – ne coïncide pas encore
avec l'objectif souhaité. C'est une solution encore inadéquate et insatisfaisante.
En effet, malgré les changements appréciables survenus dans sa composition et son
fonctionnement, changements clairement reconnus dans la Note,12 le G20 ne répond
pas totalement à la logique de représentation démocratique des peuples et des Etats
membres à laquelle les Nations Unies sont appelées à tendre toujours plus. Les
Etats composant le G20 ne peuvent pas être considérés comme représentatifs de tous
les peuples. Bien qu'élargi, le G20, qui, comme on le sait, ne fait pas partie
de l'ONU, est toujours un forum informel et limité qui, entre autre, manifeste
de perdre de son efficacité à mesure que le nombre 10 S'ils ont su, dans un premier
temps, répondre à la situation successive à la Deuxième Guerre Mondiale, le Fond Monétaire
International et la Banque Mondiale semblent avoir perdu progressivement le mandat
et la vocation universels implicites dans les Accords de Bretton Woods dont ils
étaient le fruit. En définitive, ils n'ont pas été capables de garantir l''objectif
de la stabilité monétaire et financière, ainsi que celui d'un développement économique
adéquat, de façon à vaincre les situations de pauvreté et d'inégalité – ou du moins
à leur donner une nouvelle dimension significative. Ils les ont même souvent aggravées,
en contribuant par ailleurs à réduire considérablement leur propre crédibilité
internationale. 11 Cf. Pour une réforme du système financier et monétaire international,
p. 28-29. 12 Cf. Ib., p. 31-32. 18 de ses membres augmente. Dans l'état actuel
des choses, au G20 manquent une légitimation et un mandat politique lui venant
de la Communauté internationale. Il faut ajouter à cela que, si la situation devait
se poursuivre, le G20 risquerait de délégitimer ou de remplacer de fait les Institutions
internationales – comme le Fond Monétaire International ou la Banque Mondiale –
qui, bien que nécessitant des réformes profondes, semblent avoir la capacité de
représenter tous les Pays – et pas seulement un nombre restreint d'entre eux –
et ce, d'une manière institutionnelle. Ce qui, donc, devrait être réalisé au plus
vite, selon les affirmations aussi des leaders du G20 eux-mêmes dans la Déclaration
finale de Pittsburgh de 2009, c'est de disposer d'une pensée politique plus adéquate
pour pouvoir finalement entamer la réforme de l’«architecture globale» et affronter
les exigences du bien commun du XXIème siècle, qui ne peuvent être différées. Cela,
«en parcourant des voies créatives et réalistes tendant à mettre en valeur les
aspects positifs (des institutions et) des forums qui existent déjà »,13 en les
améliorant dans le cadre de l'instauration de structures et de modalités typiques
d'une compétence universelle, selon les principes de la représentativité mais aussi
de la solidarité et de la subsidiarité. A propos des problèmes de nature économique
et sociale au centre des réflexions du Conseil pontifical, on pense, par exemple,
au Conseil économique et social (ECOSOC) luimême qui, bien que favorisant une activité
de coordination – sous l'égide de l'Assemblée générale des Nations Unies - n'a
ni l'autorité ni la fonction d'un gouvernement. Il est certain que de telles
perspectives exigent prudence et gradualité. En même temps, il ne faut pas renoncer
à la décision que comporte le fait de poursuivre des objectifs dont la réalisation
conditionne le bien commun mondial. Parmi ceux-ci, signalons : a) promouvoir, dans
le contexte des Institutions internationales existantes – en particulier les Nations
Unies – et dans la cohérence avec leurs Etats, la jonction entre la sphère politique
et la sphère économique et civile dans le cadre des relations 13 Ib., p. 33. 19 mondiales
; b) réformer les Institutions internationales actuelles,14 par exemple le Conseil
économique et social déjà cité,15 pour donner naissance à un contrôle monétaire
mondial effectif, en mettant en discussion les systèmes de change existants et
en impliquant aussi dans ce processus les Pays émergents et en voie de développement,
pour définir les étapes de la démarche. En recherchant, en outre, les possibilités
permettant de réaliser un Organisme ayant les fonctions d'une sorte de «Banque
centrale mondiale», afin de régler le flux et le système des échanges monétaires,
à la manière des Banques centrales nationales, en redécouvrant la logique de fond
– logique de paix, de coordination et de prospérité commune – qui a conduit aux
Accords de Bretton Woods;16 c) au plan régional, il est nécessaire de promouvoir un
processus analogue, en mettant en valeur le rôle des Institutions existantes. Au niveau
européen, par exemple, la Banque Centrale Européenne pourrait servir de 14 A maintes
reprises, les Nations Unies se sont déclarées prêtes à des réformes profondes, à partir
de celle du Conseil de Sécurité. Toutefois, il est clair qu'il n'existe aucun consensus
mondial à ce sujet. En outre, il est à noter qu'il n'y a encore aucune Agence des
Nations Unies pour faire face aux problèmes mondiaux de grande importance. Il suffit
de penser, par exemple, au problème de l'environnement pour lequel, il n'est prévu
qu'un seul programme spécifique, l’UNEP, au niveau des Nations Unies. Et encore
: au problème du commerce international pour lequel il existe, certes, un forum
spécifique – l'OMC – qui n'est toutefois pas une Agence des Nations Unies, avec laquelle
elle n'entretient qu'un rapport de collaboration. Il faut aussi penser aux questions
du désarmement et du contrôle des armements, ainsi qu'aux graves problèmes rencontrés
par la Conférence sur le désarmement. Celle-ci aussi est un forum externe aux Nations
Unies. Et enfin, à la promotion et à la protection des droits fondamentaux de l'homme,
et aux difficultés rencontrées par le Conseil des Droits de l'Homme. 15 Pour
ce qui est de surmonter l'actuelle disproportion des Institutions internationales,
il est bon de signaler aussi ici - outre les différents appels qui ont suggéré
l'évolution de l'ECOSOC - la proposition formulée par la Commission internationale
d'experts nommée en 2009 par l'Assemblée générale des Nations Unies et présidée par
Joseph Stiglitz, Prix Nobel pour l'économie, à propos de la réforme du système
monétaire et financier international. La proposition dépasserait le G20, du fait
qu'elle demande la création d'une nouvelle Institution représentative mondiale qui,
dans le rapport de la Commission Stiglitz, est appelée «Conseil pour la Coordination
économique mondiale». Une telle Institution devrait non seulement coordonner les
Agences spécialisées et les programmes des Nations Unies, mais aussi assurer la
coordination relative aux stratégies des Institutions financières internationales
(FMI et Banque Mondiale) et de l'OMC, Institutions qui devraient être représentées
de façon appropriée dans le Conseil. 16 Dans la perspective de réformes créatives
et réalistes, suggérée dans les réflexions du Conseil pontifical, les Institutions
existantes (FMI et Banque Mondiale) – avec vocation de gouverner – ne devraient pas
être supprimées. Elles devraient être réformées en profondeur, selon une perspective
assurant la primauté de la politique et de l’autorité publique sur l’économie et
les sujets privés. Plus spécialement, la réforme nécessaire consistera à augmenter
la légitimité, en réduisant – par exemple – le pouvoir de veto des grandes puissances,
et en reconnaissant à tous les Pays – et non seulement aux Etats-Unis et à l'Europe
– le droit d'élire les principaux dirigeants du FMI et de la Banque Mondiale. Il
sera aussi nécessaire d'assurer que les Organisations monétaires régionales, qui en
tant que telles se sont multipliées au cours des dernières années, soient représentées
de façon plus adéquate dans ces Institutions. 20 référence, en y faisant toutefois
correspondre des Institutions politiques de dimensions adéquates, en vue d'une
plus grande unité et efficacité dans les décisions. Dans tous les cas, et à propos
de ce qui vient juste d'être mentionné, ce qui est nocif selon la Note dans l'optique
de la réalisation de conditions financières et monétaires utiles à la croissance
de tous les peuples au niveau mondial, est surtout le fait de retourner à la primauté
de la politique sur l'économie et sur la finance. Dans les courtes réflexions présentées
ici, on peut lire : «... il est nécessaire de retrouver la primauté du spirituel
et de l'éthique et, en même temps, de la politique – responsable du bien commun
– sur l'économie et la finance. Celles-ci doivent, au vu de leurs responsabilités
évidentes envers la société, être ramenées dans les limites de leur vocation et
de leur fonction réelles, y compris celle sociale, afin de donner vie à des marchés
et des institutions financières qui soient véritablement au service de la personne,
c'est-à-dire capables de répondre aux exigences du bien commun et de la fraternité universelle,
en transcendant toutes les formes de stagnation économique et de mercantilisme».17 En
cohérence avec l'engagement de la politique à orienter les systèmes financiers et
monétaires vers la réalisation du bien commun, le Conseil pontifical suggère en exemple
trois voies possibles à suivre : a) des mesures de taxation réduite et juste dans
les transactions financières ; b) des formes de recapitalisation des banques, selon des
conditions à fixer ; c) la distinction entre les activités de crédit ordinaire et
celles d' Investment banking: actuellement, ces dernières sont réalisées sans aucune
limite ni contrôle. L'Union Européenne a exprimé une opinion positive tout récemment
pour ce qui est du point b). Voilà donc brièvement quelques grandes lignes du
programme, élaboré à partir de la réflexion en question et qui devrait être pris
en charge non seulement par les responsables les plus directs du bien commun au
plan national et supranational, mais 17 Pour une réforme du système financier et
monétaire international, p. 34-35. 21 aussi par ceux qui, souvent dans les Universités
et les Instituts culturels, sont appelés à former les classes dirigeantes de demain. 8.
Conclusion Par tout ce qui a été dit jusqu'ici, la Note du Conseil pontifical,
qui encourage la réforme du système financier et monétaire international dans la
perspective de la constitution d'une Autorité publique à compétence universelle,
ne veut nullement proposer une superpuissance monocratique et irrésistible, ni
même condamner les aspects positifs de la pensée libérale, puisqu'elle reconnaît
la liberté des marchés et leur valeur en tant que biens «publics» - contrairement
à ce que certains commentateurs ont insinué, les positions de la Note étant bien
différentes de celles du marxisme collectiviste -, biens nécessaires à la réalisation
du bien commun mondial. Elle n'entend pas renforcer le bureaucratisme et les gestions
instrumentales entre les mains d'un petit nombre, qui se sont souvent installées
et persistent dans les Institutions internationales actuelles, et qui, hélas, assument
une fonction de «dissuasion» s'opposant à l'idéal de la constitution d'une Autorité
publique à compétence universelle. Le fait que les Institutions supranationales
présentent de tels défauts ne doit nullement décourager et faire renoncer à l'intention
de travailler pour leur réforme dans un sens plus démocratique et davantage partagé
au plan de la gestion. Ainsi, un tel processus ne doit pas être ralenti par le
fait que, dans diverses régions, par exemple en Asie, on se heurte à d'importantes
difficultés culturelles ainsi qu'à des intérêts nationaux opposés, qui n'autorisent
que de faibles formes d'intégration entre les Etats au niveau économique véritablement
insuffisantes à supporter une coopération solide au plan politique. Aussi les responsables
politiques et les différentes Institutions culturelles et religieuses doivent-ils
se mobiliser davantage, contribuant à former une nouvelle vision des choses, une
nouvelle mentalité et une nouvelle conscience entre les peuples de la terre, en
investissant surtout sur le fait de prendre acte de l'existence d'un bien commun
mondial et de la fraternité qui unit tous les hommes en une unique famille. 22 La
proposition du gouvernement de la mondialisation à travers une Autorité publique
à compétence universelle, démocratique et légitimée par tous les peuples, a ses
racines particulièrement dans les exigences du bien commun mondial et de la justice
sociale inhérente. Ce que suggère la Note au plan de l'articulation des structures,
des Institutions et des règles est donc motivé principalement au niveau des raisons
morales, ainsi qu'à celui des opportunités historiques offertes par la mondialisation.
Il n'est fait que mention de l'aspect technique et des profils plus pratiques,
avec la conscience que leur configuration est laissée aux experts des Institutions
internationales et dépend, pour finir, de la volonté des peuples, mais aussi de
la discussion publique. La Note ne fait pas de «futurologie», en imaginant quel
peut être le résultat final. Elle rappelle simplement les raisons qui réclament
la réforme urgente de l'architecture institutionnelle supranationale, par ailleurs
précédemment souhaitée par le G20 luimême à Pittsburgh. Il s'agit de redonner sa
dimension au Léviathan économique qui, en fait, existe déjà en tant que superpuissance
organisée au plan supranational, et qui tyrannise souvent les Nations. En définitive,
la Note met en lumière le fait que, si les exigences éthiques du bien commun mondial
sont méconnues – ce bien qui doit être particulièrement attentif aux conditions
des plus démunis –, ainsi que celles de la justice sociale mondiale et du principe
de la destination universelle des biens, il est difficile de comprendre les motivations
conduisant à vouloir constituer une Autorité politique mondiale, dans le sens proposé
par la Doctrine sociale de l'Eglise.