Rencontre des ambassadeurs africains au Conseil pontifical de la Culture
Cité du Vatican, lundi 26 mars 2012 A l’initiative du Conseil pontifical
de la Culture, une rencontre des ambassadeurs africains accrédités au Saint-Siège
s’est tenue lundi 26 mars au siège du dicastère. La rencontre, décomposée en trois
parties et qui s’est déroulée en plusieurs endroits à Rome, a été ouverte par le Cardinal
Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical de la Culture qui avait notamment
à ses côtés le secrétaire de ce dicastère, Mgr Barthélemy Adoukonou et le modérateur,
le Père Théodore Mascarenhas, chef du Département pour les cultures. Les représentants
de 23 pays africains, résidant à Rome ou en Europe, y ont pris part.
•
Les cultures en dialogue
Cette rencontre s’inscrit dans la ligne d’un
programme de consultations initiées par le Conseil pontifical de la Culture et ouvertes
par la rencontre des ambassadeurs d’Asie, le 10 mars 2011.
Dans son introduction,
le Cardinal Ravasi a souligné combien, au fil des temps la notion de « culture
» qui est de création relativement récente, a eu du mal à s’imposer à tous comme expression
d’une diversité. Pendant longtemps, en effet, « la » culture ne s’est entendue
que comme expression et manifestation des valeurs de l’Occident, lui-même réduit à
la Rome et à la Grèce antiques. Tout le reste n’existait pour ainsi dire pas.
Aujourd’hui,
à la faveur même des contacts entre les peuples, quelles qu’en soient les finalités
ou les modalités, on est arrivé au multiculturalisme. Dans des villes comme New York,
on assiste à l’existence de véritables mosaïques de peuples, et donc de cultures.
La culture a quitté la sphère de l’entendement exclusif et étroit car, non seulement
elle a été reprise et revendiquée par les peuples de la planète, mais en plus elle
est devenue anthropologique car traversant toute l’activité de l’homme et des peuples.
La culture n’est plus seulement dans les arts, les musiques mais dans tout ce que
l’homme fait et dans ses rapports avec d’autres humains.
Si la globalisation
qui s’est emparée du concept tend à l’impulser vers une direction qui voudrait encore
la réduire à la monoculture (par la puissance de l’argent, par l’exposition d’un seul
modèle dans les médias modernes, ou par un modèle juridique et éthique dominant etc…),
la religion s’impose comme facteur de grande influence. Croyant ou non, le contemporain
vit une réalité culturelle fortement marquée par le vécu religieux des sociétés.
C’est cela qui impose un dialogue des religions elles-mêmes ; un dialogue qui engage
les hommes d’Eglise à œuvrer avec les hommes politiques à l’échange permanent pour
le bien commun.
Un tel dialogue entre les religions ne doit conduire ni à
l’enfermement chacune dans sa doctrine pour produire des sectes ou des fondamentalismes
; un tel dialogue entre Eglise et hommes politiques ne doit pas davantage conduire
au choc des civilisations. Pour éviter ces écueils, le dialogue entre les religions
doit partir de la connaissance et de l’affirmation de l’identité des religions elles-mêmes.
C’est parce que l’Occident s’interroge sur l’identité d’une religion comme l’islam
qu’il est amené à lui prêter toutes les peurs possibles.
L’affirmation de
l’identité propre à chaque religion aboutira à éviter que le dialogue interreligieux
soit un « dialogue mou », un exercice qui ravale à une « religion
du minimum » où seraient confondus et abaissés au même niveau Eglises, mouvements
religieux, courants philosophiques et confessions. Ce serait la superficialité du
religieux.
D’où l’effort du Conseil pontifical de la Culture de s’appesantir
sur le dialogue interreligieux qui « sous-tend avant tout un dialogue entre
les cultures ». Multiculturalisme et non choc des civilisations ; Inter culturalisme
et dialogue entre des religions qui ne perdent pas leur identité ; pluralisme qui
ne veut pas dire ravaler toutes les religions à leur plus minime expression : voilà,
a dit le Cardinal Ravasi, quelques uns des défis que le dicastère entend relever ensemble
avec les représentants des nations. Le Conseil essaye de le relever en épousant les
langages nouveaux des jeunes par les outils de l’information et de la communication
qui leur parlent le mieux : portables, face-book, twiter etc…
• Le
SCEAM comme passerelle de communication
Le secrétaire du Conseil pontifical
de la Culture, Mgr Barthélemy Adoukonou, a par conséquent suggéré quelques pistes
pour, a-t-il dit, une collaboration destinée à faire dialoguer l’Eglise et les cultures,
afin d’œuvrer « à l’avènement de l’homme plénier ».
Il a indiqué
que pour ce qui concerne l’Afrique c’est le SCEAM, le Symposium des conférences épiscopales
d’Afrique et de Madagascar, qui est la passerelle de cette coopération. Ces dernières
années, il a mené des réflexions notamment sur le cinquantenaire des indépendances
de bon nombre de pays africains, surtout autour de la figure d’un intellectuel africain
de renom, le Sénégalais Alioune Diop. Créateur de la revue Présence Africaine
qui s’est imposée avant les indépendances comme le miroir de la pensée africaine,
son centenaire a été célébré en janvier 2010.
Mgr Adoukonou a indiqué que
des thèmes comme la bonne gouvernance ne pouvaient être laissés à la seule compétence
des politiques. Sans s’immiscer dans les attributions particulières des hommes et
des femmes de la politique l’Eglise, ainsi que l’a rappelé le Pape Benoît XVI dans
son interpellation des politiques en novembre 2011 à Cotonou, au Bénin, peut et doit
apporter sa contribution à la recherche des solutions aux problèmes qui affectent
l’humain dans son intégralité ; au religieux comme au temporel.
•
Quelle culture, quelles valeurs ?
Pour leur part les ambassadeurs africains
qui ont marqué leur grand intérêt pour une telle initiative, se sont inquiétés du
paradoxe qui veut que l’Occident qui, par la puissance de ses finances et de sa technologie,
tend à imposer une vision unilatérale de sa culture au monde, est également le premier
qui juge négatives les valeurs chrétiennes qu’elle a pourtant à exporter vers l’Afrique.
L’ambassadeur de l’Ouganda, par exemple, a souligné le déclin de ces valeurs chrétiennes
dans un Occident qui, pourtant, prétend imposer comme un « trait de culture
supérieure » les unions homosexuelles à une Afrique qui y est pourtant largement
opposée. Or l’acceptation et la non-condamnation de telles unions sont non seulement
encouragées, mais parfois même présentées comme une condition pour recevoir l’aide
de l’Occident en Afrique.
L’ambassadrice de Zambie a quant à elle a mis l’accent
sur le manque de visibilité dans le rôle que les femmes peuvent jouer dans la paix,
et donc l’établissement du dialogue des cultures. Ce sont les femmes qui portent littéralement
sur leur dos l’éducation de la jeunesse africaine. Et sont donc les actrices de premier
plan des mutations du continent.
Le chargé d’affaires de l’ambassade de Côte
d’Ivoire a fortement insisté sur un regard décomplexé sur la relation avec l’Occident
aujourd’hui. En matière d’échanges interculturels, a-t-il soutenu, l’Afrique a déjà
donné. « Il n’y a qu’à voir autour nous aujourd’hui ; nous sommes ambassadeurs
africains, mais aucun n’est habillé à l’africaine ; aucun ne converse avec son voisin
dans une autre langue que l’anglais, le français ou le portugais. Dans les rues, même
les femmes africaines d’Occident ne portent pas leur bébé sur le dos. C’est signe
que nous avons suffisamment pris à l’Occident. C’est à l’Occident de voir aujourd’hui
en Afrique ce qui peut compléter son humanité. »
Les ambassadeurs africains
se sont dits interpellés aussi par le fait qu’une rencontre aussi fortement symbolique
comme celle du 26 mars, finira dans quelques tiroirs, ses conclusions ne devant finalement
déboucher sur rien de concret. Qui, au Saint-Siège, est l’interlocuteur privilégié
d’une réflexion autour du rôle de la culture pour la paix dans le monde : la Secrétairerie
d’Etat, les Conseil pontificaux Justice et Paix, de la Culture, de Santé ?, a demandé
l’ambassadeur du Bénin demandant que cette conférence ne soit pas une occasion de
plus de parler et d’échanger, mais aboutisse à des conclusions qui feront l’objet
d’un traitement dans un cadre plus institutionnel. Et donc plus engageant. L’ambassadeur
du Cameroun a abondé dans le même sens.
Celui du Congo-Brazzaville a également
appelé à la précision des expressions pour un dialogue sans ambiguïtés, notamment
entre l’Eglise et la laïcité, et non entre les croyants et les seuls athées, notion
trop exclusivement circonscrite à l’Occident. « L’Afrique, on le sait est largement
religieuse. La notion d’athée y est presqu’inconnue. La difficulté du travail qui
nous attend, a-t-il notamment dit, est que nous devons agir ensemble, dans
un cadre multilatéral, alors que nos relations avec le Saint-Siège sont avant tout
des rapports bilatéraux ».
Le Cardinal Gianfranco Ravasi a promis
que les aboutissements de ces travaux feront l’objet d’un « dossier spécial
» qui sera soumis à l’appréciation de la Secrétairerie d’Etat. Il a en outre souhaité
que ce premier contact soit suivi d’un autre où les ambassadeurs auraient le plus
la parole. Et que dès cet instant la collaboration se manifeste par l’alimentation
d’une banque des données culturelles de l’Afrique qui traduira les cultures africaines
non selon le prisme déformant de l’Occident, mais à partir des expériences authentiques
de l’Afrique par elle-même.
Après cette première partie des travaux au siège
du Conseil pontifical de la Culture, au Vatican, les ambassadeurs et les membres du
dicastère se sont déportés au Temple d’Adrien où la Chambre de commerce de la ville
de Rome coorganisatrice de cette rencontre, avait prévu une série de conférences.
La journée s’est achevée par la visite de l’Auditorium, la grande salle de musique
de Rome.