Des évêques prient pour l’Europe et pour les protagonistes de sa construction
Neuf évêques du Sud-est de l’Europe ont achevé, ce jeudi 8 mars, leur rencontre à
Strasbourg. Une rencontre organisée par le Conseil des Conférences épiscopales d’Europe,
en collaboration avec la Mission permanente du Saint-Siège auprès du Conseil de l’Europe.
A cette occasion les évêques ont débattu avec les responsables du Conseil de l’Europe
sur des thèmes « européens » de grande importance pour l’Eglise : la liberté religieuse,
les droits des minorités, la dimension religieuse du dialogue interculturel, la réalité
de la famille, les droits des enfants, la responsabilité des parents, ou encore la
bioéthique. Cette rencontre, qui en est à sa douzième édition, conclut le cycle d’approfondissement
des réalités sociales et ecclésiales des pays d’Europe du Sud-est. Selon Mgr Youssef
Soueïf, archevêque de Chypre des maronites, cette rencontre rappelle l’importance
de la présence de l’Église dans le monde. Il est interrogé par Charles Le Bourgeois
Le 7 mars,
une messe pour l’Europe a réuni les participants en la cathédrale de Strasbourg. L’homélie
a été prononcée par Mgr Aldo Giordano, Observateur permanent du Saint-Siège auprès
du Conseil de l’Europe. Les organisateurs avaient convié des ambassadeurs, des fonctionnaires
du Conseil de l’Europe, des juges de la Cour européenne des droits de l’homme, des
eurodéputés et des membres d’organismes ecclésiaux qui participent de près au cheminement
européen. Objectif : redonner à Dieu toute sa place et mettre en garde contre l’athéisme
de l’indifférence.
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Homélie de Mgr Aldo Giordano La
semaine dernière, une journaliste m’a demandé s’il est devenu difficile d'annoncer
et de proposer le christianisme à l’Europe d’aujourd’hui. Spontanément, j’ai répondu
qu’en réalité, il n’a jamais été facile de faire retentir la Parole de Dieu dans le
monde ! La première lecture que nous avons entendue ce soir présente la figure d'un
grand croyant, qui vécut voici environ 2600 ans, le prophète Jérémie. Le prophète
se trouve alors dans une situation tragique puisqu’il est menacé de mort. Ses ennemis
disent : “allons, montons un complot contre Jérémie... attaquons-le par nos paroles”.
Jérémie, abattu, se tourne vers l'Eternel : “Mais toi Seigneur, fais attention à moi...
Comment peut-on rendre le mal pour le bien?” ... Souviens-toi que je me suis tenu
en ta présence pour te parler en leur faveur”. Jérémie est persécuté par ceux auxquels
il a prodigué ses bienfaits. Si l'on regarde le christianisme primitif, nous découvrons
qu'il s'est propagé, de façon surprenante, grâce au sang des martyrs. Les Catacombes,
le Colisée, la Via Appia, témoignent encore que « être chrétien », au commencement,
signifiait quelque chose de très sérieux, impliquant le risque de perdre la vie. Les
premiers papes sont morts en martyrs. Des jeunes filles, comme Agnès et Cécile, ont
subi le même sort. Aujourd'hui encore beaucoup sont persécutés ou tués à cause de
leur foi. J'ai eu la grâce de travailler pendant plusieurs années avec l'archevêque
de Prague, le Cardinal Vlk. Pendant dix années, il fut laveur de vitres dans les
rues de sa ville parce qu'il lui était tout simplement interdit d’exercer son service
sacerdotal. En Albanie, le régime totalitaire a fait éliminer un grand nombre de prêtres.
Nous avons au fond du cœur les images d’enfants, de jeunes, de familles assassinés
dans la cathédrale de Bagdad, comme aussi au Nigeria ces jours-ci. Le ministre Bathi
au Pakistan a été éliminé parce qu’il était chrétien. Le mal est puissant et ne supporte
pas le bien ; la présence d'un prophète qui annonce la parole de Dieu est une nouveauté
qui porte atteinte aux comportements corrompus et malveillants ; c’est comme un faisceau
de lumière qui éclaire les mauvaises actions et qui, pour cette raison, doit être
éteint. Bien sûr, le mal essaie aussi de corrompre ceux qui ont la vocation à être
prophètes !
Mais existe-t-il vraiment quelque chose ou quelqu'un pour quoi
ou pour qui il vaut la peine de donner sa propre vie?
La page de l’Evangile
que nous avons entendue nous parle d'un voyage. Un groupe d'hommes et de femmes fait
route vers Jérusalem. Jérusalem dans l'histoire a toujours représenté la cité idéale.
De tout temps, l'humanité est à la recherche d'un idéal qui peut donner un sens à
ses propres pas. Saint Augustin parle ainsi d'une inquiétude du cœur qui nous pousse
toujours à une nouvelle recherche. Ces derniers mois, nous avons vu des jeunes gens
qui manifestent dans les rues contre les pouvoirs des finances, ou bien qui luttent
pour la démocratie dans les pays arabes et l'Afrique du Nord, ou encore qui se rassemblent
très nombreux à Madrid autour du Pape. Plus l'obscurité est dense, plus nous sommes
mis au défi de chercher la lumière. Pour notre Europe et pour le monde, les ténèbres
peuvent avoir le visage de la crise qui nous menace, ou les traits de la famine qui
continue en Somalie et la Corne de l'Afrique, ou la figure de la violence en Syrie,
ou encore l’aspect de la maladie, de la solitude ou de la trahison.
Sur cette
route de Jérusalem et dans le pèlerinage de notre vie, cependant, nous ne sommes pas
seuls. Comme avec les disciples, vient se joindre à nous un compagnon de voyage extraordinaire,
Jésus-Christ.
Dans le récit de l’Antéchrist de Solov’ev, nous pouvons lire
: “L’empereur s’adressait aux chrétiens en disant : “Hommes étranges.... dites-moi
vous-même, ô chrétiens : qu’avez-vous de plus cher dans le christianisme ?”. Alors
le starets Jean s’est mis debout et répondit avec douceur : “Grand souverain ! Ce
que nous avons de plus cher dans le christianisme est le Christ Lui-même, Lui-même
et tout ce qui vient de Lui, car nous savons qu’en Lui demeure corporellement toute
la plénitude de la Divinité”.
Aux compagnons de route, le Christ communique
une nouvelle très mystérieuse: “Voici que nous montons à Jérusalem. Le Fils de l’homme
sera livré aux chefs des prêtres et aux scribes, ils le condamneront à mort et le
livreront aux païens pour qu’ils se moquent de lui, le flagellent et le crucifient,
et, le troisième jour, il ressuscitera”.
Le moment est dramatique: Jésus fait
part à ses amis les plus proches de la réalité de sa mort imminente. C'est la mort,
l’énigme par excellence de la vie. Mais Jésus communique aussi une autre nouvelle
encore plus choquante, sa résurrection le troisième jour. C’est un sujet d’incompréhension
pour les disciples de Jésus. La préoccupation de la mère de Jacques et de Jean est
d’un tout autre ordre : la carrière et la puissance de leurs enfants: “Voilà mes deux
fils: ordonne qu’ils siègent, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ton Royaume”.
L'attitude de cette mère et de ses enfants soulève l'indignation des autres disciples
et crée un litige entre eux.
Pour Jésus c’est l'occasion de donner un enseignement
majeur sur la nature profonde de l’autorité : “Vous le savez: les chefs des nations
païennes commandent en maître, et les grandes font sentir leur pouvoir. Parmi vous,
il ne doit pas en être ainsi : celui qui veut devenir grand sera votre serviteur ;
et celui qui veut être le premier sera votre esclave”. Parmi vous, il ne doit pas
en être ainsi ! Ceux qui écrivent la véritable histoire de l’humanité, ce ne sont
pas les arrogants, mais ceux qui ont le courage de choisir de servir.
Cette
vision que l’on peut qualifier de « révolutionnaire » du pouvoir est celle vécue par
Jésus lui-même. “Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir
et donner sa vie en rançon pour la multitude”.
La meilleure “explication” du
pouvoir entendu comme un service, c’est la mort de Jésus sur la Croix. Sur la Croix,
en effet, les soldats écriront : “cet homme est roi”. Christ est un roi-serviteur
qui donne sa vie pour l'amour du Père et par amour pour chacun de nous. Le Christ
nous révèle ainsi que le sens ultime de la vie, c’est de la donner en se donnant.
Jésus
décide librement de “servir” le Père, parce qu'il est le Fils, parce que le Père est
le seul qui peut le sauver et lui garantir la félicité et la vie. Le Père est le "Bien",
le "Vrai", la "Beau" sur lequel il peut compter. Jésus décide librement de nous "servir",
nous les hommes, pour nous donner également la possibilité de vivre comme des enfants,
comme des fils. Le même serpent des origines, qui a tenté Adam et Eve, pousse aujourd’hui
l'Europe sur la voie de l'indépendance, de l’autonomie, de la séparation du Père pour
essayer de s’auto-réaliser, c’est-à-dire de se sauver seule. Or, c’est cette solitude
même qui est tragique : « si le grain de blé tombé en terre ne meurt, il reste seul
; s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » ; nous dira Jésus. La liberté conçue de
manière individualiste nous replie sur nous-mêmes. Au fond, nous n’avons pas décidé
librement de naître. Venir au monde n'est pas le fruit de notre liberté vient du don
d’un autre, en l’occurrence de deux autres. Et notre liberté ne sera pas en mesure
de nous sauver de la mort, car nous ne sommes pas libres de ne pas mourir. Le salut
ne peut venir que d'un Autre. Choisir de nous confier en Quelqu’un qui seul peut réaliser
notre aspiration au divin, à l’éternité, à la beauté, à la vérité, à l'amour, à la
vie, est le grand acte intelligent de liberté.
Celui qui exerce l’autorité
est appelé d’abord à servir le vrai, le bien, le beau. Il ne lui appartient pas de
décider lui-même du bien et du mal, du vrai et du faux, du beau et du laid. Il n’est
pas créateur des valeurs éthiques. Il en est le serviteur.
Vivre comme les
enfants d'un même Père fait de nous des frères et, entre frères, le vrai pouvoir est
l'amour. L'amour fait de moi un "serviteur” de la personne que j'aime.
Puisque
le terrain est désormais déblayé des absolus idéologiques, le moment est venu de choisir
l’amour. La vérité chrétienne ne peut pas s’allier à des formes de pouvoir violentes,
elle ne peut pas faire une place à des fanatismes, intégrismes ou fondamentalismes
déviés. La cité de l’homme n’est pas uniquement constituée par des rapports de forces,
ni même par des rapports de droits et devoirs, mais aussi, et plus profondément encore,
par des relations de gratuité, de miséricorde et de communion. La charité n’existe
certes jamais sans la justice, mais elle dépasse la justice et la complète dans la
logique du don et du pardon.
La résurrection est la preuve que la décision
de servir jusqu’au don gratuit de la vie est le chemin pour avoir la vie, une vie
que rien ni personne ne peut plus arracher.
Nous sommes réunis ici dans cette
magnifique cathédrale pour tendre les mains vers Dieu afin qu’il protège l'Europe.
Notre Pape Benoît XVI, dans sa Lettre Caritas in Veritate (n.79), affirme que le “vivre-ensemble”
pacifique, une société juste, est pour les croyants avant tout un don gratuit dont
on ne dispose pas, car cela vient de Dieu et c’est pourquoi il doit être avant tout
invoqué.