Discours d'ouverture de l'Assemblée plénière de la Conférence épiscopale régionale
d'Afrique de l'Ouest
Yamoussoukro du 23 au 29 janvier 2012
Thème : « L’Église, Famille de Dieu,
en Afrique de l’Ouest, au service de la Réconciliation, de la Justice et de la Paix
»
Discours de S.E. Mgr Fernando FILONI Préfet de la Congrégation
pour l’Evangélisation des Peuples
Chers frères dans l’Episcopat, honorables
invités,
En cette heureuse occasion de l’ Assemblée Plénière Constitutive
de la Conférence Régionale de l’Afrique de l’Ouest, j’ai l’honneur et le grand plaisir
de prendre la parole pour adresser mes chaleureuses salutations aux Eminentissimes
Cardinaux ici présents, en particulier à son Eminence le Cardinal Théodore Adrien
Sarr, Archevêque de Dakar et Président de la Conférence Episcopale Régionale de l’Afrique
de l’Ouest, à son Excellence Mgr Marcellin Yao Kouadio, Evêque de Yamoussoukro, à
vous tous Archevêques, Evêques, prêtres, religieux et religieuses, aux autorités civiles,
aux représentants des Organismes Internationaux et à vous tous honorables invités.
Aujourd’hui, c’est avec une satisfaction mêlée de gratitude que je vous félicite
pour cette avancée significative vers la solidarité pastorale affective et effective
entre les Evêques de l’Afrique de l’Ouest. Comme l’a rappelé le Pape Benoit XVI dans
sa récente Exhortation Apostolique « Africae Munus » : « l’Église est une communion
qui engendre une solidarité pastorale organique. Les Évêques, en communion avec l’Évêque
de Rome, sont les premiers promoteurs de la communion et de la collaboration dans
l’apostolat de l’Église. Les Conférences épiscopales nationales et régionales ont
la mission de consolider cette communion ecclésiale et de promouvoir cette solidarité
pastorale ». La création de la Conférence Episcopale Régionale de l’Afrique de l’Ouest
(RECOWA-CERAO) répond donc à une attente des Evêques de la Région et au désire d’approfondir
la communion sacramentelle et pastorale entre eux. C’est pourquoi, la Congrégation
pour l’Evangélisation des Peuples a, dès le début et en plusieurs occasions, apporté
son plein soutien au projet et suivi avec une attention toute particulière les diverses
étapes de sa réalisation. Je voudrais vous assurer en ce moment important qu’elle
continuera à vous aider, notamment pour l’approbation des statuts de la Conférence
par le Saint Siège et qu’elle suivra vos futures activités avec un intérêt spécial
et toujours renouvelé. Créées respectivement en 1963 et en 1977, la CERAO et l’AECAWA
ont donné les preuves remarquables de leur fécondité apostolique en favorisant la
communion et la solidarité pastorale entre les Evêques et en contribuant de manière
fort appréciable non seulement à la croissance de l’Eglise, mais aussi à son rayonnement
dans la région. Cependant, face à la situation qui prévaut actuellement en Afrique
de l’Ouest, notamment les fortes mutations socio-culturelles, les crises politiques,
les guerres et conflits religieux, ces deux instances sont devenues insuffisantes.
Or, l’Eglise, Sel et Lumière du monde, doit continuer à annoncer le Règne de Dieu
et remplir sa mission prophétique au service du Continent de manière toujours plus
pertinente et efficace. Il a donc fallu procéder à la fusion de ces deux conférences
pour vous permettre d’affronter ensemble les nouveaux défis à relever sur le plan
social et religieux. La RECOWA-CERAO vient donc à son heure et répond à un besoin
d’ordre pastoral, puisque « de notre temps surtout, il n’est pas rare que les évêques
ne puissent accomplir leur charge convenablement et avec fruit, s’ils ne réalisent
pas avec les autres évêques une concorde chaque jour plus étroite et une action plus
coordonnée. » Elle trouve sa justification déjà dans le Nouveau Testament, s’enracine
dans le Magistère et a comme fondement théologique la dimension collégiale affective
de la responsabilité du gouvernement épiscopal . En effet, dès le début de son
ministère, Jésus a constitué les Apôtres « sous la forme d'un collège, c'est-à-dire
d'un groupe stable, à la tête duquel il mit Pierre, choisi parmi eux ». Ils sont co-responsables
de la mission et de la vie de l’Eglise. Cette réalité du collège des Apôtres est bien
présente aussi dans les premières années de l’Eglise naissante, comme en attestent
plusieurs passages du Livre des Actes , notamment la convocation du Concile de Jérusalem
pour résoudre la question de l’observance de la Loi par les pagano-chrétiens. Ensuite,
en vue de continuer la mission que Jésus leur a confiée, les Apôtres eux-mêmes ont
pris soin d'instituer des successeurs, les Évêques. Ceux-ci sont unis au Souverain
Pontife, comme les Apôtres l’étaient à Pierre . Dans l’exercice de leur mission, les
Evêques sont tenus de collaborer entre eux et avec le Successeur de Pierre, en qui
est institué « le principe et le fondement perpétuel et visible de l'unité de foi
et de communion». Le Concile Vatican II, dans le décret Christus Dominus, sans
les rendre obligatoires, a reconnu l'opportunité et la fécondité des Conférences épiscopales
en estimant « qu’en tous lieux les évêques d’une même nation ou d’une même région
constituent une seule assemblée et qu’ils se réunissent à dates fixes pour mettre
en commun les lumières de leur prudente expérience. Ainsi la confrontation des idées
permettra-t-elle de réaliser une sainte harmonie des forces en vue du bien commun
des Églises ». Leur caractère obligatoire sera établi par le Pape Paul VI en 1966
dans le Motu proprio Ecclesiæ Sanctæ. Quelques années après, en 1973, le Directoire
pastoral des Évêques en rappela les objectifs principaux en ces termes : « La Conférence
épiscopale a été instituée afin de pouvoir aujourd'hui apporter une contribution variée
et féconde à l'application concrète de l'esprit collégial. Grâce aux Conférences épiscopales,
est encouragé de manière excellente l'esprit de communion avec l'Église universelle
et entre les différentes Églises particulières ». Enfin, le Code de Droit canonique
de 1983, a établi des normes spécifiques (can. 447-459), par lesquelles sont définies
les finalités et les compétences des Conférences des Évêques, de même que leur érection,
leur composition et leur fonctionnement. L'esprit collégial qui inspire la constitution
des Conférences épiscopales et qui en guide l'activité pousse aussi à la collaboration
entre les Conférences des diverses nations, comme cela est souhaité du reste par le
Concile Vatican II et exprimé par les normes canoniques « dans le but de promouvoir
et d’assurer un plus grand bien. » Cela signifie qu’elles ne peuvent pas rester isolées
dans leur propre territoire ou leur propre activités, mais, afin de promouvoir et
d’assurer une action pastorale plus efficace, les Conférences épiscopales doivent
maintenir des relations utiles entre elles de caractères organiques, par l’échange
de points de vue, d’expérience et de nouvelles. Pour une meilleure efficacité, ces
rapports souhaitées par le Concile ne doivent pas être seulement occasionnels, mais
stables et permanents, avec des organismes appropriés. Toutefois, si elles entreprennent
des activités ou traitent de sujets à caractère international, les Conférences sont
tenues de consulter le Saint Siège, précise le canon 459 §2. Il me parait également
important d’insister ici sur la nécessité de tenir compte de l’observation qui a été
faite par l'Assemblée extraordinaire du Synode des Évêques, célébrée en 1985. A propos
de leur mode d’action : « les Conférences épiscopales doivent avoir en vue à la fois
le bien de l'Église, c'est-à-dire le service de l'unité, et la responsabilité inaliénable
de chaque Évêque à l'égard de l'Église universelle et de son Église particulière ».
Il convient par conséquent d’éviter soigneusement de gêner l'œuvre doctrinale des
Évêques d'autres territoires, compte tenu des répercussions dans des zones plus vastes,
et même dans le monde entier, que les moyens de communication sociale donnent aux
événements d'une région déterminée. En conséquence, la RECOWA-CERAO remplira pleinement
sa mission si elle parvient à contribuer efficacement à l’unité entre les Evêques,
et donc à l’unité de l’Eglise, étant un instrument valable pour affermir la communion
ecclésiale. Aujourd’hui plus que jamais, l’Eglise doit rechercher des voies nouvelles
pour participer de manière efficace et selon sa propre vocation au développement intégral
de l’homme dans une société fraternelle et pacifique. Quoi de mieux indiqué que la
RECOWA-CERAO, structure de solidarité pastorale, de communion entre Eglises, de réflexion
et de décision collégiale, pour remplir cette tâche urgente au niveau de votre région
? Grâce à elle, les Evêques de l’Afrique de l’Ouest parleront désormais d’une seule
voix. Ils vivront ensemble une solidarité organique, et pourront élaborer dans un
esprit de collégialité effective et affective une stratégie pastorale pertinente et
opérationnelle pour affronter et relever les nombreux défis de la région, sur le plan
ecclésial, social et politique. Cela suppose cependant une participation tangible
des membres aux activités de la Conférence, aussi bien en ce qui concerne le personnel
que les moyens financiers. « L’Eglise, Famille de Dieu, en Afrique de l’Ouest,
au service de la Réconciliation, de la Justice et de la Paix », tel est le thème que
vous avez choisi pour cette présente assemblée. Je voudrais m’y appuyer maintenant
pour formuler des attentes et vous suggérer quelques pistes d’actions, en lien avec
l’actualité de l’Eglise universelle et au contexte de votre région. L’Exhortation
Apostolique post-synodale Africae Munus a été publiée par le Pape Benoit XVI à Ouidah,
au Bénin, le 19 novembre dernier. A ce propos, la diffusion et la mise en application
au niveau diocésain, national et régional de cette importante Exhortation Apostolique
me parait être une des actions prioritaires que votre Conférence régionale pourrait
entreprendre dans l’immédiat. En fait, le thème de votre assemblée le suggère déjà,
puisqu’il s’inspire des résultats des deux Synodes spéciaux des Evêques sur l’Afrique,
et il concerne les enjeux d’avenir de votre société et de votre Eglise. La réconciliation
est une priorité pour l’Eglise en Afrique, qui doit aussi se réconcilier pour être
crédible dans son enseignement et dans son action sociale. C’est pourquoi, en m’appuyant
sur la proposition n.9 du dernier Synode, je vous recommande vivement de promouvoir
au niveau régional et diocésain une vraie pastorale de la Réconciliation. En effet,
« La réconciliation englobe une manière de vivre (spiritualité) et une mission. Pour
mettre en œuvre la spiritualité de la réconciliation, de la justice et de la paix,
l'Église a besoin de témoins profondément enracinés dans le Christ, nourris de sa
Parole et de ses sacrements. Ainsi, tendus vers la sainteté, grâce à une conversion
permanente et à une vie de prière intense, ils s'investiront dans l'œuvre de réconciliation,
de justice et de paix dans le monde, au besoin jusqu'au martyre, suivant l'exemple
du Christ. Par leur courage dans la vérité, leur abnégation et leur joie, ils donneront
un témoignage prophétique d'une conduite de vie en cohérence avec leur foi. » Je vous
invite également à suivre la recommandation du Pape Benoit XVI consistant à célébrer
tous les ans dans chaque pays africain « un jour ou une semaine de la réconciliation,
particulièrement durant le temps de l’avent ou de carême ». Votre Conférence régionale
pourra par ailleurs collaborer dans ce sens avec le S.C.E.A.M. pour promouvoir une
Année de la réconciliation au niveau continental. Un grand nombre de populations
de votre région sont victimes de guerres civiles, de conflits ethniques et religieux,
de crises politiques persistantes aux conséquences multiples et variées. De nombreuses
familles ont été disloquées, des personnes déplacées, vivant dans une extrême pauvreté
et une misère insupportable, foudroyés par la peur et l’insécurité, privés de leurs
droits fondamentaux. Malgré les avancées significatives qui ont été enregistrées,
la paix reste fragile dans certains de vos pays, car des éruptions intermittentes
de conflits persistent encore. L’Eglise doit donc poursuivre avec toujours plus d’efficacité
son effort de plaidoyer en faveur de la paix et relever le défi décisif de l’éducation
à la paix, comme l’a déclaré le Saint Père dans son homélie du 1er janvier
de cette année : « Pour la communauté ecclésiale, éduquer à la paix rentre dans la
mission reçue du Christ, fait partie intégrante de l’évangélisation, car l’Évangile
du Christ est aussi l’Évangile de la justice et de la paix ». Cette action qu’il serait
souhaitable de coordonner au niveau régional, sera menée surtout en direction des
jeunes qui représentent l’avenir de la société: « Il s’agit de communiquer aux jeunes
une appréciation de la valeur positive de la vie, en suscitant en eux le désir de
la dédier au service du Bien. C’est là une tâche qui nous engage tous personnellement.»
Je souhaite vivement, qu’éclairés par l’Evangile et l’Enseignement social de l’Eglise
vous puissiez ensemble élaborer un plan stratégique pertinent et opérationnel pour
instaurer une culture de la paix et de la réconciliation qui garantisse la stabilité
et le développement durable, pour le bien commun des populations de l’Afrique de l’Ouest.
L’année de la Foi, annoncée par le Pape le 11 octobre dernier est, quant à elle,
une occasion propice pour une réflexion et une action commune en ce qui concerne le
travail de l’évangélisation dans votre région. En plus d’être une invitation à une
conversion authentique et renouvelée au Seigneur, unique Sauveur du monde , cette
année constitue aussi un appel à poursuivre avec courage et en profondeur l’œuvre
d’évangélisation, car « Pour se tenir debout avec dignité, l’Afrique a besoin d’entendre
la voix du Christ qui proclame aujourd’hui l’amour de l’autre, même de l’ennemi, jusqu’au
don de sa propre vie, et qui prie aujourd’hui pour l’unité et la communion de tous
les hommes en Dieu (cf. Jn 17, 20-21). » . C’est par ailleurs une invitation pressante
à renforcer l’ardeur missionnaire de vos communautés, surtout en ce qui concerne la
missio ad gentes , qui doit aller de pair avec la nouvelle évangélisation. Pour atteindre
ces objectifs, « les conférences épiscopales sont encouragées à améliorer la qualité
de la formation catéchistique universelle comme celle des catéchismes et manuels locaux,
afin qu'ils soient parfaitement conformes au Catéchisme de l'Eglise catholique. La
même attention sera portée à l'utilisation des techniques de la communication et de
l'expression artistique: émissions de radio et télévision, films et publications sur
la foi et son contenu, sur la valeur ecclésiale de Vatican II, y compris pour le grand
public. Chers frères dans l’épiscopat, ce ne sont là que quelques suggestions que
je soumets à votre attention. Mais, vous le savez encore mieux que moi : les défis
sont nombreux et la tâche toujours plus grande et urgente. En ce tournant historique
de la vie de l’Eglise dans cette partie du Continent africain, je tiens particulièrement
à vous exhorter à vivre pleinement et en toute vérité la solidarité pastorale affective
et effective qui sous-tend la création de cette unique Conférence Régionale. Faites
tout ce qui est possible pour assurer un fonctionnement régulier et harmonieux à cette
nouvelle Conférence ! Elle est source d’espérance pour une plus grande fécondité de
l’activité missionnaire de l’Eglise locale et un moyen pour la consolidation de la
communion ecclésiale et de l’esprit collégial qui doit animer les évêques tant au
niveau national que régional. Je confie volontiers chacun d’entre vous, ainsi que
vos pays respectifs, à la sollicitude maternelle de la Vierge Marie, Notre Dame de
la Paix, afin que par son intercession et avec la Lumière de l’Esprit Saint, vous
viviez dans la paix et l’unité, et que la RECOWA-CERAO produise de nombreux fruits
pour le progrès humain et spirituel des populations de votre Région.