Texte intégral du discours prononcé par Benoît XVI, le 19 novembre, au palais présidentiel
de Cotonou, au cours de sa rencontre avec les membres du Gouvernement, les Représentants
des Institutions de la République, le Corps diplomatique et les Représentants des
principales religions
Monsieur le Président de la République, Mesdames
et Messieurs les représentants des Autorités civiles, politiques et religieuses, Mesdames
et Messieurs les Chefs de mission diplomatique, Chers frères dans l’Épiscopat,
Mesdames, Messieurs, chers amis,
DOO NUMI ! (salut solennel en fon) Vous avez
désiré, Monsieur le Président, m’offrir l’occasion de cette rencontre devant une assemblée
prestigieuse de personnalités. C’est un privilège que je sais apprécier, et je vous
remercie de grand cœur pour les aimables paroles que vous venez de m’adresser au nom
de l’ensemble du peuple béninois. Je remercie également Madame la représentante des
Corps Constitués pour ses mots de bienvenue. Je forme les vœux les meilleurs à l’intention
de toutes les personnalités présentes qui sont des acteurs de premier ordre, et à
différents niveaux, de la vie nationale béninoise. Souvent, dans mes interventions
antérieures, j’ai uni au mot Afrique celui d’espérance. Je l’ai fait à Luanda voici
deux ans et déjà dans un contexte synodal. Le mot espérance figure d’ailleurs plusieurs
fois dans l’Exhortation apostolique post-synodale Africae munus que je vais signer
tout à l’heure. Lorsque je dis que l’Afrique est le continent de l’espérance, je ne
fais pas de la rhétorique facile, mais j’exprime tout simplement une conviction personnelle,
qui est également celle de l’Église. Trop souvent, notre esprit s’arrête à des préjugés
ou à des images qui donnent de la réalité africaine une vision négative, issue d’une
analyse chagrine. Il est toujours tentant de ne souligner que ce qui ne va pas ; mieux
encore, il est facile de prendre le ton sentencieux du moralisateur ou de l’expert,
qui impose ses conclusions et propose, en fin de compte, peu de solutions adaptées.
Il est tout aussi tentant d’analyser les réalités africaines à la manière d’un ethnologue
curieux ou comme celui qui ne voit en elles qu’un énorme réservoir énergétique, minéral,
agricole et humain facilement exploitable pour des intérêts souvent peu nobles. Ce
sont là des visions réductrices et irrespectueuses, qui aboutissent à une chosification
peu convenable de l’Afrique et de ses habitants. J’ai conscience que les mots
n’ont pas partout le même sens. Mais, celui d’espérance varie peu selon les cultures.
Il y a quelques années déjà, j’ai consacré une Lettre encyclique à l’espérance chrétienne.
Parler de l’espérance, c’est parler de l’avenir, et donc de Dieu ! L’avenir s’enracine
dans le passé et le présent. Le passé, nous le connaissons bien, regrettant ses échecs
et saluant ses réalisations positives. Le présent, nous le vivons comme nous le pouvons.
Au mieux j’espère, et avec l’aide de Dieu ! C’est sur ce terreau composé de multiples
éléments contradictoires et complémentaires qu’il s’agit de construire avec l’aide
de Dieu. Chers amis, je voudrais lire, à la lumière de cette espérance qui doit
nous animer, deux réalités africaines qui sont d’actualité. La première se réfère
plutôt de manière générale à la vie sociopolitique et économique du continent, la
seconde au dialogue interreligieux. Ces réalités nous intéressent tous, car notre
siècle semble naître dans la douleur et avoir du mal à faire grandir l’espérance dans
ces deux domaines particuliers. Ces derniers mois, de nombreux peuples ont manifesté
leur désir de liberté, leur besoin de sécurité matérielle, et leur volonté de vivre
harmonieusement dans la différence des ethnies et des religions. Un nouvel État est
même né sur votre continent. Nombreux ont été également les conflits engendrés par
l’aveuglement de l’homme, par sa volonté de puissance et par des intérêts politico-économiques
qui font fi de la dignité des personnes ou de celle de la nature. La personne humaine
aspire à la liberté ; elle veut vivre dignement ; elle veut de bonnes écoles et de
la nourriture pour les enfants, des hôpitaux dignes pour soigner les malades ; elle
veut être respectée ; elle revendique une gouvernance limpide qui ne confonde pas
l’intérêt privé avec l’intérêt général ; et plus que tout, elle veut la paix et la
justice. En ce moment, il y a trop de scandales et d’injustices, trop de corruption
et d’avidité, trop de mépris et de mensonges, trop de violences qui conduisent à la
misère et à la mort. Ces maux affligent certes votre continent, mais également le
reste du monde. Chaque peuple veut comprendre les choix politiques et économiques
qui sont faits en son nom. Il saisit la manipulation, et sa revanche est parfois violente.
Il veut participer à la bonne gouvernance. Nous savons qu’aucun régime politique humain
n’est idéal, qu’aucun choix économique n’est neutre. Mais ils doivent toujours servir
le bien commun. Nous nous trouvons donc en face d’une revendication légitime qui touche
tous les pays, pour plus de dignité, et surtout pour plus d’humanité. L’homme veut
que son humanité soit respectée et promue. Les responsables politiques et économiques
des pays se trouvent placés devant des décisions déterminantes et des choix qu’ils
ne peuvent plus éviter. De cette tribune, je lance un appel à tous les responsables
politiques et économiques des pays africains et du reste du monde. Ne privez pas vos
peuples de l’espérance ! Ne les amputez pas de leur avenir en mutilant leur présent
! Ayez une approche éthique courageuse de vos responsabilités et, si vous êtes croyants,
priez Dieu de vous accorder la sagesse ! Cette sagesse vous fera comprendre qu’étant
les promoteurs de l’avenir de vos peuples, il faut devenir de vrais serviteurs de
l’espérance. Il n’est pas facile de vivre la condition de serviteur, de rester intègre
parmi les courants d’opinion et les intérêts puissants. Le pouvoir, quel qu’il soit,
aveugle avec facilité, surtout lorsque sont en jeu des intérêts privés, familiaux,
ethniques ou religieux. Dieu seul purifie les cœurs et les intentions. L’Église
n’apporte aucune solution technique et n’impose aucune solution politique. Elle répète
: n’ayez pas peur ! L’humanité n’est pas seule face aux défis du monde. Dieu est présent.
C’est là un message d’espérance, une espérance génératrice d’énergie, qui stimule
l’intelligence et donne à la volonté tout son dynamisme. Un ancien archevêque de Toulouse,
le Cardinal Saliège disait : « Espérer, ce n’est pas abandonner ; c’est redoubler
d’activité ». L’Église accompagne l’État dans sa mission ; elle veut être comme l’âme
de ce corps en lui indiquant inlassablement l’essentiel : Dieu et l’homme. Elle désire
accomplir, ouvertement et sans crainte, cette tâche immense de celle qui éduque et
soigne, et surtout de celle qui prie sans cesse (cf. Lc 18, 1), qui montre où est
Dieu (cf. Mt 6, 21) et où est l’homme véritable (cf. Mt 20, 26 et Jn 19, 5). Le désespoir
est individualiste. L’espérance est communion. N’est-ce pas là une voie splendide
qui nous est proposée ? J’y invite tous les responsables politiques, économiques,
ainsi que le monde universitaire et celui de la culture. Soyez, vous aussi, des semeurs
d’espérance ! Je voudrais maintenant aborder le second point, celui du dialogue
interreligieux. Il ne me semble pas nécessaire de rappeler les récents conflits nés
au nom de Dieu, et les morts données au nom de Celui qui est la Vie. Toute personne
de bon sens comprend qu’il faut toujours promouvoir la coopération sereine et respectueuse
des diversités culturelles et religieuses. Le vrai dialogue interreligieux rejette
la vérité humainement égocentrique, car la seule et unique vérité est en Dieu. Dieu
est la Vérité. De ce fait, aucune religion, aucune culture ne peut justifier l’appel
ou le recours à l’intolérance et à la violence. L’agressivité est une forme relationnelle
assez archaïque qui fait appel à des instincts faciles et peu nobles. Utiliser les
paroles révélées, les Écritures Saintes ou le nom de Dieu, pour justifier nos intérêts,
nos politiques si facilement accommodantes, ou nos violences, est une faute très grave.
Je ne peux connaître l’autre que si je me connais moi-même. Je ne peux l’aimer,
que si je m’aime moi-même (cf. Mt 22, 39). La connaissance, l’approfondissement et
la pratique de sa propre religion sont donc essentielles au vrai dialogue interreligieux.
Celui-ci ne peut que commencer par la prière personnelle sincère de celui qui désire
dialoguer. Qu’il se retire dans le secret de sa chambre intérieure (cf. Mt 6, 6) pour
demander à Dieu la purification du raisonnement et la bénédiction pour la rencontre
désirée. Cette prière demande aussi à Dieu le don de voir dans l’autre un frère à
aimer, et dans la tradition qu’il vit, un reflet de la vérité qui illumine tous les
hommes (Nostra Aetate 2). Il convient donc que chacun se situe en vérité devant Dieu
et devant l’autre. Cette vérité n’exclut pas, et elle n’est pas une confusion. Le
dialogue interreligieux mal compris conduit à la confusion ou au syncrétisme. Ce n’est
pas ce dialogue qui est recherché. Malgré les efforts accomplis, nous savons aussi
que, parfois, le dialogue interreligieux n’est pas facile, ou même qu’il est empêché
pour diverses raisons. Cela ne signifie en rien un échec. Les formes du dialogue interreligieux
sont multiples. La coopération dans le domaine social ou culturel peut aider les personnes
à mieux se comprendre et à vivre ensemble sereinement. Il est aussi bon de savoir
qu’on ne dialogue pas par faiblesse, mais nous dialoguons parce que nous croyons en
Dieu, le créateur et le père de tous les hommes. Dialoguer est une manière supplémentaire
d’aimer Dieu et le prochain dans l'amour de la vérité (cf. Mt 22, 37) . Avoir
de l’espérance, ce n’est pas être ingénu, mais c’est poser un acte de foi en Dieu,
Seigneur du temps, Seigneur aussi de notre avenir. L’Église catholique met ainsi en
œuvre l’une des intuitions du Concile Vatican II, celle de favoriser les relations
amicales entre elle et les membres de religions non-chrétiennes. Depuis des décennies,
le Conseil Pontifical qui en a la gestion, tisse des liens, multiplie les rencontres,
et publie régulièrement des documents pour favoriser un tel dialogue. L’Église tente
de la sorte de réparer la confusion des langues et la dispersion des cœurs nées du
péché de Babel (cf. Gn 11). Je salue tous les responsables religieux qui ont eu l’amabilité
de venir ici me rencontrer. Je veux les assurer, ainsi que ceux des autres pays africains,
que le dialogue offert par l’Église catholique vient du cœur. Je les encourage à promouvoir,
surtout parmi les jeunes, une pédagogie du dialogue, afin qu’ils découvrent que la
conscience de chacun est un sanctuaire à respecter, et que la dimension spirituelle
construit la fraternité. La vraie foi conduit invariablement à l’amour. C’est dans
cet esprit que je vous invite tous à l’espérance. Ces considérations générales
s’appliquent de façon particulière à l’Afrique. Sur votre continent, nombreuses sont
les familles dont les membres professent des croyances différentes, et pourtant les
familles restent unies. Cette unité n’est pas seulement voulue par la culture, mais
c’est une unité cimentée par l’affection fraternelle. Il y a naturellement parfois
des échecs, mais aussi beaucoup de réussites. Dans ce domaine particulier, l’Afrique
peut fournir à tous matière à réflexion et être ainsi une source d’espérance. Pour
finir, je voudrais utiliser l’image de la main. Cinq doigts la composent, et ils sont
bien différents. Chacun d’eux pourtant est essentiel, et leur unité forme la main.
La bonne entente entre les cultures, la considération non condescendante des unes
pour les autres, et le respect des droits de chacune sont un devoir vital. Il faut
l’enseigner à tous les fidèles des diverses religions. La haine est un échec, l’indifférence
une impasse, et le dialogue une ouverture ! N’est-ce pas là un beau terrain où seront
semées des graines d’espérance ? Tendre la main signifie espérer pour arriver, dans
un second temps, à aimer. Quoi de plus beau qu’une main tendue ? Elle a été voulue
par Dieu pour offrir et recevoir. Dieu n’a pas voulu qu’elle tue (cf. Gn 4, 1ss) ou
qu’elle fasse souffrir, mais qu’elle soigne et qu’elle aide à vivre. À côté du cœur
et de l’intelligence, la main peut devenir, elle aussi, un instrument du dialogue.
Elle peut faire fleurir l’espérance, surtout lorsque l’intelligence balbutie et que
le cœur trébuche. Selon les Saintes Écritures, trois symboles décrivent l’espérance
pour le chrétien : le casque, car il protège du découragement (cf. 1 Th 5, 8), l’ancre
sûre et solide qui fixe en Dieu (cf. Hb 6, 19), et la lampe qui permet d’attendre
l’aurore d’un jour nouveau (cf. Lc 12, 35-36). Avoir peur, douter et craindre, s’installer
dans le présent sans Dieu, ou encore n’avoir rien à attendre, sont autant d’attitudes
étrangères à la foi chrétienne (cf. saint Jean Chrysostome, Homélie XIV sur l’Epitre
aux Romains, n. 6, PG 45, 941C) et, je crois, à toute autre croyance en Dieu. La foi
vit le présent, mais attend les biens futurs. Dieu est dans notre présent, mais il
vient aussi de l’avenir, lieu de l’espérance. La dilatation du cœur est non seulement
l’espérance en Dieu, mais aussi l’ouverture au souci des réalités corporelles et temporelles
pour glorifier Dieu. À la suite de Pierre dont je suis le successeur, je souhaite
que votre foi et votre espérance soient en Dieu (cf. 1 P 1, 21). C’est là le vœu que
je formule pour l’Afrique tout entière, elle qui m’est si chère ! Aie confiance, Afrique,
et lève toi ! Le Seigneur t’appelle. Que Dieu vous bénisse ! Merci.