Discours prononcé par Benoît XVI jeudi matin à Assise
Traduction française du discours prononcé par le Pape Benoît XVI, le jeudi 27 octobre,
en la Basilique Sainte Marie des Anges à Assise
Responsables et Représentants
des Églises et des Communautés ecclésiales et des Religions du monde, Chers amis,
Vingt-cinq années se sont écoulées depuis que le bienheureux Pape Jean-Paul II
a invité pour la première fois des représentants des religions du monde à Assise pour
une prière pour la paix. Que s’est-il passé depuis ? Où en est aujourd’hui la cause
de la paix ? Alors la grande menace pour la paix dans le monde venait de la division
de la planète en deux blocs s’opposant entre eux. Le symbole visible de cette division
était le mur de Berlin qui, passant au milieu de la ville, traçait la frontière entre
deux mondes. En 1989, trois années après Assise, le mur est tombé – sans effusion
de sang. Subitement, les énormes arsenaux, qui étaient derrière le mur, n’avaient
plus aucune signification. Ils avaient perdu leur capacité de terroriser. La volonté
des peuples d’être libres était plus forte que les arsenaux de la violence. La question
des causes de ce renversement est complexe et ne peut trouver une réponse dans de
simples formules. Mais à côté des faits économiques et politiques, la cause la plus
profonde de cet événement est de caractère spirituel : derrière le pouvoir matériel
il n’y avait plus aucune conviction spirituelle. La volonté d’être libres fut à la
fin plus forte que la peur face à la violence qui n’avait plus aucune couverture spirituelle.
Nous sommes reconnaissants pour cette victoire de la liberté, qui fut aussi surtout
une victoire de la paix. Et il faut ajouter que dans ce contexte il ne s’agissait
pas seulement, et peut-être pas non plus en premier lieu, de la liberté de croire,
mais il s’agissait aussi d’elle. Pour cette raison nous pouvons relier tout cela de
quelque façon aussi à la prière pour la paix. Mais qu’est ce qui est arrivé par
la suite ? Malheureusement nous ne pouvons pas dire que depuis lors la situation soit
caractérisée par la liberté et la paix. Même si la menace de la grande guerre n’est
pas en vue, toutefois, malheureusement, le monde est plein de dissensions. Ce n’est
pas seulement le fait que ici et là à maintes reprises des guerres ont lieu – la violence
comme telle est potentiellement toujours présente et caractérise la condition de notre
monde. La liberté est un grand bien. Mais le monde de la liberté s’est révélé en grande
partie sans orientation, et même elle est mal comprise par beaucoup comme liberté
pour la violence. La dissension prend de nouveaux et effrayants visages et la lutte
pour la paix doit tous nous stimuler de façon nouvelle. Cherchons à identifier
d’un peu plus près les nouveaux visages de la violence et de la dissension. À grands
traits – à mon avis – on peut identifier deux typologies différentes de nouvelles
formes de violence qui sont diamétralement opposées dans leur motivation et qui manifestent
ensuite dans les détails de nombreuses variantes. Tout d’abord il y a le terrorisme
dans lequel, à la place d’une grande guerre, se trouvent des attaques bien ciblées
qui doivent toucher l’adversaire dans des points importants de façon destructrice,
sans aucun égard pour les vies humaines innocentes qui sont ainsi cruellement tuées
ou blessées. Aux yeux des responsables, la grande cause de la volonté de nuire à l’ennemi
justifie toute forme de cruauté. Tout ce qui dans le droit international était communément
reconnu et sanctionné comme limite à la violence est mis hors jeu. Nous savons que
souvent le terrorisme est motivé religieusement et que justement le caractère religieux
des attaques sert de justification pour la cruauté impitoyable, qui croit pouvoir
reléguer les règles du droit en faveur du « bien » poursuivi. Ici la religion n’est
pas au service de la paix, mais de la justification de la violence. La critique
de la religion, à partir des Lumières, a à maintes reprises soutenu que la religion
fut cause de violence et ainsi elle a attisé l’hostilité contre les religions. Qu’ici
la religion motive de fait la violence est une chose qui, en tant que personnes religieuses,
doit nous préoccuper profondément. D’une façon plus subtile, mais toujours cruelle,
nous voyons la religion comme cause de violence même là où la violence est exercée
par des défenseurs d’une religion contre les autres. Les représentants des religions
participants en 1986 à Assise entendaient dire – et nous le répétons avec force et
grande fermeté : ce n’est pas la vraie nature de la religion. C’est au contraire son
travestissement et il contribue à sa destruction. Contre ceci, on objecte : mais d’où
savez-vous ce qu’est la vraie nature de la religion ? Votre prétention ne dérive-t-elle
pas peut-être du fait que parmi vous la force de la religion s’est éteinte ? Et d’autres
objecteront : mais existe-t-il vraiment une nature commune de la religion qui s’exprime
dans toutes les religions et qui est donc valable pour toutes ? Nous devons affronter
ces questions si nous voulons contester de façon réaliste et crédible le recours à
la violence pour des motifs religieux. Ici se place une tâche fondamentale du dialogue
interreligieux – une tâche qui doit être de nouveau soulignée par cette rencontre.
Comme chrétien, je voudrais dire à ce sujet : oui, dans l’histoire on a aussi eu recours
à la violence au nom de la foi chrétienne. Nous le reconnaissons, pleins de honte.
Mais il est absolument clair que ceci a été une utilisation abusive de la foi chrétienne,
en évidente opposition avec sa vraie nature. Le Dieu dans lequel nous chrétiens nous
croyons est le Créateur et Père de tous les hommes, à partir duquel toutes les personnes
sont frères et sœurs entre elles et constituent une unique famille. La Croix du Christ
est pour nous le signe de Dieu qui, à la place de la violence, pose le fait de souffrir
avec l’autre et d’aimer avec l’autre. Son nom est « Dieu de l’amour et de la paix
» (2 Co 13, 11). C’est la tâche de tous ceux qui portent une responsabilité pour la
foi chrétienne, de purifier continuellement la religion des chrétiens à partir de
son centre intérieur, afin que – malgré la faiblesse de l’homme – elle soit vraiment
un instrument de la paix de Dieu dans le monde. Si une typologie fondamentale
de violence est aujourd’hui motivée religieusement, mettant ainsi les religions face
à la question de leur nature et nous contraignant tous à une purification, une seconde
typologie de violence, à l’aspect multiforme, a une motivation exactement opposée
: c’est la conséquence de l’absence de Dieu, de sa négation et de la perte d’humanité
qui va de pair avec cela. Les ennemis de la religion – comme nous l’avons dit – voient
en elle une source première de violence dans l’histoire de l’humanité et exigent alors
la disparition de la religion. Mais le « non » à Dieu a produit de la cruauté et une
violence sans mesure, qui a été possible seulement parce que l’homme ne reconnaissait
plus aucune norme et aucun juge au-dessus de lui, mais il se prenait lui-même seulement
comme norme. Les horreurs des camps de concentration montrent en toute clarté les
conséquences de l’absence de Dieu. Toutefois, je ne voudrais pas m’attarder ici
sur l’athéisme prescrit par l’État ; je voudrais plutôt parler de la « décadence »
de l’homme dont la conséquence est la réalisation, d’une manière silencieuse et donc
plus dangereuse, d’un changement du climat spirituel. L’adoration de l’argent, de
l’avoir et du pouvoir, se révèle être une contre-religion, dans laquelle l’homme ne
compte plus, mais seulement l’intérêt personnel. Le désir de bonheur dégénère, par
exemple, dans une avidité effrénée et inhumaine qui se manifeste dans la domination
de la drogue sous ses diverses formes. Il y a les grands, qui avec elle font leurs
affaires, et ensuite tous ceux qui sont séduits et abîmés par elle aussi bien dans
leur corps que dans leur esprit. La violence devient une chose normale et menace de
détruire dans certaines parties du monde notre jeunesse. Puisque la violence devient
une chose normale, la paix est détruite et dans ce manque de paix l’homme se détruit
lui-même. L’absence de Dieu conduit à la déchéance de l’homme et de l’humanisme.
Mais où est Dieu ? Le connaissons-nous et pouvons-nous Le montrer de nouveau à l’humanité
pour fonder une vraie paix ? Résumons d’abord brièvement nos réflexions faites jusqu’ici.
J’ai dit qu’il existe une conception et un usage de la religion par lesquels elle
devient source de violence, alors que l’orientation de l’homme vers Dieu, vécue avec
droiture, est une force de paix. Dans ce contexte, j’ai renvoyé à la nécessité du
dialogue, et j’ai parlé de la purification, toujours nécessaire, de la religion vécue.
D’autre part, j’ai affirmé que la négation de Dieu corrompt l’homme, le prive de mesures
et le conduit à la violence. À côté des deux réalités de religion et d’anti-religion,
il existe aussi, dans le monde en expansion de l’agnosticisme, une autre orientation
de fond : des personnes auxquelles n’a pas été offert le don de pouvoir croire et
qui, toutefois, cherchent la vérité, sont à la recherche de Dieu. Des personnes de
ce genre n’affirment pas simplement : « Il n’existe aucun Dieu ». Elles souffrent
à cause de son absence et, cherchant ce qui est vrai et bon, elles sont intérieurement
en marche vers Lui. Elles sont « des pèlerins de la vérité, des pèlerins de la paix
». Elles posent des questions aussi bien à l’une qu’à l’autre partie. Elles ôtent
aux athées militants leur fausse certitude, par laquelle ils prétendent savoir qu’il
n’existe pas de Dieu, et elles les invitent à devenir, plutôt que polémiques, des
personnes en recherche, qui ne perdent pas l’espérance que la vérité existe et que
nous pouvons et devons vivre en fonction d’elle. Mais elles mettent aussi en cause
les adeptes des religions, pour qu’ils ne considèrent pas Dieu comme une propriété
qui leur appartient, si bien qu’ils se sentent autorisés à la violence envers les
autres. Ces personnes cherchent la vérité, elles cherchent le vrai Dieu, dont l’image
dans les religions, à cause de la façon dont elles sont souvent pratiquées, est fréquemment
cachée. Qu’elles ne réussissent pas à trouver Dieu dépend aussi des croyants avec
leur image réduite ou même déformée de Dieu. Ainsi, leur lutte intérieure et leur
interrogation sont aussi un appel pour les croyants à purifier leur propre foi, afin
que Dieu – le vrai Dieu – devienne accessible. C’est pourquoi, j’ai invité spécialement
des représentants de ce troisième groupe à notre rencontre à Assise, qui ne réunit
pas seulement des représentants d’institutions religieuses. Il s’agit plutôt de se
retrouver ensemble dans cet être en marche vers la vérité, de s’engager résolument
pour la dignité de l’homme et de servir ensemble la cause de la paix contre toute
sorte de violence destructrice du droit. En conclusion, je voudrais vous assurer
que l’Église catholique ne renoncera pas à la lutte contre la violence, à son engagement
pour la paix dans le monde. Nous sommes animés par le désir commun d’être « des pèlerins
de la vérité, des pèlerins de la paix ».