Traduction intégrale du discours prononcé par le Pape le vendredi 19 août, au monastère
de l'Escorial près de Madrid, au cours de sa rencontre avec les jeunes professeurs
des universités espagnoles
Monsieur le Cardinal Archevêque de Madrid, Chers
frères dans l’Épiscopat, Chers Pères Augustins, Chers Professeurs, Autorités,
Chers amis, J’attendais avec joie cette rencontre avec vous, jeunes professeurs
des universités espagnoles, vous qui prêtez une magnifique collaboration à la diffusion
de la vérité, dans des circonstances qui ne sont pas toujours faciles. Je vous salue
cordialement et je vous remercie pour les aimables paroles de bienvenue, ainsi que
pour la musique exécutée, qui a résonné de façon merveilleuse dans ce monastère d’une
grande beauté artistique, témoignage éloquent pour les siècles d’une vie de prière
et d’étude. En ce lieu significatif la foi et la raison se sont fondues harmonieusement
dans la pierre austère pour modeler l’un des monuments les plus renommés d’Espagne. Je
salue aussi avec une affection particulière ceux qui, ces jours-ci, ont participé
à Avila au Congrès mondial des universités catholiques, sur le thème : « Identité
et mission de l’université catholique ». En étant parmi vous, me reviennent à
l’esprit mes premiers pas comme professeur à l’université de Bonn. Quand on constatait
encore les blessures de la guerre et que les carences matérielles étaient nombreuses,
tout était remplacé par un vif désir d’une activité passionnante, le contact avec
des collègues des diverses disciplines et le souhait de répondre aux inquiétudes ultimes
et fondamentales des étudiants. Cette « universitas », que j’ai vécue alors, de professeurs
et d’étudiants qui ensemble cherchent la vérité dans tous les savoirs, ou, comme aurait
dit Alphonse X le Sage, cette « union de maîtres et d’étudiants avec la volonté
et l’objectif d’apprendre les savoirs » (Siete partidas, partida II, tit. XXXI), rend
clair le projet jusqu’à la définition de l’Université. Dans le thème des présentes
Journées Mondiales de la Jeunesse «Enracinés et fondés en Christ, affermis dans la
foi » (Col 2, 7), vous pourrez trouver aussi la lumière pour mieux comprendre votre
être et ce que vous devez faire. Avec cette pensée, et comme je l’ai déjà écrit dans
le Message aux jeunes en préparation à ces journées, les mots « enracinés, fondés
et affermis » orientent vers des fondements solides pour la vie (cf. n. 2). Mais,
où les jeunes trouveront-ils ces points de référence dans une société émiettée et
instable ? Parfois on estime que la mission d’un professeur universitaire est aujourd’hui
exclusivement de former des professionnels compétents et efficaces qui puissent satisfaire
la demande du marché du travail à tout moment précis. On affirme également que l’unique
chose que l’on doit privilégier dans la conjoncture actuelle est la pure capacité
technique. Certainement, cette vision utilitaire de l’éducation, même universitaire,
répandue spécialement dans des milieux extra-universitaires, s’installe aujourd’hui.
Sans aucun doute, vous qui avez vécu comme moi l’université, et qui la vivez maintenant
comme enseignants, vous sentez sans doute le désir de quelque chose d’autre de plus
élevé qui corresponde à toutes les dimensions qui constituent l’homme. Nous savons
que quand la seule utilité et le pragmatisme immédiat s’érigent en critère principal,
les pertes peuvent être dramatiques : des abus d’une science sans limites, bien au-delà
d’elle-même, jusqu’au totalitarisme politique qui se ravive facilement quand on élimine
toute référence supérieure au simple calcul de pouvoir. Au contraire, l’idée authentique
d’université est précisément celle qui nous préserve de cette vision réductrice et
détachée de l’humain. En réalité, l’université a été et est encore appelée à être
toujours la maison où se cherche la vérité propre de la personne humaine. Pour cette
raison ce n’est pas par hasard que l’Église a promu l’institution universitaire, justement
parce que la foi chrétienne nous parle du Christ comme le Logos par lequel tout a
été fait (cf. Jn 1,3), et de l’être humain créé à l’image et à la ressemblance de
Dieu. Cette bonne nouvelle découvre une rationalité dans tout le créé et regarde l’homme
comme une créature qui participe et peut parvenir à reconnaître cette rationalité.
L’université incarne, donc, un idéal qui ne doit pas perdre sa vertu ni à cause d’idéologies
fermées au dialogue rationnel, ni par servilité envers une logique utilitaire de simple
marché, qui voit l’homme comme un simple consommateur. C’est là votre mission
importante et vitale. C’est vous qui avez l’honneur et la responsabilité de transmettre
cet idéal universitaire, un idéal que vous avez reçu de vos prédécesseurs, dont beaucoup
d’humbles disciples de l’Évangile et qui, en tant que tels, se sont convertis en géants
de l’esprit. Nous devons nous sentir leurs continuateurs dans une histoire bien distincte
de la leur, mais dans laquelle les questions essentielles de l’être humain continuent
à réclamer notre attention et nous poussent à aller de l’avant. Avec eux, nous nous
sentons unis à cette chaîne d’hommes et de femmes qui se sont engagés à proposer et
à rendre crédible la foi devant l’intelligence des hommes. Et la façon de le faire
ne signifie pas seulement l’enseigner, mais encore plus le vivre, l’incarner, de sorte
que le Logos lui-même s’incarne pour placer sa demeure parmi nous. En ce sens, les
jeunes ont besoin de maîtres authentiques ; des personnes ouvertes à la vérité
totale dans les différentes branches du savoir, sachant écouter et vivant à l’intérieur
d’elles-mêmes ce dialogue interdisciplinaire ; des personnes convaincues, surtout,
de la capacité humaine d’avancer sur le chemin vers la vérité. La jeunesse est le
temps privilégié pour la recherche et la rencontre de la vérité. Comme le disait Platon
: « Cherche la vérité tant que tu es jeune, parce que si tu ne le fais pas, ensuite
elle t’échappera des mains » (Parménide, 135d). Cette haute aspiration est la plus
valable que vous puissiez transmettre personnellement et vitalement à vos étudiants,
et pas simplement quelques techniques matérielles et anonymes, ou quelques froides
données, utilisées seulement de façon fonctionnelle. Aussi je vous exhorte de
tout cœur à ne jamais perdre cette sensibilité et ce désir ardent de la vérité ; à
ne pas oublier que l’enseignement n’est pas une communication aride de contenus, mais
une formation des jeunes que vous devrez comprendre et rechercher, chez lesquels vous
devez susciter cette soif de vérité qu’ils ont au plus profond d’eux-mêmes et qu’ils
cherchent à assouvir. Soyez pour eux un encouragement et une force. Pour ce motif,
il faut tenir à l’esprit, en premier lieu, que le chemin vers la vérité complète engage
aussi l’être humain tout entier : c’est un chemin de l’intelligence et de l’amour,
de la raison et de la foi. Nous ne pouvons pas avancer dans la connaissance de quelqu’un
si l’amour ne nous anime pas, ni non plus aimer quelqu’un dans lequel nous ne voyons
pas de rationalité, étant donné que « il n’y a pas l’intelligence puis l’amour :
il y a l’amour riche d’intelligence et l’intelligence pleine d’amour » (Caritas
in veritate, n. 30). Si la vérité et le bien restent unis, de même la connaissance
et l’amour. De cette unité découle la cohérence de vie et de pensée, l’exemplarité
qu’on exige de tout bon éducateur. En second lieu, il faut considérer que la vérité
elle-même est toujours au-delà de nos efforts. Nous pourrons la chercher et nous approcher
d’elle, mais nous ne pouvons pas la posséder totalement, ou mieux c’est elle qui se
propose à nous et elle qui nous motive. Dans l’œuvre intellectuelle et d’enseignement,
l’humilité est une vertu indispensable, qui nous protège de la vanité, laquelle ferme
à l’accès à la vérité. Nous ne devons pas attirer les étudiants à nous-mêmes, mais
les mettre en route vers cette vérité que tous nous recherchons. Dans cette tâche
le Seigneur vous aidera, lui qui vous demande d’être prévenants et efficaces comme
le sel, comme la lampe qui donne de la lumière sans faire de bruit (cf. Mt 5, 13-15).
Tout ceci nous invite à tourner toujours notre regard vers le Christ, sur le
visage duquel resplendit la Vérité qui nous illumine, mais qui est aussi le Chemin
qui nous conduit à une plénitude durable, puisqu’il est le Voyageur qui est à nos
côtés et qui nous soutient de son amour. Liés à lui, vous serez de bons guides pour
nos jeunes. Avec cette espérance, je vous confie à la protection de la Vierge Marie,
Trône de la Sagesse, pour qu’elle fasse de vous des collaborateurs de son Fils par
une vie pleine d’attention pour vos semblables et féconde en fruits, aussi bien de
connaissance que de foi, pour vos étudiants.