2011-08-16 11:18:22

“Afrique cherche souveraineté alimentaire désespérément !”


La majeure partie des pays africains ont déjà 50 ans d’indépendance. Cet âge autorise à atteindre la plus élémentaire des souverainetés, celle alimentaire. Il continue de ne pas en être ainsi. Telle la pointe immergée de l’iceberg, l’actuelle crise dans la Corne de l’Afrique vient nous rappeler que des millions de personnes en Afrique, encore aujourd’hui, courent le danger de la mort à cause de la faim et de la malnutrition ; et que les causes d’une telle crise peuvent êtres profondes et cachées.

Il y a deux ans déjà, les révoltes de la faim en divers endroits d’Afrique, en avaient donné un aperçu. Et ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler « le printemps arabe » peut en avoir été une des conséquences. « Printemps arabe » ? Il vaudrait peut-être mieux dire « printemps africain » tant, depuis le Mali des années 1990 à la Tunisie et l’Egypte de cette année, c’est la force des places qui a conduit au renversement de ceux des régimes dont l’attention à leurs peuples n’était pas le premier des soucis.

Mais de la mèche allumée en décembre dernier en Tunisie, nous avons peu entendu parler. Peut-être est-ce dû au fait que des enfants squelettiques accrochés au sein de mamans faméliques font plus d’effet sur les écrans des grandes chaînes de télévision. Que ces images-là font plus d’effet, touchent plus de cœurs et suscitent, à la fin, plus d’élans d’une générosité qui, même si toujours tardive et insuffisante, est tout de même à préférer au néant de l’inaction.

L’espérance serait que toutes ces violences subies, ces souffrances endurées par tant d’hommes et de femmes dans le monde ne soient pas vaines. Que cette grande turbulence pousse les dirigeants à évaluer avec plus de conscience la dimension de cet iceberg et, finalement, à trouver le courage et les instruments à même de garantir la sécurité alimentaire au niveau mondial : pour les Africains et pour tous les affamés du monde.

Mais, interrogeons-nous, qui sont ces dirigeants?
Il s’agit d’abord des gouvernements africains. Au-delà des différences de formes et d’appartenances traditionnelles, ils devraient se sentir plus profondément liés, par un destin commun, à leurs citoyens. C’est à eux qu’échoit en priorité le devoir d’analyser la situation et d’adopter les stratégies à bref, moyen et long termes pour assurer le pain quotidien à leurs peuples.

Malgré les guerres et les bouleversements climatiques, ils ont à disposition les instruments pour y parvenir. Parce que l’Afrique dispose de ressources naturelles à suffisance pour désaffamer l’ensemble sa population. Il suffit de penser que seuls les 14% des terres arables africaines sont effectivement mises en valeur aujourd’hui !

Mais une politique agricole africaine globale, qui permettrait le transfert des ressources des régions fertiles vers celles plus pauvres, exige dans le même temps une plus grande unité. L’Union africaine, c’est indéniable, a engagé de grands pas dans cette direction. La sécurité alimentaire et nutritionnelle de tous les Etats est un des piliers porteurs de son NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement économique de l’Afrique), institué il y a dix ans. Et en 2003, à Maputo (Mozambique) un sommet continental a insisté sur la priorité de l’agriculture et s’acheva par un protocole engageant les Etats à réserver au moins 10% de leurs budgets à ce secteur.

Dommage qu’à l’heure qu’il est, pas même une dizaine des 54 membres de l’Union africaine n’aient pas atteint un objectif !

Pourtant le secteur agricole occupe la majorité des actifs africains, et plus de 50% des habitants de la planète. Un tel poids peine encore à être pris en considération, au point que chaque jour davantage, les populations rurales se déversent vers les villes, causant une pauvreté généralisée.

« Il n’est nul besoin de faire de grands discours et de grandes proclamations s’ils ne sont pas accompagnés de mesures concrètes et si les acteurs du monde agricole ne sont pas associés à la prise des décisions fondamentales pour l’évaluation des stratégies fondamentales ou leur mise en application », martèle à nos micros le Sénégalais Mamoudou Cissokho, figure de premier plan du mouvement paysan africain. Les quelques « mesurettes » adoptées jusqu’ici, selon lui, ne sont pas à la hauteur des défis, dont le plus grand est celui d’amener les gouvernants africains à comprendre qu’il faut agir à la manière des puissances mondiales et des Pays émergents : injecter des investissements publics massifs dans l’agriculture, et laisser le secteur privé libre d’intervenir ensuite dans l’agro-industrie et dans la distribution.
Mais les grandes agences internationales, Banque Mondiale et FMI en tête, insistent plutôt sur les investissements privés comme seule recette capable de conduire au développement économique. Et les Chefs d’Etat africains suivent ! Résultats : loin de parvenir à l’autonomie et à la souveraineté alimentaires – sans lesquelles il serait illusoire de parler de ‘Souveraineté nationale’- des millions d’hectares des meilleures terres d’Afrique sont bradées à des investisseurs étrangers, pour un bail de 99 ans, et pour produire des cultures d’exportation.

Fleurs, céréales pour biocarburants et autres produits alimentaires destinés à d’autres peuples, quittent ainsi l’Afrique de la malnutrition et de la faim.

Ajoutons à cela les subventions de l’Union Européenne à ses propres agriculteurs. Elles conduisent à inonder les marchés africains de produits à bas-prix : une violation claire ‘des droits des peuples’ pour reprendre une expression du Pape Jean-Paul II ; « un crime contre le paysan africain qui devrait pouvoir vivre du fruit de son travail », renchérit pour sa part Mamoudou Cissokho. A nos micros, le Sénégalais exhorte les leaders religieux, musulmans y compris, à s’exprimer pour faire que les choses puissent, enfin, changer.

S’exprimer, l’Eglise le fait depuis des années. De l’Encyclique Populorum Progressio du Pape Paul VI à Caritas in Veritate de Benoît XVI, la Doctrine sociale de l’Eglise n’est qu’invites à une meilleure justice sociale. L’assemblée spéciale du Synode des Evêques pour l’Afrique, tenue au Vatican en octobre 2009, souligne dans le chapitre « Terre et Eau » contenu dans les Propositions finales que « la production des biens d’exportation ne doit pas mettre en danger la sécurité alimentaire ni les besoins des générations futures ».

Durant l’Angélus du dimanche 31 juillet dernier, Benoît XVI a lancé le énième appel afin que la nourriture soit garantie de manière permanente, et davantage lors des situations d’extrême nécessité comme celle que nous vivons dans la Corne de l’Afrique aujourd’hui. Caritas-Afrique a immédiatement mis à disposition 25.000 euros. Et pour sa part, dans l’esprit « un peuple, une nation », la Conférence épiscopale du Kenya a institué un fonds pour les victimes de la sécheresse sur le territoire kenyan et dans les autres pays de la sous-région.

Au niveau politique, une sensibilité particulière a été démontrée par un pays comme le Gabon, qui a mis à disposition de la FAO 2,5 millions de dollars pour les victimes de la sécheresse à l’Est du continent. La semaine dernière, l’Union Africaine a débloqué une enveloppe de 300.000 dollars pour la seule Somalie, pays le plus touché, programmant finalement sa conférence des donateurs pour le 25 août (elle était prévue le 9).

Les propositions se multiplient donc chaque jour, signe d’un continent qui bouge, c’est vrai, mais au ralenti. Son organisme le plus représentatif, l’Union Africaine, semble un géant aux pieds d’argile. De l’Afrique, terre de prédilection de la solidarité élevée en une de ses caractéristiques les plus belles aux yeux du monde, on se serait attendu à beaucoup plus et à beaucoup mieux. Car les ventres affamés ne peuvent pas attendre.

Combien sont-ils, les mères et les enfants qui perdront la vie ? Combien de bébés resteront marqués à jamais par les effets négatifs de la malnutrition ? Personne ne peut le dire, mais ce que nous savons de manière certaine par contre, est que c’est la bonne volonté des dirigeants africains et des leaders mondiaux qui sauvera les affamés et mettront finalement l’Afrique sur la voie de la souveraineté alimentaire. Produire pour les besoins nationaux et consommer, là où c’est possible, les produits locaux et non ceux qui sont importés : voilà la voie.

Outre l’Eglise, la plate-forme des paysans africains continue elle aussi de faire pression sur les politiques, y compris pour ce qui est de l’accaparement des terres agricoles par les investisseurs étrangers. « Ce sont des mouvements nationaux et régionaux qui mènent cette bataille quotidienne depuis au moins trente ans, mais d’une manière de plus en plus organisée », rappelle Mamoudou Cissokho.

Dans son livre, “ Dieu n’est pas un paysan ” (Présence africaine, Paris 2009), il rapporte les énormes difficultés que rencontrent les organisations militant pour une justice alimentaire aussi bien auprès des dirigeants africains que des organisations internationales. La route est donc longue et pavée d’embûches. Elle requiert du concret et de la pondération, car elle se fait par étape.

Les échecs du passé et la crise mondiale montrent clairement une réalité complexe, qui ne devrait sans doute pas se contenter des formules simplistes et des poncifs que les organisations internationales continuent de nous asséner de jour en jour. Pour le cas spécifique de l’Afrique, Mamoudou Cissokho met en garde : « sous le prétexte du retard, il ne s’agit pas d’aller faire des choix peu judicieux ; il n’est jamais trop tard ! Depuis plus de 50 ans, une organisation comme l’Union Européenne programme sa politique agricole commune, ajustant les choses au gré des fluctuations du moment. »

Les Etats-Unis font de même. L’Afrique doit seulement savoir planifier son propre cheminement, impliquer tous les protagonistes du secteur par des mécanismes d’évaluation adéquats. C’est ce qu’a su faire un Lula da Silva au Brésil avec son programme de ‘la Faim zéro’. Pour l’érudit sénégalais, le cas brésilien reste pour les gouvernants africains un exemple à suivre sur la voie de la sagesse politique. Apprendre des autres ; suivre les pratiques qui ont conduit à de bons résultats ailleurs en les adaptant au contexte physique, social et culturel africain : voilà une autre leçon pour le continent.

Il est à espérer que quelqu’un la fasse sienne pour que, comme disait Jean-Paul II en 1985 à Lima (Pérou), l’Afrique et le monde n’aient plus faim de pain mais faim de Dieu.

(par Maria Dulce Araújo Évora – Programme Portugais/ Radio Vatican).







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