Benoît XVI inquiet pour l'avenir de l'humanité dominée par la technique
En recevant, jeudi 9 juin au Vatican, six nouveaux Ambassadeurs (Moldavie, Guinée
équatoriale, Belize, Syrie, Ghana et Nouvelle Zélande), venus lui présenter leurs
lettres de créance, le Pape a évoqué les innombrables tragédies qui ont récemment
touché la nature, la technique et les peuples. Sans jamais nommer la catastrophe de
Fukushima, au Japon, il a exhorté les États à entamer une réflexion sur l’avenir à
court terme de la planète, en s’interrogeant sur la juste place de la technique. Hélène
Destombes
Texte
intégral du discours du Pape
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
C’est
avec joie que je vous reçois ce matin au Palais apostolique pour la présentation des
Lettres qui vous accréditent comme Ambassadeurs extraordinaires et plénipotentiaires
de vos pays respectifs auprès du Saint-Siège : la Moldavie, la Guinée Equatoriale,
le Belize, la République arabe syrienne, le Ghana et la Nouvelle Zélande. Je vous
remercie pour les paroles courtoises que vous venez de m’adresser de la part de vos
Chefs d’Etat respectifs. Veuillez, je vous prie, leur transmettre en retour mes salutations
déférentes et mes vœux respectueux pour leurs personnes et pour la haute mission qu’ils
accomplissent au service de leur pays et de leur peuple. Je désire également saluer
par votre intermédiaire toutes les autorités civiles et religieuses de vos nations,
ainsi que l’ensemble de vos compatriotes. Mes prières et mes pensées se tournent naturellement
aussi vers les communautés catholiques présentes dans vos pays. Puisque j’ai l’opportunité
de rencontrer chacun d’entre vous de manière particulière, je désire maintenant parler
plus largement. Le premier semestre de cette année a été marqué par d’innombrables
tragédies qui ont touché la nature, la technique et les peuples. L’ampleur de telles
catastrophes nous interroge. C’est l’homme qui est premier, il est bon de le rappeler.
L’homme, à qui Dieu a confié la bonne gestion de la nature, ne peut pas être dominé
par la technique et devenir son sujet. Une telle prise de conscience doit amener les
Etats à réfléchir ensemble sur l’avenir à court terme de la planète, face à leurs
responsabilités à l’égard de notre vie et des technologies. L’écologie humaine est
une nécessité impérative. Adopter en tout une manière de vivre respectueuse de l’environnement
et soutenir la recherche et l’exploitation d’énergies propres qui sauvegardent le
patrimoine de la création et sont sans danger pour l’homme, doivent être des priorités
politiques et économiques. Dans ce sens, il s’avère nécessaire de revoir totalement
notre approche de la nature. Elle n’est pas uniquement un espace exploitable ou ludique.
Elle est le lieu natif de l’homme, sa "maison" en quelque sorte. Elle nous est essentielle.
Le changement de mentalité dans ce domaine, voire les contraintes que cela entraine,
doit permettre d’arriver rapidement à un art de vivre ensemble qui respecte l’alliance
entre l’homme et la nature, sans laquelle la famille humaine risque de disparaître.
Une réflexion sérieuse doit donc être conduite et des solutions précises et viables
doivent être proposées. L’ensemble des gouvernants doit s’engager à protéger la nature
et l’aider à remplir son rôle essentiel pour la survie de l’humanité. Les Nations
Unies me semblent être le cadre naturel d’une telle réflexion qui ne devra pas être
obscurcie par des intérêts politiques et économiques aveuglément partisans, afin de
privilégier la solidarité par rapport à l’intérêt particulier. Il convient aussi
de s’interroger sur la juste place de la technique. Les prouesses dont elle est capable
vont de pair avec des désastres sociaux et écologiques. En dilatant l’aspect relationnel
du travail à la planète, la technique imprime à la mondialisation un rythme particulièrement
accéléré. Or, le fondement du dynamisme du progrès revient à l’homme qui travaille,
et non à la technique qui n’est qu’une création humaine. Miser tout sur elle ou croire
qu’elle est l’agent exclusif du progrès, ou du bonheur, entraîne une chosification
de l’homme qui aboutit à l’aveuglement et au malheur quand celui-ci lui attribue et
lui délègue des pouvoirs qu’elle n’a pas. Il suffit de constater les "dégâts" du progrès
et les dangers que fait courir à l’humanité une technique toute-puissante et finalement
non maîtrisée. La technique qui domine l’homme, le prive de son humanité. L’orgueil
qu’elle engendre a fait naître dans nos sociétés un économisme intraitable et un certain
hédonisme qui détermine subjectivement et égoïstement les comportements. L’affaiblissement
du primat de l’humain entraîne un égarement existentiel et une perte du sens de la
vie. Car la vision de l’homme et des choses sans référence à la transcendance déracine
l’homme de la terre et, plus fondamentalement, en appauvrit l’identité même. Il est
donc urgent d’arriver à conjuguer la technique avec une forte dimension éthique, car
la capacité qu’a l’homme de transformer, et, en un sens, de créer le monde par son
travail s’accomplit toujours à partir du premier don originel des choses fait par
Dieu (Jean-Paul II Centesimus annus, 37). La technique doit aider la nature à s’épanouir
dans la ligne voulue par le Créateur. En travaillant ainsi, le chercheur et le scientifique
adhèrent au dessein de Dieu qui a voulu que l’homme soit le sommet et le gestionnaire
de la création. Des solutions basées sur ce fondement protégeront la vie de l’homme
et sa vulnérabilité, ainsi que les droits des générations présentes et à venir. Et
l’humanité pourra continuer de bénéficier des progrès que l’homme, par son intelligence,
parvient à réaliser. Conscients du risque que court l’humanité face à une technique
vue comme une "réponse" plus efficiente que le volontarisme politique ou le patient
effort d’éducation pour civiliser les mœurs, les gouvernants doivent promouvoir un
humanisme respectueux de la dimension spirituelle et religieuse de l’homme. Car la
dignité de la personne humaine ne varie pas avec la fluctuation des opinions. Respecter
son aspiration à la justice et à la paix permet la construction d’une société qui
se promeut elle-même, quand elle soutient la famille ou qu’elle refuse, par exemple,
le primat exclusif de la finance. Un pays vit de la plénitude de la vie des citoyens
qui le composent, chacun étant conscient de ses propres responsabilités et pouvant
faire valoir ses propres convictions. Bien plus, la tension naturelle vers le vrai
et vers le bien est source d’un dynamisme qui engendre la volonté de collaborer pour
réaliser le bien commun. Ainsi la vie sociale peut s’enrichir constamment en intégrant
la diversité culturelle et religieuse par le partage de valeurs, source de fraternité
et de communion. La vie en société devant être considérée avant tout comme une réalité
d’ordre spirituel, les responsables politiques ont la mission de guider les peuples
vers l’harmonie humaine et vers la sagesse tant désirées, qui doivent culminer dans
la liberté religieuse, visage authentique de la paix. Alors que vous débutez votre
mission auprès du Saint-Siège, je tiens à vous assurer, Excellences, que vous trouverez
toujours auprès de mes collaborateurs l’écoute attentive et l’aide dont vous pourrez
avoir besoin. Sur vous-même, sur vos familles, sur les membres de vos Missions diplomatiques
et sur toutes les nations que vous représentez, j’invoque l’abondance des Bénédictions
divines.