2011-05-16 12:24:00

Abus sexuels. Circulaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi


LETTRE CIRCULAIRE
pour aider les Conférences épiscopales à établir des Directives pour
le traitement des cas d’abus sexuel commis par des clercs à l’égard de mineurs

L’obligation de donner une réponse adéquate aux cas éventuels d’abus sexuel commis à l’égard de mineurs par des clercs dans son diocèse, figure parmi les responsabilités importantes de l’Évêque diocésain, en vue d’assurer le bien commun des fidèles, et la protection des enfants et des jeunes en particulier. Cette réponse implique la mise en place de procédures appropriées pour aider les victimes de ces abus, ainsi que la formation de la communauté chrétienne en vue de la protection des mineurs. Elle devra assurer l’application de la législation canonique en la matière et simultanément tenir compte des dispositions du droit civil.

I. Aspects généraux
:


a) Les victimes d’abus sexuel :

À travers la personne de l’Évêque ou de son délégué, l’Église doit se montrer prête à écouter les victimes et leurs familles, ainsi qu’à s’engager à leur fournir une assistance spirituelle et psychologique. Au cours de ses voyages apostoliques, le Pape Benoît XVI a donné un exemple particulièrement important de par sa disponibilité à rencontrer et à écouter les victimes d’abus sexuel. Lors de ces rencontres, le Saint-Père a voulu s’adresser aux victimes avec des paroles de compassion et de réconfort, comme le montrent ses propos dans la Lettre Pastorale aux catholiques d’Irlande (n. 6) : «
Vous avez terriblement souffert et j’en suis profondément désolé. Je sais que rien ne peut effacer le mal que vous avez subi. Votre confiance a été trahie, et votre dignité a été violée ».

b) La protection des mineurs :

Dans certains pays, des programmes éducatifs de prévention ont été initiés au sein de l’Église, afin d’assurer un « environnement sûr » pour les mineurs. Ces programmes visent à aider les parents et les agents pastoraux ou ceux qui travaillent dans le monde scolaire, dans l’identification des signes d’abus sexuel et l’adoption de mesures adéquates. Souvent ces programmes ont été reconnus comme des modèles dans l’engagement visant à mettre fin aux cas d’abus sexuel sur des mineurs dans les sociétés actuelles.

c) La formation des futurs prêtres et religieux :

Le Pape Jean Paul II a déclaré en 2002 : « Il n’y a pas de place dans le sacerdoce et dans la vie religieuse pour quiconque pourrait faire du mal aux jeunes » (Discours aux Cardinaux des États-Unis d’Amérique, n° 3, 23 avril 2002). Ces paroles rappellent la responsabilité particulière des Évêques, des Supérieurs majeurs et de ceux qui sont responsables de la formation des futurs prêtres et religieux. Les indications données dans l’exhortation apostolique Pastores dabo vobis, ainsi que les instructions des Dicastères compétents du Saint-Siège, acquièrent une importance croissante pour un juste discernement de la vocation et pour une saine formation humaine et spirituelle des candidats. En particulier, on s’emploiera à faire apprécier aux candidats la valeur de la chasteté et du célibat. De même, on leur fera prendre conscience des responsabilités liées à la paternité spirituelle du clerc, tout en les aidant à approfondir leur connaissance de la discipline de l’Église en ce domaine. Des indications plus spécifiques peuvent être intégrées dans les programmes de formation des séminaires et des maisons de formation prévus dans la Ratio institutionis sacerdotalis de chaque nation et Institut de Vie Consacrée et Société de Vie Apostolique.

En outre, un soin particulier sera réservé à l’obligation d’échanger des informations sur les candidats au sacerdoce ou à la vie religieuse qui passent d’un séminaire à un autre, entre différents diocèses ou entre les instituts religieux et les diocèses.

d) L’accompagnement des prêtres :

1. L’Évêque a le devoir de considérer tous ses prêtres comme un père et un frère. En outre, il veillera, avec une attention particulière, à la formation permanente du clergé, surtout au cours des premières années après l’ordination sacrée, en mettant l’accent sur l’importance de la prière et du soutien mutuel dans la fraternité sacerdotale. On informera les prêtres du dommage causé à la victime d’abus sexuels par un ecclésiastique et de sa responsabilité au plan canonique et civil. On lui enseignera aussi à reconnaître ce qui pourrait être les signes d’abus éventuels commis par quiconque sur des mineurs ;

2. Les Évêques feront tout ce qui est requis pour traiter les cas d’abus qui leur sont signalés, selon la discipline canonique et civile, dans le respect des droits de toutes les parties ;
3. Le clerc accusé bénéficie de la présomption d’innocence jusqu’à preuve du contraire, même si l’Évêque peut, par mesure de précaution, limiter l’exercice de son ministère, en attendant de clarifier les accusations dont il est l’objet. Le cas échéant, on fera tout pour réhabiliter la bonne réputation du clerc qui a été injustement accusé.

e) La coopération avec les autorités civiles :

L’abus sexuel de mineurs n’est pas seulement un délit au plan canonique. C’est aussi un crime qui fait l’objet de poursuites au plan civil. Bien que les rapports avec les autorités civiles diffèrent selon les pays, il est cependant important de coopérer avec elles dans le cadre des compétences respectives. En particulier, on suivra toujours les prescriptions des lois civiles en ce qui concerne le fait de déférer les crimes aux autorités compétentes, sans porter atteinte au for interne sacramentel. Bien sûr, cette coopération ne se limite pas aux seuls cas d’abus commis par les clercs ; elle concerne également les cas d’abus impliquant le personnel religieux et laïc qui travaille dans les structures ecclésiastiques.

II. Résumé succinct de la législation canonique en vigueur concernant le délit d’abus sexuel de mineurs commis par un clerc :
Le 30 avril 2001, le Pape Jean Paul II a promulgué le motu proprio Sacramentorum sanctitatis tutela [SST], par lequel l’abus sexuel commis par un clerc sur un mineur de 18 ans fut inséré dans la liste des delicta graviora réservés à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi [CDF]. La prescription pour ce délit fut fixée à 10 ans à partir du moment où la victime accomplit ses 18 ans. Cette normative du motu proprio est valable tant pour les clercs de rite latin que pour ceux de rite oriental, ainsi que pour le clergé diocésain et religieux.
En 2003, le cardinal Ratzinger, alors Préfet de la CDF, a obtenu du Pape Jean Paul II la concession de certaines facultés spéciales pour offrir une plus grande flexibilité dans les procédures pénales concernant les delicta graviora, entre autres le recours au procès pénal administratif et la requête de démission ex officio dans les cas les plus graves. Ces facultés furent intégrées dans la révision du motu proprio, approuvée par le Pape Benoît XVI le 21 mai 2010. Selon les nouvelles normes, la prescription est portée à 20 ans. Dans le cas d’abus de mineur, elle commence à courir à partir du moment où la victime accomplit ses 18 ans. La CDF peut éventuellement y déroger dans des cas particuliers. On a également spécifié le délit canonique d’acquisition, de possession ou de divulgation de matériel pédopornographique.

La responsabilité du traitement des cas d’abus sexuels sur des mineurs est d’abord du ressort des Évêques ou des Supérieurs majeurs. Si l’accusation paraît vraisemblable, l’Évêque, le Supérieur majeur ou leur délégué doivent procéder à une enquête préliminaire, selon can. 1717 CIC, can. 1468 CCEO et l’art. 16 SST.
Si l’accusation est jugée crédible, le cas doit être déféré à la CDF. Après l’avoir examiné, la CDF indiquera à l’Évêque ou au Supérieur majeur les pas ultérieurs à accomplir. Dans le même temps, la CDF donnera des orientations pour que des mesures appropriées soit prises, à la fois en vue de garantir un procès équitable à l’égard des clercs accusés, dans le respect de leur droit fondamental à la défense, et pour la sauvegarde du bien de l’Église, y compris celui des victimes. Il est utile de rappeler que l’imposition d’une peine perpétuelle, comme la dimissio de l’état clérical, exige normalement un procès judiciaire pénal. Selon le droit canonique (cf. can. 1342 CIC), les Ordinaires ne peuvent infliger de peines perpétuelles par décrets extrajudiciaires. À cette fin, ils doivent s’adresser à la CDF, à laquelle revient le jugement définitif quant à la culpabilité et à la non-idonéité éventuelle du clerc pour le ministère, ainsi que l’imposition subséquente d’une peine perpétuelle (SST, art. 21, § 2).
Les mesures canoniques appliquées à un clerc reconnu coupable d’abus sexuel sur un mineur sont généralement de deux genres :
1) des mesures qui restreignent le ministère public de manière complète ou qui excluent du moins tout contact avec les mineurs. Ces mesures peuvent être accompagnées par un précepte pénal ;
2) les peines ecclésiastiques, dont la plus grave est la dimissio de l’état clérical.
Dans certains cas, à la demande du clerc lui-même, la dispense des obligations inhérentes à l’état clérical, y compris le célibat, peut être concédée pro bono Ecclesiae.
L’enquête préliminaire et tout le procès doivent être menés dans le respect de la protection de la confidentialité des personnes concernées et avec l’attention requise à leur réputation.
À moins de graves raisons contraires, le clerc accusé doit être informé de l’accusation portée contre lui, afin d’avoir la possibilité d’y répondre, avant que le cas soit déféré à la CDF. Avec prudence, l’Évêque ou le Supérieur majeur déterminera les informations qui devront être communiquées à l’accusé lors de l’enquête préliminaire.
Il est du devoir de l’Évêque ou du Supérieur majeur de pourvoir au bien commun en fixant les mesures de précaution à prendre, comme le prévoient le can. 1722 CIC et le can. 1473 CCEO. Conformément à l’art. 19 SST, ces mesures doivent être prises une fois commencée l’enquête préliminaire.
Enfin, il convient de rappeler que, lorsqu’une Conférence épiscopale veut se doter de normes spécifiques, sous réserve de l’approbation du Saint-Siège, cette normative particulière doit être comprise comme un complément à la législation universelle et non s’y substituer. La normative particulière doit donc être en harmonie avec le CIC / CCEO et avec le motu proprio Sacramentorum sanctitatis tutela (30 avril 2001), tel qu’il a été mis à jour le 21 mai 2010. Au cas où la Conférence déciderait d’établir des normes contraignantes, elle devra demander la recognitio aux Dicastères compétents de la Curie romaine.

III. Indications aux Ordinaires sur la manière de procéder :

Les Directives préparées par la Conférence épiscopale devraient offrir des orientations aux Évêques diocésains et aux Supérieurs majeurs, dans le cas où ils seraient informés d’abus sexuels présumés de mineurs commis par des prêtres présents sur le territoire de leur juridiction. Ces Directives devront tenir compte des observations suivantes :

a.) la notion d’« abus sexuels sur des mineurs » doit correspondre à la définition donnée par le motu proprio SST, art. 6 («le délit contre le sixième commandement du Décalogue commis par un clerc avec un mineur de moins de dix-huit ans»), ainsi qu’à la pratique interprétative et à la jurisprudence de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, en tenant compte des lois civiles du pays ;
b.) la personne qui dénonce le délit doit être traitée avec respect. Dans les cas où l’abus sexuel est lié à un autre délit contre la dignité du sacrement de la Pénitence (SST, art. 4), le plaignant a le droit d’exiger que son nom ne soit pas communiqué au prêtre qu’il accuse (SST, 24) ;
c.) les autorités ecclésiastiques doivent s’engager à fournir une assistance spirituelle et psychologique aux victimes ;
d.) l’enquête sur les accusations doit être menée dans le respect de la sphère privée et de la réputation des personnes ;
e.) à moins de graves raisons contraires, le clerc accusé sera informé des accusations dès la phase de l’enquête préliminaire, en lui offrant l’opportunité d’y répondre ;
f.) les organes consultatifs de surveillance et de discernement des cas individuels, prévus en certains pays, ne doivent pas se substituer au discernement et à la potestas regiminis de chaque Évêque ;

g.) les Directives doivent tenir compte de la législation du pays où se trouve la Conférence épiscopale, en particulier en ce qui concerne l’éventuelle obligation d’informer les autorités civiles ;

h.) lors de toutes les étapes des procédures disciplinaires ou pénales, le clerc accusé devra bénéficier d’un moyen de subsistance digne et équitable ;

i.) est exclu un retour du clerc au ministère public, si ce ministère présente un danger pour les mineurs ou un scandale pour la communauté.

Conclusion :

Les Directives préparées par les Conférences épiscopales visent à protéger les mineurs et à aider les victimes à trouver assistance et réconciliation. Elles devront indiquer que la responsabilité du traitement des délits d’abus sexuels sur mineurs de la part de clercs appartient en premier lieu à l’Évêque diocésain. Enfin, ces Directives devront contribuer à une approche commune au sein d’une même Conférence épiscopale, en aidant à harmoniser au mieux les efforts de chaque Évêque dans la protection des mineurs.


Palais du Saint-Office, 3 mai 2011








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