Nucléaire : discernement, responsabilité, solidarité même pour l’Afrique
Des enseignements à tirer de la série d’incidents qui ont affecté l’une des 49 centrales
nucléaires du Japon, il en est un qui reste constant dans la préoccupation de l’Eglise
: la solidarité au sein de la famille humaine. Ici et là même en Afrique, une réflexion
se fait jour et une conduite se réajuste pour une manière différente de considérer
la technologie du nucléaire et son usage pour le futur, c’est vrai. Mais de Paul VI,
qui invitait à l’attention pour l’environnement pour ne pas risquer notre autodestruction,
à Jean-Paul II qui parle, lui, d’une «nouvelle solidarité» (dans son Message pour
la Journée mondiale de la Paix 1990) et au Pape actuel Benoît XVI pour qui, face à
la création, l’homme doit activer une «solidarité mondiale» (Benoît XVI, Message pour
la Journée mondiale de la Paix 2010), l’Eglise n’a eu de cesse de prôner la responsabilité
de l’homme face à son habitat naturel. Certes Fukushima, ses menaces, ne sont pas
le fruit d’une volonté délibérée. Mais les effets induits par les fuites radioactives
sur l’état global du monde, ramènent au même devoir de responsabilité et, donc, à
la solidarité.
En 1990, Jean-Paul II parlait de «crise écologique» et, en soulignant
que celle-ci avait un caractère principalement éthique, il indiquait «la nécessité
morale urgente d’une solidarité nouvelle», rappelle le Pape Benoît XVI. La triple
catastrophe qui a blessé le Japon le 11 mars, avec un tremblement de terre suivi d’un
tsunami causant de graves dégâts aux implantations de production nucléaires de Fukushima
Daiichi, a suscité l’émotion de tous. Il ne pouvait d’ailleurs en être autrement.
Même dans notre monde gavé d’images de toutes les horreurs et où le destin de l’homme
s’évalue plus par la capacité à susciter l’émotion par les écrans de télévision, le
spectacle d’un Japon technologiquement avancé mais en proie aux éléments et à l’emballement
de la science ne pouvait laisser personne indifférent.
Nous avons été, grâce
aux moyens modernes de communication, les témoins d’un drame qui s’est consumé sous
nos yeux en temps réel. Aussi, plus que la question du pour ou contre le nucléaire,
c’est à un élan d’ensemble, une réflexion qui n’épargne aucun pan d’humanité, que
ces événements nous invitent. Ce drame nucléaire re-souligne, s’il en était besoin,
l’incontournable responsabilité dans l’intelligence que l’homme, tout placé qu’il
soit au centre de la Création, doit exercer sur ce don gratuit que Dieu lui a fait.
Centralité de l’homme, responsabilité et discernement induisent ce que l’Eglise
n’a jamais cessé de prôner : la solidarité. Co-substantielles, les notions
de centralité de l’homme face à la création et de responsabilité dans la gestion des
ressources forment, avec le devoir de solidarité, un cercle vertueux que la question
posée par le défi nucléaire replacent aux yeux de tous, sans exception. Du reste,
même dans l’activation mécanique des processus de coopération bilatérale, le drame
japonais a vu se lever même en Afrique des élans d’une générosité de toute beauté.
Des dons en nature ou sous forme de contributions financières aux secouristes japonais
ont été posés par de nombreux Etats africains. Dire qu’ils sont pauvres ne rend pas
le geste exceptionnel, mais l’ennoblit de la conscience que nous sommes tous un en
humanité. Et pour sa part, le gouvernement japonais ne s’est pas réfugié derrière
la difficulté de l’épreuve : des messages viennent d’être adressés à des gouvernements
africains (Sénégal, Congo-Brazzaville etc…) d’abord pour remercier, ensuite pour confirmer
que les engagements pris seront maintenus. Notamment dans le soutien aux programmes
scolaires et les secteurs de l’éducation de l’Afrique.
L’Afrique n’échappe
donc pas à son devoir de solidarité, mais elle n’est pas exonérée non plus du devoir
d’intelligence sur la question du nucléaire. Ne serait-ce qu’en raison du fait
que les effets induits par le contrôle malaisé des émanations nucléaires japonaises
se jouent des passeports, des cultures et des frontières. La catastrophe qui se consume
là-bas est étalée aux yeux de tous et se donne donc à comprendre chez tous dans sa
gravité présente ou dans son risque potentiel. Mais en plus, continent des matières
premières par excellence, l’Afrique peut aussi avoir été la terre d’origine de l’uranium
qui brûle là-bas au Japon. Et puis, n’est-ce pas cela aussi la mondialisation : un
monde qui se découvre vaste et ouvert à la circulation des biens et des marchandises
à défaut des personnes ? Quelle que soit la distance, donc, il n’est pas de catastrophe
nucléaire qui ait lieu au Japon qui ne concerne pas l’Afrique et n’engage pas la responsabilité
de l’humain face à la création.
Une douzaine de pays, de l’Egypte au Soudan,
en passant par le Nigéria et l’Afrique du Sud, ont manifesté la volonté légitime de
se doter de la technologie nucléaire à des fins de production électrique. Certains
l’ont obtenue. Le nucléaire civil, révélé dans sa phase rebelle par les difficultés
à Fukushima, reste une ressource et une solution pour des pays dont la pluviométrie
irrégulière, les dysfonctionnements des centrales à charbon, les aléas des technologies
lourdes en consommation de fuel, peinent à fournir avec constance l’électricité dont
dépendent crucialement leurs ambitions de développement. Mais l’Eglise rappelle –
et ce rappel acquiert une force égale devant les nations, quel que soit leur degré
de développement – que le discernement est la boussole du bien. Bien qu’évitant d’entrer
dans des solutions techniques spécifiques, l’Église, «experte en humanité», s’empresse
de rappeler avec force l’attention sur la relation entre le Créateur, l’être humain
et la création.
L’accident nucléaire japonais n’a pas été provoqué par
une inattention de l’homme face à la nature. Mais il souligne les risques d’une technologie
qui ne laisse pas les acquéreurs se séparer sur une poignée de main une fois livrée
l’usine clé en main. La vigilance de tous les instants reste la règle, et elle engage
au moins autant de compétence chez les acquéreurs que chez les vendeurs. Ce qui renvoie
au principe de responsabilité. Pour soi et pour les autres. Tous ceux qui partagent
le même espace de vie, quels que soient les races et le génie d’organisation de leur
société, participent du même devoir de se tenir par la main, étant tous une même famille
de Dieu. Il est symptomatique que par deux fois, en 1945 et en 2011, le Japon
ait expérimenté les effets néfastes du nucléaire : la première, c’était par la volonté
de l’homme d’infliger du mal pour prétendument en arrêter un autre; la deuxième fois
c’est la nature qui a éprouvé la solidité du savoir-faire de l’homme. Mais entre les
deux phases pourtant, c’est toujours l’humain qui a pâti.
«L’humanité a besoin
d’un profond renouvellement culturel ; elle a besoin de redécouvrir les valeurs qui
constituent le fondement solide sur lequel bâtir un avenir meilleur pour tout» (Benoît
XVI: “ Si tu veux construire la paix, protège la création ”. Message pour la Journée
mondiale de la Paix 2010).
(par Albert Mianzoukouta, du program français
pour l'Afrique)