DIFFERENTES LECTURES DE LA CRISE EN AFRIQUE DU NORD
La crise qui enflamme l'Afrique du Nord montre que la communauté internationale est
resté prisonnier d'un concept du 18ème siècle pour ce qui concerne l'Afrique
comme sujet politique et son rôle géostratégique, considérée comme une région, un
simple appendice de l'histoire du monde, un simple paragraphe de la géopolitique mondiale. Les
médias internationaux ont parlé de « la révolution arabe » l’associant directement
à la diffusion du fondamentalisme islamique Ils ont déformé la réalité des pays
concernés, qui sont, en premier lieu, des pays africains et membres, à plein titre,
de l’Union Africaine (une institution qui représente le continent africain et qui
est reconnue dans l’organigramme de la Communauté Internationale) En outre, il
ne faut pas oublier que l'Algérie, la Libye, le Maroc et la Tunisie ne sont pas les
seuls pays arabes du continent africain et que, d'autres pays africains connaissent
des crises politiques de grande envergure ( Mauritanie, Mozambique, Sénégal, Afrique
du Sud, etc) .. Cette représentation est apparue dans la gestion de crise libyenne,
pays membre de l'Union africaine et la soi-disant «coalition des volontaires», qui
se compose principalement de certains pays européens et les États-Unis. Bien que
la Charte des Nations Unies prévoit le rôle primordial des organisations régionales
dans la gestion des crises locales, la stratégie adoptée jusqu'à présent par la coalition
« euro-américaine » ne prévoit pas la participation de l'UA avec un rôle de premier
plan dans le processus d'interposition entre les parties en conflit en Libye. L'approche
actuelle de l'Europe continue de considérer l'Afrique du Nord comme une région étrangère
du reste du continent, et de la placer avec plus de facilité dans le Moyen Orient.
Une vision qui ignore l'importance de l'Afrique au sud du Sahara, touchée par des
manifestations similaires dans les rues, et en projetant une image de la «fragmentation»
du continent. Une vision qui ne vise pas, à long terme le bien-être des populations
africaines, mais qui est favorable aux intérêts stratégiques et à la sécurité du
monde occidental qui chercher : d'une part d'assurer l'équilibre géopolitique au Moyen-Orient,
et d’autre part, accéder aux ressources énergétiques locales.
Mais, comment
l'UA aurait préféré gérer la révolution en Afrique du Nord, et particulièrement dans
la Jamahiriya libyen?
Le projet de "renaissance du continent", le NEPAD,
lancé au début du nouveau millénaire par les chefs d'Etat africains, comprend des
réformes pour le développement politique de l’Afrique, la recherche de la paix, la
réconciliation nationale, le renforcement des droits de l’homme, à travers des processus
qui conduisent à un pluralisme institutionnel et à des élections libres et populaires.
La Libye est un pays important pour l'UA ainsi que pour l'équilibre géostratégique
et économique du continent tout entier. En conformité avec les directives du NEPAD,
les dirigeants de l'UA sont engagés en faveur de transition pacifique vers un nouveau
régime dans les Etats membres à travers la recherche de solutions consensuelles, plutôt
que l'utilisation de la violence. Depuis des années, un dialogue informel a été
ouvert, sous l’égide de l’UA, visant la pacification de différents groupes qui composent
la société libyenne, afin de répondre aux aspirations légitimes du peuple. En
outre, suite à l'explosion de violence en Février, mais avant la décision de l’ONU
d’instaurer des zones d'exclusion aérienne et d’intervenir milirairement, l'UA avait
déjà lancé des négociations pour un cessez le feu immédiat entre le Conseil national
de transition (CNT) de Benghazi et les autorités de Tripoli. Une mission de cinq
chefs d'Etat africains a également fourni une feuille de route de l'Organisation,
notamment en vue de conduire un dialogue entre le colonel Kadhafi et les insurgés.
Il n'est donc pas étonnant que l'action militaire ait été condamné de manière
explicite par la quasi-totalité des chefs d'Etat africains (y compris les plus critiques
du régime de Kadhafi) et les populations, qui ont manifesté à Dakar et dans d'autres
villes africaines. A plusieurs reprises, le Président de la Commission de l'UA,
Jean Ping, a déclaré que le dialogue entre les parties en conflit était indispensable
pour rétablir la paix et préserver l'intégrité territoriale de la Libye. L'UA
a également souligné l'importance de maintenir l'embargo sur les armes, d'atténuer
la haine et de créer un nouveau pacte politique, culturelle et religieuse de la population.
Le tissu social qui pouvait servir de base à la réconciliation nationale et au
renforcement de l'État de droit est désormais compromis en raison de l'explosion
de violence interne et la réponse inadéquate donnée par les États-Unis et en Europe.
D'autre part, l'utilisation de la violence politique pose également des problèmes
en termes de reconnaissance politique de la nouvelle coalition à la tête de la Libye
en fonction du statut de l'UA qui ne peut pas reconnaître un gouvernement qui a pris
le pouvoir par les armes..
Une perspective d'une véritable coopération entre
l’occident et l’Afrique doit tenir compte de l'évolution des politiques africaines.
D'où la nécessité d’un regard dynamique, qui prenne en considération les structures
sociales locales. Aujourd'hui, les hommes et les femmes africains font entendre
leur voix et parlent ouvertement de la violence systématique des puissances dominantes,
conscient de la nécessité de lutter contre la pauvreté abjecte de l'époque contemporaine,
dominée par l'Evangile »du marché où l'argent a la valeur absolue. Des populations
entières, privées de droits politiques, font montre de leur potentiel de protestation
collective, elles résistent à la tentation de se rendre devant la répression contre
les soi-disant «régimes de fer." L'Afrique est un continent en pleine effervescence,
qui risque d'imploser si on ne donne pas une réponse globale, appropriée aux questions
spécifiques - et pas du tout idéologique - des populations dans la tourmente continue.
De la révolution idéologique, nous sommes passés aux soulèvements populaires,
inspirées par les exigences pratiques et légitimes. Les revendications d'aujourd'hui
ne sont pas la prise du pouvoir, mais plutôt le pain quotidien, les médicaments,
la justice sociale, le travail, de la démocratie ... Ce sont des comportements
sociaux qui ne peuvent être comprises que par la reconnaissance, quoique dans une
perspective de la vision globale du continent, des expériences et réalités qui caractérisent
les sociétés africaines. Avec l'intervention des puissances européennes, ces
réalités ont été en quelque sorte «délibérément tenus à l'écart" de l'Afrique et la
région Nord du continent a été considérée comme une réalité qui ne concerne pas le
reste du continent, pour défendre un concept occidental de "sécurité" sans tenir
des aspirations profondes à la paix, le développement et la liberté des peuples africains.
Nous pouvons donc conclure que l'Afrique du Nord, à l'exception de l'Algérie,
est tout simplement passé à coté, avec vingt ans de retard, par rapport à d'autres
régions du continent, du vent de la libéralisation de l'espace politique et social.
Le facteur d'innovation dans les derniers mois n'est pas, par conséquent, la mobilisation
de places, mais la surprise qui semble avoir pris à la fois les États-Unis et l’Europe,
dans le cas de la Tunisie, et la décision d'une action directe en Libye, sans tenir
compte du point de vue de l'Union l'Afrique. Selon la sensibilité africaine, la
solution optée par les Alliés occidentaux dans la crise libyenne (contre un dirigeant
qui a fait preuve d'une politique étrangère indépendante de la volonté des puissances
occidentales) est associée à la peur du retour du fantôme de "Patrice Lumumba" Leader
de la République démocratique du Congo des années cinquante, victime et symbole de
cette stratégie visant à éliminer systématiquement tous les politiciens qui se démarque,
après l’indépendance des intérêts des puissances extérieures. Plus que jamais,
la plupart de dirigeants africains se demandent si un système de partenariat est
encore possible entre les Etats permettant aux dirigeants africains une certaine "indépendance
intellectuelle" sans subir le même sort de Lumumba, Cabral, Thomas Sankara….
(Edité
par Filomeno Lopes, du programme portugais pour l'Afrique de Radio Vatican).