2011-02-22 12:26:26

Message du Pape pour le Carême


«Ensevelis avec le Christ lors du Baptême,
vous en êtes aussi ressuscités avec lui» (Cf. Col 2, 12)
Chers Frères et Soeurs,
Le Carême, qui nous conduit à la célébration de la Pâques très Sainte, constitue pour
l’Eglise un temps liturgique vraiment précieux et important. Aussi est-ce avec plaisir que je vous adresse ce message, afin que ce Carême puisse être vécu avec toute l’ardeur nécessaire. Dans l’attente de la rencontre définitive avec son Epoux lors de la Pâque éternelle, la Communauté ecclésiale intensifie son chemin de purification dans l’esprit, par une prière assidue et une charité active, afin de puiser avec plus d’abondance, dans le Mystère de la Rédemption, la vie nouvelle qui est dans le Christ Seigneur (cf. Préface I de Carême).

1. Cette vie nous a déjà été transmise le jour de notre Baptême lorsque, «devenus
participants de la mort et de la résurrection du Christ», nous avons commencé «l'aventure
joyeuse et exaltante du disciple» (Homélie en la Fête du Baptême du Seigneur, 10 janvier
2010). Dans ses épîtres, Saint Paul insiste à plusieurs reprises sur la communion toute
particulière avec le Fils de Dieu, qui se réalise au moment de l’immersion dans les eaux
baptismales. Le fait que le Baptême soit reçu le plus souvent en bas-âge, nous indique
clairement qu’il est un don de Dieu: Nul ne mérite la vie éternelle par ses propres forces. La
miséricorde de Dieu, qui efface le péché et nous donne de vivre notre existence avec «les
mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus» (Ph 2,5), est communiquée à l’homme
gratuitement.
Dans sa lettre aux Philippiens, l’Apôtre des Gentils nous éclaire sur le sens de la
transformation qui s’effectue par la participation à la mort et à la résurrection du Christ, en nous
indiquant le but poursuivi: «le connaître lui, avec la puissance de sa résurrection et la
communion à ses souffrances, lui devenir conforme dans sa mort, afin de parvenir si possible
à ressusciter d’entre les morts» (Ph 3, 10-11). Le Baptême n’est donc pas un rite du passé, il
est la rencontre avec le Christ qui donne forme à l’existence toute entière du baptisé, lui
transmet la vie divine et l’appelle à une conversion sincère, mue et soutenue par la Grâce, lui
permettant ainsi de parvenir à la stature adulte du Christ.
Un lien spécifique unit le Baptême au Carême en tant que période favorable pour
expérimenter la grâce qui sauve. Les Pères du Concile Vatican II ont lancé un appel à tous les
Pasteurs de l’Eglise pour que soient «employés plus abondamment les éléments baptismaux de
la liturgie quadragésimale» (Const. Sacrosanctum Concilium, 109). En effet, dès ses origines,
l’Eglise a uni la Veillée Pascale et la célébration du Baptême: dans ce sacrement s’accomplit
le grand Mystère où l’homme meurt au péché, devient participant de la vie nouvelle dans le
Christ ressuscité, et reçoit ce même Esprit de Dieu qui a ressuscité Jésus d’entre les morts (cf.
Rm 8,11). Ce don gratuit doit être constamment ravivé en chacun de nous, et le Carême nous
offre un parcours analogue à celui du catéchuménat qui, pour les chrétiens de l’Eglise primitive
comme pour ceux d’aujourd’hui, est un lieu d’apprentissage indispensable de foi et de vie
chrétienne: ils vivent vraiment leur Baptême comme un acte décisif pour toute leur existence.

2. Pour emprunter sérieusement le chemin vers Pâques et nous préparer à célébrer la
Résurrection du Seigneur – qui est la fête la plus joyeuse et solennelle de l’année liturgique –,
qu’est-ce qui pourrait être le plus adapté si ce n’est de nous laisser guider par la Parole de Dieu?
C’est pourquoi l’Eglise, à travers les textes évangéliques proclamés lors des dimanches de
Carême, nous conduit-elle à une rencontre particulièrement profonde avec le Seigneur, nous
faisant parcourir à nouveau les étapes de l’initiation chrétienne: pour les catéchumènes en vue
de recevoir le sacrement de la nouvelle naissance; pour ceux qui sont déjà baptisés, en vue
d’opérer de nouveaux pas décisifs à la suite du Christ, dans un don plus plénier.
Le premier dimanche de l’itinéraire quadragésimal éclaire notre condition terrestre. Le
combat victorieux de Jésus sur les tentations qui inaugure le temps de sa mission, est un appel
à prendre conscience de notre fragilité pour accueillir la Grâce qui nous libère du péché et nous
fortifie d’une façon nouvelle dans le Christ, chemin, vérité et vie (cf. Ordo Initiationis
Christianae Adultorum, n. 25). C’est une invitation pressante à nous rappeler, à l’exemple du
Christ et en union avec lui, que la foi chrétienne implique une lutte contre les «Puissances de
ce monde de ténèbres» (Ep 6,12) où le démon est à l’oeuvre et ne cesse, même de nos jours, de
tenter tout homme qui veut s’approcher du Seigneur: le Christ sort vainqueur de cette lutte,
également pour ouvrir notre coeur à l’espérance et nous conduire à la victoire sur les séductions
du mal.
L’évangile de la Transfiguration du Seigneur nous fait contempler la gloire du Christ qui
anticipe la résurrection et annonce la divinisation de l’homme. La communauté chrétienne
découvre qu’à la suite des apôtres Pierre, Jacques et Jean, elle est conduite «dans un lieu à part,
sur une haute montagne» (Mt 17,1) afin d’accueillir d’une façon nouvelle, dans le Christ, en tant
que fils dans le Fils, le don de la Grâce de Dieu: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute
ma faveur, écoutez-le» (v.5). Ces paroles nous invitent à quitter la rumeur du quotidien pour
nous plonger dans la présence de Dieu: Il veut nous transmettre chaque jour une Parole qui nous
pénètre au plus profond de l’esprit, là où elle discerne le bien et le mal (cf. He 4,12) et affermit
notre volonté de suivre le Seigneur.
«Donne-moi à boire» (Jn 4,7). Cette demande de Jésus à la Samaritaine, qui nous est
rapportée dans la liturgie du troisième dimanche, exprime la passion de Dieu pour tout homme
et veut susciter en notre coeur le désir du don de «l’eau jaillissant en vie éternelle» (v.14): C’est
le don de l’Esprit Saint qui fait des chrétiens de «vrais adorateurs», capables de prier le Père «en
esprit et en vérité» (v.23). Seule cette eau peut assouvir notre soif de bien, de vérité et de
beauté! Seule cette eau, qui nous est donnée par le Fils, peut irriguer les déserts de l’âme
inquiète et insatisfaite «tant qu’elle ne repose en Dieu», selon la célèbre expression de saint
Augustin.
Le dimanche de l’aveugle-né nous présente le Christ comme la lumière du monde.
L’Evangile interpelle chacun de nous: «Crois-tu au Fils de l’homme?» «Oui, je crois Seigneur!»
(Jn 9, 35-38), répond joyeusement l’aveugle-né qui parle au nom de tout croyant. Le miracle
de cette guérison est le signe que le Christ, en rendant la vue, veut ouvrir également notre regard
intérieur afin que notre foi soit de plus en plus profonde et que nous puissions reconnaître en
lui notre unique Sauveur. Le Christ illumine toutes les ténèbres de la vie et donne à l’homme
de vivre en «enfant de lumière».
Lorsque l’évangile du cinquième dimanche proclame la résurrection de Lazare, nous nous
trouvons face au mystère ultime de notre existence: «Je suis la résurrection et la vie... le croistu?
» (Jn 11, 25-26). A la suite de Marthe, le temps est venu pour la communauté chrétienne de
placer, à nouveau et en conscience, toute son espérance en Jésus de Nazareth: «Oui Seigneur,
je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui vient dans le monde» (v.27). La communion
avec le Christ, en cette vie, nous prépare à franchir l’obstacle de la mort pour vivre
éternellement en Lui. La foi en la résurrection des morts et l’espérance en la vie éternelle
ouvrent notre intelligence au sens ultime de notre existence: Dieu a créé l’homme pour la
résurrection et la vie; cette vérité confère une dimension authentique et définitive à l’histoire
humaine, à l’existence personnelle, à la vie sociale, à la culture, à la politique, à l’économie.
Privé de la lumière de la foi, l’univers entier périt, prisonnier d’un sépulcre sans avenir ni
espérance.
Le parcours du Carême trouve son achèvement dans le Triduum Pascal, plus
particulièrement dans la Grande Vigile de la Nuit Sainte: en renouvelant les promesses du
Baptême, nous proclamons à nouveau que le Christ est le Seigneur de notre vie, de cette vie que
Dieu nous a donnée lorsque nous sommes renés «de l’eau et de l’Esprit Saint», et nous
réaffirmons notre ferme propos de correspondre à l’action de la Grâce pour être ses disciples.

3. Notre immersion dans la mort et la résurrection du Christ, par le sacrement du Baptême,
nous pousse chaque jour à libérer notre coeur du poids des choses matérielles, du lien égoïste
avec la «terre», qui nous appauvrit et nous empêche d’être disponibles et accueillants à Dieu
et au prochain. Dans le Christ, Dieu s’est révélé Amour (cf. 1 Jn 4,7-10). La Croix du Christ,
le «langage de la Croix» manifeste la puissance salvifique de Dieu (cf. 1 Cor 1,18) qui se donne
pour relever l’homme et le conduire au salut: il s’agit de la forme la plus radicale de l’amour
(cf. Enc. Deus caritas est, 12). Par la pratique traditionnelle du jeûne, de l’aumône et de la
prière, signes de notre volonté de conversion, le Carême nous apprend à vivre de façon toujours
plus radicale l’amour du Christ. Le jeûne, qui peut avoir des motivations diverses, a pour le
chrétien une signification profondément religieuse: en appauvrissant notre table, nous
apprenons à vaincre notre égoïsme pour vivre la logique du don et de l’amour; en acceptant la
privation de quelque chose – qui ne soit pas seulement du superflu –, nous apprenons à
détourner notre regard de notre «moi» pour découvrir Quelqu’un à côté de nous et reconnaître
Dieu sur le visage de tant de nos frères. Pour le chrétien, la pratique du jeûne n’a rien
d’intimiste, mais ouvre tellement à Dieu et à la détresse des hommes; elle fait en sorte que
l’amour pour Dieu devienne aussi amour pour le prochain (cf. Mc 12,31).
Sur notre chemin, nous nous heurtons également à la tentation de la possession, de l’amour
de l’argent, qui s’oppose à la primauté de Dieu dans notre vie. L’avidité de la possession
engendre la violence, la prévarication et la mort; c’est pour cela que l’Eglise, spécialement en
temps de Carême, appelle à la pratique de l’aumône, c’est à dire au partage. L’idolâtrie des
biens, au contraire, non seulement nous sépare des autres mais vide la personne humaine en la
laissant malheureuse, en lui mentant et en la trompant sans réaliser ce qu’elle lui promet,
puisqu’elle substitue les biens matériels à Dieu, l’unique source de vie. Comment pourrionsnous
donc comprendre la bonté paternelle de Dieu si notre coeur est plein de lui-même et de nos
projets qui donnent l’illusion de pouvoir assurer notre avenir? La tentation consiste à penser
comme le riche de la parabole: «Mon âme, tu as quantité de biens en réserve pour de
nombreuses années...». Nous savons ce que répond le Seigneur: «Insensé, cette nuit même, on
va te redemander ton âme...» (Lc 19,19-20). La pratique de l’aumône nous ramène à la primauté
de Dieu et à l’attention envers l’autre, elle nous fait découvrir à nouveau la bonté du Père et
recevoir sa miséricorde.
Pendant toute la période du Carême, l’Eglise nous offre avec grande abondance la Parole
de Dieu. En la méditant et en l’intériorisant pour l’incarner au quotidien, nous découvrons une
forme de prière qui est précieuse et irremplaçable. En effet l’écoute attentive de Dieu qui parle
sans cesse à notre coeur, nourrit le chemin de foi que nous avons commencé le jour de notre
Baptême. La prière nous permet également d’entrer dans une nouvelle perception du temps:
Sans la perspective de l’éternité et de la transcendance, en effet, le temps n’est qu’une cadence
qui rythme nos pas vers un horizon sans avenir. En priant, au contraire, nous prenons du temps
pour Dieu, pour découvrir que ses «paroles ne passeront pas» (Mc 13,31), pour entrer en cette
communion intime avec Lui «que personne ne pourra nous enlever» (cf. Jn 16,22), qui nous
ouvre à l’espérance qui ne déçoit pas, à la vie éternelle.
En résumé, le parcours du Carême, où nous sommes invités à contempler le mystère de la
Croix, consiste à nous rendre «conformes au Christ dans sa mort» (Ph 3,10), pour opérer une
profonde conversion de notre vie: nous laisser transformer par l’action de l’Esprit Saint, comme
saint Paul sur le chemin de Damas; mener fermement notre existence selon la volonté de Dieu;
nous libérer de notre égoïsme en dépassant l’instinct de domination des autres et en nous
ouvrant à la charité du Christ. La période du Carême est un temps favorable pour reconnaître
notre fragilité, pour accueillir, à travers une sincère révision de vie, la Grâce rénovatrice du
Sacrement de Pénitence et marcher résolument vers le Christ.
Chers Frères et Soeurs, par la rencontre personnelle avec notre Rédempteur et par la
pratique du jeûne, de l’aumône et de la prière, le chemin de conversion vers Pâques nous
conduit à découvrir d’une façon nouvelle notre Baptême. Accueillons à nouveau, en ce temps
de Carême, la Grâce que Dieu nous a donnée au moment de notre Baptême, afin qu’elle
illumine et guide toutes nos actions. Ce que ce Sacrement signifie et réalise, nous sommes
appelés à le vivre jour après jour, en suivant le Christ avec toujours plus de générosité et
d’authenticité. En ce cheminement, nous nous confions à la Vierge Marie qui a enfanté le Verbe
de Dieu dans sa foi et dans sa chair, pour nous plonger comme Elle dans la mort et la
résurrection de son Fils Jésus et avoir la vie éternelle.
Du Vatican, le 4 novembre 2010
BENEDICTUS PP XVI








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