Source de savoir et de connaissance, le réseau Internet est devenu aujourd’hui incontournable,
mais n’est pas sans danger. L’Église se pose dès lors la question de cet espace en
terme de nouvelle terre de mission. La Commission épiscopale européenne pour les médias
tient à Rome à partir de ce jeudi et jusqu’au 15 novembre son assemblée plénière.
Les évêques tenteront de se familiariser avec ce monde de la toile, sa culture. Point
d’orgue de cette réunion la rencontre avec les représentants de Facebook, Google,
Youtube et Wikipédia. Monseigneur Jean-Michel Di Falco Léandri, président de la CEEM,
nous parle de ce qu’il attend de ce débat avec les principaux acteurs d’Internet.
Propos recueillis
par Olivier Tosseri.
Retrouvez ci-dessous l’intégralité de l’intervention
de Mgr Di Falco
« La culture de l’Internet et la communication de l’Église. »
En entendant ce thème, les trois événements qui ont bousculé la vie de notre Église
au cours de l’hiver dernier me sont revenus à l’esprit. Je veux parler de « l’affaire »,
c’est ainsi que les médias ont désignées ces événements, l’affaire Williamson, de
celles de l’excommunication de Recife et des propos sur le préservatif dans l’avion
menant le pape au Cameroun. Trois affaires qui ont secoué la planète internet. Elles
ont été jugées emblématiques de la manière dont l'Église institutionnelle communique
et dont les internautes – chrétiens ou non – réagissent. Elles ont révélé les forces
et les faiblesses de la communication de l'Église dans le contexte d’une culture internet
triomphante.
Suite à l’affaire Williamson le Saint Père a reconnu lui-même
que la curie n’avait pas mesuré l’enjeu d’internet. Ou, pour le citer plus exactement :
« Il m’a été dit que suivre avec attention les informations auxquelles on peut
accéder par internet aurait permis d’avoir rapidement connaissance du problème. J’en
tire la leçon qu’à l’avenir au Saint-Siège nous devrons prêter davantage attention
à cette source d’information. »
Face à la critique portant sur le
fait que le pape n’avait pas été mis au courant des propos négationnistes de Mgr Williamson
disponibles sur le net, le pape ne s’est attaché dans sa lettre aux évêques qu’à internet
comme source d’information, comme bibliothèque virtuelle.
Il est bien
d’autres aspects qui motivent le choix du thème de réflexion de notre assemblée. Ce
sont ces aspects que nous allons aborder au cours de ces journées, aspects parmi lesquels
on peut citer l’émergence de la Web generation, les bouleversements dans l’organisation
du temps et de l’espace, dans la manière de s’informer et de communiquer, les conséquences
ecclésiologiques, les effets sur le gouvernement même de l'Église, la place de la
religion sur le marché internet, les manières d’y proclamer l'Évangile et d’y être
Église
Ne nous leurrons pas. Ne faisons pas l’autruche. Internet se transforme,
transforme notre société et ne peut pas ne pas transformer l'Église, ne peut pas ne
pas transformer notre manière d’être et d’agir en Église, au risque de ne plus être
témoins du Christ dans le monde d’aujourd’hui !
Avec internet, nous assistons
à une révolution copernicienne qui a déjà ses effets sur notre manière d’être dans
notre relation au monde, de nous situer dans le monde, d’interagir avec le monde.
La prise de conscience par l'Église institutionnelle de l’importance d’internet est
là. Nul doute. La preuve en est encore aujourd’hui. Mais savoir surfer sur la vague
internet est une toute autre histoire.
Internet est un révélateur, un
marqueur. Soit vous savez communiquer, soit vous ne le savez pas, soit vous êtes crédible
soit vous ne l’êtes pas, soit vous répondez aux attentes soit vous êtes dans votre
bulle, soit vous êtes prophète soit vous êtes le dernier des Mohicans, soit vous êtes
vivant soit vous êtes fossile, soit vous connaissez la langue internet soit vous ne
la connaissez pas et vous ne pouvez pas communiquer. Je compare souvent le mode de
présence de l'Église dans le monde des médias et sur internet à ce qui est demandé
à un missionnaire devant partir vers des terres inconnues. Que demande-t-on à un missionnaire
avant son départ ? De connaître la culture du pays dans lequel il se rend et d’en
apprendre la langue. Ne devrions-nous pas avoir la même attitude pour ce qui est de
la présence dans les médias ?
De nouveaux langages se constituent sur
internet, utilisés par les jeunes. Abréviations, photos et émoticones, fichiers audio
et vidéos sont prépondérants. La culture digitale se dote de sa propre grammaire,
d’une langue en constante et rapide évolution. (LOL, MDR) Notre génération a trop
tendance à considérer comme superficiel tout ce qui est bref, instantané, porté sur
l’émotion. Serait-ce que nous serions plutôt tournés vers l’écrit, les longs développements,
la qualité de l’argumentation par les épais dossiers que nous devons traiter, les
livres de théologie et les thèses que nous avons lus ou que nous lisons encore ? Mais
à y regarder de plus près, l'Église dans son histoire n’a pas considérés comme seuls
vecteurs de vérité les longs traités de théologie. Elle a su exprimer sa foi de manière
concise et percutante. Qu’il suffise de citer la proclamation du kérygme dans les
Actes des Apôtres. Elle a su utiliser des formes de communication non-verbale. Qu’il
suffise de penser aux icônes, aux fresques et mosaïques de nos églises, aux vitraux
et aux sculptures sur les tympans de nos cathédrales. Elle a su provoquer les émotions.
Qu’il suffise d’écouter ses chants et ses musiques. Nous proclamons « une seule foi,
un seul baptême, un seul Dieu et Père », mais il existe bien mille et une manières
d’exprimer cette foi. Et l’aggiornamentodemandé par le Pape Jean XXIII nous
pousse à réactualiser sans cesse la manière dont nous proposons la foi aux nouvelles
générations.
Nous sommes dans un monde pluraliste, où nombreux sont ceux
qui, grâce à internet, peuvent avoir accès à tout et donner leur avis sur tout. L'Église
ne peut pas ne pas en tenir compte. Avec la sécularisation, la mondialisation, la
montée d’internet, notre vision du monde, de la vie, de la mort, et considérée par
certains comme un produit parmi d’autres sur le marché des religions. L'Église ne
peut pas communiquer comme si d’autres conceptions et interprétations du monde n’existaient
pas. Elle a une Parole, un message d’amour à proclamer, mais elle se doit aussi écouter
et Internet est une formidable chambre d’écho de la vie du monde.
Un
ami a fait l’étude des sites chrétiens en français les plus consultés. Il en ressort
que les sites catholiques en France viennent loin après les sites évangélistes alors
même que les évangélistes sont une minorité par rapport aux catholiques dans notre
pays. Comment cela se fait-il ? Pour lui les raisons en sont les suivantes :
La
première c’est que « Les évangélistes écoutent et les catholiques parlent. »
Par
là il veut dire que les évangélistes sortent d’eux-mêmes pour se mettre d’abord à
la place des autres. Ils répondent aux besoins. « Que veux-tu ? » demande Jésus au
paralytique, à l’aveugle-né. Autrement dit, « De quoi as-tu besoin ? Quel est ton
désir le plus profond ? Je peux y répondre. » La communication commence toujours par
l’écoute. D’où sa question : l'Église catholique parlerait-elle à partir d’elle-même
sans prendre suffisamment en considération ce que vivent les gens ?
La
seconde raison du succès des sites évangélistes par rapport aux sites catholiques,
c’est que « les sites catholiques sont centrés sur eux-mêmes » et « considérés comme
outils et non comme un monde à évangéliser. »
Par là, il veut dire que
nos sites sont des extensions ou des duplicata de nos feuilles paroissiales, de nos
bulletins diocésains. Ils sont à usage interne. Ils parlent la langue des initiés
à l’usage exclusif des initiés. Les sites évangélistes, au contraire, veulent atteindre
les internautes, utilisant internet comme outil et vecteur d’évangélisation.
D’accord
ou pas avec cette analyse, il n’en demeure pas moins que nous pouvons prendre pour
notre compte la nécessité d’écouter le monde pour mieux l’aimer et lui parler.
Si
les sites institutionnels avec leur lourdeur sont nécessaires, les électrons libres
peuvent l’être aussi. Quelqu’un comme Napoléon est certainement diversement apprécié
dans une assemblée comme la nôtre, mais permettez-moi cependant de parler de lui pour
une comparaison. Napoléon savait user dans une bataille aussi bien de la cavalerie
lourde comme les Dragons enfonçant les flancs de l’adversaire, que des Voltigeurs
venant piquer ces mêmes flancs tels des mouches du coche.
Un site internet
devrait pouvoir mettre en contact avec Jésus-Christ et une Église vivante, une communauté
où se vit l’unité et la charité. Loin de trouver cela, les internautes se trouvent
bien des fois confrontés à un « système », qui certes a ses avantages une fois qu’ils
en ont franchi le seuil, mais qui, dans un premier contact, fait davantage écran que
courroie de transmission, n’ayant pas pour lui la souplesse de l’amour.
Ces
voltigeurs de l'Évangile, je les vois dans les blogs créés par des laïcs. Cela entre
dans le champ propre de leur activité, de leur vocation et de leur mission de baptisés
dans l'Église et dans le monde.
La 44eJournée mondiale des
communications sociales qui aura lieu le 23 mai prochain aura pour thème : « Le prêtre
et la pastorale dans le monde digital : les nouveaux médias au service de la Parole ».
En choisissant ce thème, le pape place l’urgence d’une évangélisation parle
monde digital et dumonde digital dans le cadre de l’Année sacerdotale. Il s’agira
d’ « encourager les prêtres à affronter les défis qui naissent de la nouvelle culture
numérique » comme l’a souligné le communiqué de presse. Mais à mon sens, il ne s’agit
pas là d’un appel à tous les prêtres à créer son propre blog. Il s’agit plutôt d’un
appel aux prêtres à s’entourer de laïcs compétents pour la mise en œuvre de leurs
sites paroissiaux ou de mouvements, un appel à collaborer, un appel à accompagner
les laïcs qui se lancent (ou qui se sont déjà lancés) dans l’évangélisation par internet.
C’est un appel à voir comment nous pouvons aider les internautes à discerner les sites
catholiques de ceux qui se réclament comme tels mais ne le sont pas toujours.
Les
médias réduisent souvent l'Église au pape et à quelques cardinaux. Raison de plus
pour que les évêques et les prêtres laissent toute leur place aux laïcs sur le net.
L’Action catholique consistait à évangéliser le même par le même, l’ouvrier par l’ouvrier,
l’étudiant par l’étudiant, la femme par la femme, le patron par le patron, etc. Il
nous faut retrouver cette intuition en ce qui concerne le net, et si ce n’est évangéliser
le net, du moins évangéliser par le net. Seule la présence de chrétiens laïcs compétents
et éclairés sur le net, s’exprimant en tant que chrétiens, pourra montrer qu’on ne
peut réduire l'Église à sa hiérarchie et au pape. Permettez-moi de décliner
quelques propositions en ce sens :
- Dans la jungle des offres gratuites et
des possibilités médiatiques, les chrétiens doivent apparaître avec un plus. Ce « plus »
n’est pas un gadget, c’est le levain absolument indispensable pour que la pâte monte,
c’est la lampe dans la maison, c’est le phare dans la nuit du monde et de nos vies.
Mais il est absolument nécessaire de venir sur le marché du net avec ce « plus ».
- L'Église ne peut pas toucher tout le monde, en même temps, avec les mêmes
contenus, sur les mêmes médias. Elle ne peut pas apparaître avec un discours monolithique.
Les vies sont diverses, le monde est segmenté, l'Église se doit de diversifier son
offre. Qui veut-on rejoindre, où, comment, pourquoi et pour quoi faire, pour mener
vers quoi ? Tout ceci ne doit-il pas être pensé avant toute création de site ?
-
Bien mesurer avant toute mise en ligne de la manière dont telle ou telle image, tel
ou tel propos pourra être entendu, reporté, colporté, interprété. On peut mettre en
ligne en connaissance de cause, mais on ne devrait jamais être surpris par les réactions
et courir après les démentis et les rectifications. Si l’on est surpris par une réaction,
c’est que l’on a mal analysé la situation avant de parler, donc pas été suffisamment
à l’écoute. Bien réfléchir avant, et être spontané et réactif malgré tout. Le web
est la culture du spontané.
- Il y a plus de 25 ans je disais que les cathédrales
du XXIesiècle seraient médiatiques. Aujourd’hui ces nouvelles cathédrales
sont à construire sur le net. Dans l’histoire de l'Église, dans le même temps que
la charité se faisait inventive pour répondre aux nouveaux besoins, les anciennes
structures subsistaient. Pour nous aussi, tout en assurant la vie de nos paroisses
et de nos diocèses, nous devons avoir le souci de continuer à être là où sont les
gens, là où le monde change, et donc à nous rendre sur YouTube, MySpace, Facebook
et autres. Ce n’est certes pas sans question, quelle forme de lien social se tisse
entre les connectés ? Ces réseaux posent la question des frontières de l’intimité.
Je ne ferai que mentionner les questions autour du rapport à la vérité et à l’identité,
au temps et à l’espace, je l’ai déjà mentionné, le rapport à la culture, mais devons-nous
être absent pour autant ?
- Ce ne sont pas les jeunes qui ne viennent plus
vers l'Église, c’est l'Église qui est loin de leur monde. En surfant sur le net, en
allant sur n’importe quel site de rencontre comme Facebookon se rend bien compte
du besoin de communiquer, du besoin d’une rencontre et d’un dialogue authentiques.
L’authenticité pour eux est signe de vérité. Nous devons donc promouvoir une présence
chrétienne sur le web faite d’opérateurs, prêtres inclus, maîtrisant certes les techniques
de communication, mais sachant aussi offrir des espaces pour la recherche, la rencontre,
le dialogue, la prière.
- Réfléchir au brandingvisant à travailler la
notoriété et l’image. Le pape Jean-Paul II savait poser des gestes symboliquement
chargés de sens. Seule l’écoute du monde d’une part, et l’écoute du Dieu de l'Évangile
d’autre part, peuvent permettre de nous positionner là on l’on ne nous attend pas,
de surprendre, de faire tomber les idées fausses sur l'Église
Ces diverses
pistes ne doivent pas donner à penser qu’on peut résoudre les problèmes de communication
de l'Église par de simples mesures de communication au risque d’être de ces « cymbales
retentissantes » dénoncées par Saint Paul, de ces instruments qui sonnent creux. Il
nous faut être d’abord et avant tout habité. « La forme, c’est le fond qui remonte
à la surface » disait l’écrivain Victor Hugo. « L’agir suit l’être », disait saint
Thomas d’Aquin, et avant lui Aristote. Nous agissons selon ce que nous sommes. Nous
donnons à voir ce que nous sommes.
Certains croient qu'Internet n’est
que du virtuel ou du superflu. Tous nous connaissons des prêtres, des évêques pour
qui internet est le dernier de leurs soucis et continuent leur pastorale comme si
internet n’existait pas. Or internet fait de plus en plus partie intégrante de la
vie quotidienne. En n’y étant pas présent on se coupe d’une bonne partie de la vie
des gens. Et lorsqu’on y est ce que l’on y donne à voir est inséparable de ce que
l’on est. D’ailleurs, d’une manière naturelle, à moins d’être complétement paranoïaque,
on prend ce que l’on perçoit pour la réalité ; et à moins d’être un parfait manipulateur,
on donne à percevoir ce que l’on est. Il ne peut y avoir dichotomie complète entre
l’être et le paraître dans l’esprit des gens, et je pense que nos sites et nos blogs
disent beaucoup plus sur nous que nous ne l’imaginons.
Ceci m’amène à
aborder la question du témoignage, du témoignage chrétien, du témoignage du chrétien,
de celui qui s’est laissé habiter par l’Esprit du Christ.
Voici ce que
dit Nietzsche des martyrs dans son ouvrage L’Antéchrist : « Le ton avec lequel
un martyr jette à la face du monde ce qu’il "tient-pour-vrai" exprime déjà un niveau
si bas de probité intellectuelle, une telle indifférence bornée pour le problème de
la vérité, qu’il n’est jamais nécessaire de réfuter un martyr. […] On peut être assuré
que sur ce point la modestie, la modération augmente en fonction du degré de conscience
que l’on apporte aux choses de l’esprit. […] Les martyrs ont fait tort à la vérité…
Maintenant encore, il suffit d’une persécution un peu rude pour donner un renom de
respectabilité au plus banal des sectarismes. » Pour Nietzsche, le martyre n’est pas
autre chose que l’expression d’un fanatisme. Mais s’il ne différencie pas le fanatique
du vrai martyr, c’est bien parce que les vrais martyrs sont rares. Nietzsche dénonce
« le ton avec lequel un martyr jette à la face du monde ce qu’il "tient-pour-vrai" ».
Faisons donc l’examen des sites internet qui se déclarent « chrétiens ». Lesquels
peuvent ne pas donner prise à une telle accusation ? Combien sont de vrais témoins
du Christ ? Combien peuvent se dire exempts de vérités assénées, exempts d’autosatisfaction,
de dogmatisme, de langue de bois, de raccourcis, d’aveuglements, et même de manques
d’amour, d’espérance, de foi même ?
Le concile Vatican II lorsqu’il traite
de l’athéisme nous invite à faire notre examen de conscience à ce sujet : « Certes,
ceux qui délibérément s’efforcent d’éliminer Dieu de leur cœur et d’écarter les problèmes
religieux en ne suivant pas le « dictamen » de leur conscience ne sont pas exempts
de faute. Mais les croyants eux-mêmes portent souvent à cet égard une certaine responsabilité. »
(Gaudium et spes, 19)
Un site internet chrétien doit s’occuper
du monde et non se couper du monde. Il doit éviter la langue de bois, éviter d’être
lui-même idéologue cherchant à imposer sa vérité. Un site doit être ouvert au dialogue
et au débat tout en montrant qu’il ne transigera pas avec certains principes acceptés
par tous et partout. Il doit se contenter de proposer la vérité du Christ, fermement,
tendrement, humblement. Et s’il s’agit de rendre compte de l’espérance qui est en
nous à ceux qui en demandent raison (cf. 1 Pierre 3, 15), que ce soit « avec
douceur et respect » dit Saint Pierre.
Le faux témoin du Christ cherche
à exaspérer, cherche la provocation. Le vrai témoin du Christ, c’est sans le vouloir
qu’il exaspère. Le site chrétien doit donc exaspérer sans provoquer. S’il vient à
agacer, ce doit être comme on peut l’être soi-même lorsque notre conscience nous agace
à nous pousser au bien et à éviter le mal. Le site chrétien se doit d’être un éveilleur
de consciences en misant sur l’attrait de tout homme à la bonté, à la vérité, à la
beauté.
Nous avons parfois tendance dans l'Église à séparer l'Église et
le monde, le sacré et le profane. C’est oublier que Jésus ne fait pas une telle distinction,
ou plutôt, la distinction est autre, elle passe par la frontière de notre cœur. « Qui
n’est pas contre nous est pour nous », dit-il aux disciples qui s’étonnent qu’il y
ait des miracles chez les autres (Mc 9, 40). Ce qui invite à élargir l’espace de notre
tente. Saint Augustin disait déjà au sujet de l'Église « beaucoup de ceux qui semblent
en dehors sont au dedans et beaucoup qui paraissent au dedans sont en dehors. » (De
bapt.V, 27) Et le Père François Varillon a cette formule lapidaire : « L'Église
est le monde en tant qu’il accueille le don de Dieu ».
A trop faire la
distinction entre médias profanes d’un côté et médias intra-ecclésiaux de l’autre,
on prend le risque de la ghettoïsation, de la victimisation, sans entendre ce que
le monde a à dire de l'Église, ce qu’elle en comprend, comment elle le ressent, sans
chercher non plus à savoir comment elle peut être présente à tous médias.
Mais
heureusement, plus que jamais, internet redistribue les cartes, nous fait descendre
de notre piédestal, de notre chaire magistrale, nous fait sortir de nos ghettos, de
nos sacristies. Pape, cardinaux, évêques, prêtres, fidèles laïcs, nous intégrons avec
internet une agora, un espace libre et spontané où tout se dit sur tout, où tout le
monde peut débattre de tout, une agora virtuelle où les internautes se font une idée
sur tel ou tel sujet au gré de leur pérégrination, de leur recherche, voire de leur
zapping. L’internaute catholique ne déroge pas à cette règle. Tout en adhérant librement
à la foi de l'Église, il veut se faire une opinion par lui-même, être le seul juge
de là où se trouve son bien. Il surfe donc sur le net en fonction de ses centres d’intérêt,
de là où il en est dans sa quête, et il exerce son jugement en fonction de là où il
en est dans sa foi et ses connaissances.
Qu’un fidèle, ou que tout homme,
se fasse son opinion par lui-même peut faire peur aux pasteurs que nous sommes. Nous
aimerions protéger les plus faibles et les plus vulnérables. Mais il nous faut trouver
des solutions autres que la censure et l’interdit pour cela. La censure est toujours
une mauvaise réponse, même quand elle se pare des meilleures intentions du monde.
Elle apparaît toujours comme erratique et arbitraire, et donc en fin de compte comme
totalitaire. Or la vérité n’a pas besoin de nous pour s’imposer. Le concile Vatican
II le rappelle : « la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui
pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance. » (Dignitatis humanae,
1) Un acte de foi qui ne serait pas un acte libre n’aurait aucune valeur. « dignité
de l’homme exige de lui qu’il agisse selon un choix conscient et libre, mû et déterminé
par une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives
ou d’une contrainte extérieure. » (Gaudium et Spes, 17)
Le pape
Benoît XVI, dans sa dernière encyclique, nous invitait à lier « vérité » et « amour »
dans nos vies. Il ne peut y avoir de vérité sans amour ni d’amour sans vérité. La
vérité sans amour est froide et l’amour sans vérité est aveugle. Prévenir sans censurer,
avertir sans interdire, expliquer plutôt qu’imposer, tel doit être notre souci pastoral
en ce qui concerne tout site et blog se déclarant catholique ou administré par des
catholiques. Nous ne serons crédibles que si nous témoignons de la vérité dans l’amour,
de la vérité de l’amour, de l’amour dans la vérité.
Le monde s’intéresse
peu au fait que l'Église soit gardienne de la foi ou de sa foi – quelle religion n’a
pas son instance de régulation et ne cherche pas à se protéger des déviances possibles
en son sein ? Le monde attend de l'Église qu’elle vive d’une foi renouvelée, il attend
de voir l’impact d’une telle foi dans la conduite du monde.
Internet
est aussi un outil, et comme tel il n’est pas porteur de morale. Mais il est utilisé
par des hommes porteurs de morale, capables d’en user en bien comme en mal. Comme
tout outil démultipliant les capacités humaines, il est porteur de menaces comme de
potentialités. Tout dépend de l’usage qu’on en fait. La moralisation d’internet ne
se fera pas sans la moralisation des hommes, et en premier lieu de nous-mêmes. Quel
Christ donnons-nous à voir sur nos sites ?
Ce que disait Paul VI dans
Evangelii nuntiandi il y a trente-quatre ans peut être appliqué à internet :
« Pour l'Église il ne s’agit pas seulement de prêcher l'Évangile dans des tranches
géographiques toujours plus vastes ou à des populations toujours plus massives, mais
aussi d’atteindre et comme de bouleverser par la force de l'Évangile les critères
de jugement, les valeurs déterminantes, les points d’intérêt, les lignes de pensée,
les sources inspiratrices et les modèles de vie de l’humanité, qui sont en contraste
avec la Parole de Dieu et le dessein du salut. » (Evangelii nuntiandi, 19)
Avant
de terminer je voudrais souligner un point d’attention tout particulier, celui des
plus pauvres je cite1 : « L’une des (préoccupations) les plus importantes
(…) se réfère à ce que l’on appelle aujourd’hui le « fossé numérique », une
forme de discrimination qui divise les riches des pauvres sur la base de l’accès,
ou du manque d’accès, aux nouvelles technologies de l’information.
Les
individus, les groupes et les nations doivent avoir accès aux nouvelles technologies
afin de prendre part au bénéfice promis par le développement afin de ne pas rester
encore plus en arrière. Il est impératif, je cite maintenant le Pape Jean-Paul II,
« Il est impératif que le gouffre qui éloigne les bénéficiaires des nouveaux moyens
d’information et d’expression de ceux qui n’y ont pas encore accès ne devienne pas
une cause insurmontable d’injustice et de discrimination ».
Tout comme
la croix à son montant vertical et horizontal, ainsi doit être notre évangélisation
sur la toile : horizontale par son étendue, verticale par sa profondeur et sa qualité.
Pour terminer, permettez-moi de citer un écrivain français, Jules Renard
: « Quelques gouttes de rosée sur une toile d’araignée, et voilà une rivière de diamants. »
Puissent les quelques gouttes de rosées que nous déposons sur l’immense toile internet
la transfigurer aux yeux de tous en rivière de diamants.
Merci pour votre
présence et votre attention.
† Jean-Michel di Falco Léandri Évêque
de Gap et d’Embrun Président de la CEEM Président du Conseil pour
la Communication de la CEF
Notes
[1]« Éthique et
Internet » (Publication du Conseil Pontifical pour les communications sociales, Cité
du Vatican, le 22 février 2002)