Vérité, Culture, Cité: au centre de l'intervention de l'Observateur du Saint-Siège
à l'UNESCO
La 35e session de la conférence générale de l’Unesco se tient depuis mardi au siège
de l’Unesco à Paris. Au menu de ces travaux l’accès à l’éducation pour tous, l’éthique
des sciences et des technologies, la sauvegarde du patrimoine mais aussi les questions
environnementales. La délégation du Saint-Siège est composée de cinq membres représentant
différents dicastères du Saint-Siège et de dix-sept experts spécialisés dans différents
domaines de compétences de l’Unesco. Mgr Follo, observateur permanent du Saint-Siège
auprès de l’Unesco veut ainsi, avec les représentants de sa délégation, prendre une
part active aux débats. Antoine Bellier.
Texte
de l'intervention prononcée par Mgr Follo ce samedi 10 octobre à la tribune de l'UNESCO
"M.
le Président de la Conférence Générale, M. le Directeur Général, Excellences, C'est
pour moi un grand honneur de prendre la parole devant cette Assemblée prestigieuse
et de vous présenter les félicitations les plus vives de Sa Sainteté le Pape Benoît
XVI pour votre élection. Je voudrais également exprimer les remerciements et l'appréciation
du Saint-Siège pour les travaux du Secrétariat de l'UNESCO. Les documents élaborés,
surtout les 35 C/3, C/5 et C/6, ont retenu son attention. Ils manifestent les réalisations
et les défis majeurs que l'exercice de chacune des cinq fonctions de l'UNESCO a eu
à étudier. Ils mettent, entre autre, l'accent sur le développement durable, comme
le soulignent, par exemple, certains thèmes des Conférences sur l'Education, afin
de tenter d'apporter une réponse à la gravité de la crise financière, économique et
sociale qui touche notre monde. Le souci de répondre aux questions relatives à la
gestion de la planète, c'est-à-dire de la cité, s'étend aussi à la gouvernance des
océans. A ce propos, dans sa dernière Encyclique Caritas in Veritate, le Saint-Père
insiste sur l'importance des valeurs morales qui doivent fonder une analyse de la
mondialisation. Il considère que " la mondialisation réclame certainement une autorité,
puisqu'est en jeu le problème du bien commun qu'il faut poursuivre ensemble; cependant
cette autorité devra être exercée de manière subsidiaire et polyarchique pour, d'une
part, ne pas porter atteinte à la liberté et, d'autre part, être concrètement efficace.
" (Cf. n. 57). Permettez-moi donc de vous soumettre une réflexion sur les principes
fondamentaux qui soutiennent tout le projet de l'UNESCO. Il est possible d'en relever
trois : la vérité, la culture et la cité. Une telle réflexion peut être utile pour
toutes les initiatives dont l'Unesco se fait promoteur ou partenaire. Quelle relation
ces trois dimensions - la vérité, la culture et la cité - ont-elles entre elles ?
La culture sert de terme médian, de lien entre la vérité et la cité. D'une part, elle
permet aux hommes de vivre ensemble et elle cimente ce même " vivre ensemble ". En
effet, il n'y a pas de communauté humaine sans culture, ni de culture sans communauté
humaine - donc sans cité. D'autre part, les cultures ne mériteraient que l'attention
des ethnologues si elles n'étaient pas porteuses que de ce qu'on appelle " des valeurs
", ou mieux dit, des vérités. Il s'agit en fait de vérités sur l'homme, sur l'ensemble
des hommes, et donc sur la cité. " La complexité et la gravité de la situation
économique actuelle, a écrit aussi Benoît XVI dans la même Encyclique, nous préoccupent
à juste titre, mais nous devons assumer avec réalisme, confiance et espérance les
nouvelles responsabilités auxquelles nous appelle la situation d'un monde qui a besoin
de se renouveler en profondeur au niveau culturel et de redécouvrir les valeurs de
fond sur lesquelles construire un avenir meilleur " (n. 21). Il est important de
prendre conscience que l'économie est au service de l'homme. L'homme est un citoyen
et la cité est le lieu où les hommes débattent de la vérité, le lieu parfois où ils
la trouvent, le lieu souvent où elle leur est enseignée. La stabilité économique est
nécessaire pour favoriser ce débat, mais la culture - ce que les Grecs nommaient paideia,
donc l'accès de l'homme à sa pleine humanité - n'est pas un luxe réservé seulement
aux économies prospères. C'est l'homme et la culture que l'économie doit servir. Et,
l'un des nobles objectifs de l'UNESCO serait de le proclamer et de le promouvoir. La
culture se trouve donc dans le lieu où les hommes se préoccupent de la vérité et la
cherchent. Il serait possible d'en évoquer deux formes. La première semble évidente
: c'est celle de l'enseignement, ou de l'éducation, que la cité doit prodiguer à ceux
qui la constituent. La cité ne peut reposer sur des approximations ou des erreurs
collectives. Si elle se veut éducatrice, elle doit nécessairement traiter le citoyen
en homme, en personne raisonnable et respectable. La seconde forme que doit revêtir
l'intérêt de la cité pour la vérité, est l'ouverture de l'esprit, qui est une forme
de l'humilité car elle accepte, à travers sa disponibilité, la richesse de l'autre
et des autres cultures. L'Église, pour sa part, s'est intéressée très rapidement
au développement des sciences de manière particulière. La théologie médiévale avait
dégagé le terrain que devaient occuper les sciences. La première académie scientifique
qui a été fondée est l'Académie Pontificale des Sciences. Elle a été créée en 1603.
Entre " science " et " humanité ", un fossé ne peut être creusé, mais il l'a certainement
été. Nous parlons couramment et trop souvent de culture, en général, et de culture
scientifique, en particulier, comme de deux réalités séparées ou indifférentes l'une
à l'autre, voire même opposées. Il conviendrait donc de combler ce fossé petit-à-petit.
La cité est une réalité naturelle et il lui appartient de secréter des cultures.
Celles-ci ne méritent, pourtant, d'être appelées ainsi que lorsqu'elles acceptent
d'être inspirées et fondées sur le respect de l'homme. Qu'est-ce que l'homme ?
C'est une question vaste et complexe à laquelle toute culture vraiment humaine est
confrontée et doit répondre. La réponse à cette question ne sera remarquable que si
elle dépasse toutes les barrières culturelles sans les ignorer. La réponse vraie ne
peut se trouver qu'en l'homme dans sa vérité. Cette vérité toujours à réapprendre
est une réalité possible. Par exemple, nous sommes des êtres humains car nous avons
eu le droit de naître. Cette réalité engendre par elle-même d'autres droits. Evitons,
donc, de parler de ces droits sans avoir conscience et sans faire référence au fait
qu'ils s'enracinent dans le profond respect pour l'homme total, depuis sa conception
jusqu'à sa mort naturelles. Une culture ne peut se dire noble qu'en fonction de son
aptitude à saisir l'homme en sa vérité et à lui reconnaître les droits liés à la vérité
de son être. Sans oublier que, comme le dit le Pape Benoît XVI, " l'homme est toujours
au-delà de ce que l'on en voit ou de ce que l'on en perçoit par l'expérience. Négliger
le questionnement sur l'être de l'homme conduit inévitablement à refuser de rechercher
la vérité objective sur l'être dans son intégralité et, de ce fait, à ne plus être
capable de reconnaître le fondement sur lequel repose la dignité de l'homme, de tout
homme "1. Cherchons, donc, à ne pas enfermer chaque culture en elle-même, comme
si nous avions affaire à une entité autonome et autosuffisante. Si notre institution,
l'UNESCO, a un sens, c'est bien pour manifester non seulement que les hommes cultivés
peuvent converser ensemble - ce que nous faisons assurément -, mais bien plus pour
faire comprendre qu'une culture vit toujours en interaction avec d'autres cultures,
et que " la " culture est un événement plus qu'un fait établi et acquis. Nous sommes
conscients non seulement que les grandes cultures ont une valeur universelle, mais
aussi qu'elles dialoguent entre elles dans différents domaines où elles se rencontrent
et se complètent. Les cultures, peu-à-peu, se ravivent lorsqu'elles acceptent une
interpénétration réciproque basée sur le respect l'une de l'autre, et principalement
sur le respect de l'homme qui est maître et sujet de la culture . En allant plus avant,
il est possible de dire que l'inter-culturalité existe déjà, mais elle a aussi un
devoir à réaliser davantage. L'inter-culturalité n'est authentique que si elle permet
à l'avenir d'être fidèle au passé, dans ce qu'il a de meilleur, pour chercher à construire
un futur positif pour l'homme et la cité. L'UNESCO pourrait, peut-être, miser
davantage sur son rôle d'agence " pensante " à l'intérieur du système des Nations
Unies, et ainsi renforcer les moyens et les outils qu'elle a pour être un véritable
" laboratoire d'idées ", ouvert à la contribution de tous. En ce sens, il est nécessaire
de reconnaître, voire même de redécouvrir l'utilité et la nécessité de la réflexion
philosophique, considérée malheureusement trop souvent comme la plus inutile des disciplines
parce qu'elle est la plus libre des intérêts particuliers et parties. Elle est une
discipline utile et indispensable parce qu'elle est particulièrement au service de
l'homme, et donc du bien de l'humanité entière, de la cité. En promouvant tout ce
qui contribue à faire grandir la dignité de l'homme, de son esprit et de son intelligence,
l'UNESCO sera fidèle à sa vocation et à sa haute mission. Merci de votre attention
! -------------------------------------- 1 Discours du Pape Benoit XVI aux participants
au colloque inter-académique promu par l'Académie des Sciences de Paris et l'Académie
Pontificale des sciences sociales, Salles des Papes, 28 janvier 2008.