Mgr Muteba Mugalu sur le Deuxième Synode : Compassion pour l'Afrique
COMPASSION POUR L’AFRIQUE À propos du 2e synode africain
Le continent
noir figure de nouveau au cœur des préoccupations de l'Église. C’est un signe qui
ne trompe pas, mais surtout un signal fort qui interpelle gravement. Il y a eu le
synode de 1994, prophétiquement convoqué par le Serviteur de Dieu Jean-Paul II. Animé
par la même sollicitude pastorale envers les peuples d’Afrique, le pape Benoît XVI,
dans la continuité du premier synode, tourne les yeux de l'Église entière vers le
continent africain, qu’il a visité en mars dernier. Quinze ans à peine après le premier
synode continental, cet événement démontre la compassion de l'Église pour cette partie
du globe connue pour ses malheurs. La RD Congo y délègue une dizaine d'Évêques, accompagnés
de quelques experts. Le thème retenu trace le chemin à suivre pour sortir de l’auberge
: réconciliation, justice et paix. Il s’agit d’une trilogie indispensable pour que
notre continent cesse de refléter l’image ignominieuse qui colle à sa peau depuis
des décennies. A la veille de cet événement grandiose qui se tiendra à Rome du 5 au
25 octobre prochain, j’invite à cerner sa grandeur, à prier et à réfléchir. Non
pas un sommet sur l’Afrique, mais un synode continental
Les puissants de
ce monde multiplient les sommets quand une situation est explosive dans un coin du
globe ou quand ils cherchent une solution à un problème crucial. Au terme, ils font
des déclarations tapageuses. Ils prennent de grandes décisions et font des promesses.
La suite n’est pas nécessairement ce qu’on promet, pas toujours en tout cas. L'Église,
elle, choisit la voie synodale. C’est celle-ci qui lui est propre, conforme à sa tradition,
à ce qu’elle croit. Elle opte pour faire chemin avec le peuple africain, à travers
ses pasteurs les Évêques, accompagnés de quelques-uns de leurs homologues d'Églises
sœurs et de quelques experts.
« Faire chemin avec » est non seulement un signe
d’humilité pour l'Église, mais aussi de respect pour les populations du continent.
D’une part, l'Église ne prétend pas apporter des solutions magiques aux épineux problèmes
qui étranglent l’Afrique. Elle veut plutôt exprimer sa compassion pour les multiples
souffrances des habitants du continent noir et, en même temps, proposer les valeurs
fondamentales sans lesquelles il ne peut être possible de parler d’une Afrique debout.
C’est un regard de foi qu’elle jette sur ce continent. Pour elle, en effet, la réconciliation,
la paix et la justice sont incontournables pour le développement réel des populations
africaines. D’autre part, l'Église ne veut rien imposer au peuple africain. Elle veut
cheminer avec les Africains eux-mêmes pour réfléchir sur la complexité des problèmes
qui sont les leurs et, indubitablement, trouver ensemble des voies de sortie de crise,
à la lumière de la parole de Dieu et de tout ce qui constitue le patrimoine de l'Église
En d’autres termes, l'Église responsabilise les Africains, leur fait confiance et
les accompagne avec sollicitude. Ce « faire chemin ensemble » a commencé il y a
quelque temps. Outre le travail d’un comité africain pour le synode, qui travaille
depuis des années, des baptisés ont été consultés à tous les niveaux (cfr Lineamenta).
C’est sur base de leurs réponses qu’un instrument de travail a été produit. Cet Instrumentum
laboris va constituer le point de départ des échanges, en plénières et en carrefours,
qui aboutiront aux résolutions à soumettre au Saint-Père. Après les avoir examinées,
enrichies et ou améliorées, celui-ci les promulguera dans une exhortation post-synodale.
C’est dire à quel point la voie synodale est une démarche collective, de communion
dans la foi et de la recherche ensemble. C’est, précisément, non seulement une mise
en application de la collégialité épiscopale, mais aussi un exercice de la coresponsabilité
en Église, un acte de solidarité fort significatif. Le tout est couronné par la sollicitude
pastorale du pape qui, en personne, préside l’eucharistie d’ouverture et celle de
clôture, mais aussi prend part à tous les travaux. La pertinence
du thème
« L'Église en Afrique au service de la réconciliation, de la justice
et de la paix ». Ainsi est formulé le premier énoncé thématique du prochain synode
africain. Il est porté par une parole du Christ qui indique, en elle-même, un projet
de vie et responsabilise avec insistance les chrétiens et chrétiennes du continent
en rappelant leur identité : « Vous êtes le sel de la terre… Vous êtes la lumière
du monde » (Mt 5, 13.14).
Au regard de la situation générale du continent
africain, un tel thème est d’une pertinence manifeste. En effet, alors que les peuples
d’autres continents jouissent généralement de la paix, du développement et du progrès
social, les populations africaines, elles, n’en finissent pas de croupir dans la misère.
Leur lot de malheurs rivalise avec d’innombrables ratés aussi bien au plan économique
que politique. Les coups d'État, les révisions constitutionnelles au profit d’une
classe politique décriée, les guerres, les violations des droits humains, la misère,
la corruption, la mal gouvernance, les détournements des deniers publics, le manque
d’accès à l’eau potable et à l’électricité, la famine, les conflits ethniques, les
maladies comme le Sida, le paludisme, la tuberculose, etc. l’analphabétisme, le manque
d’infrastructures sociales de base, le chômage, le manque de logement, la pauvreté,
l’intolérance, le tribalisme, le pillage des ressources naturelles, la fuite des cerveaux,
les entorses à la démocratie, etc. sont quelques-uns des fléaux qui rongent le continent
noir.
Comme le bon Samaritain qui, selon la parabole de Jésus, descendait
de Jérusalem à Jéricho (cfr Lc 10, 30-37), l'Église invite le monde entier à venir
au secours du continent en péril. Elle ne cède pas pour autant au pessimisme ni ne
succombe au misérabilisme. Par contre, elle invite à affronter courageusement les
problèmes réels de ce continent, qu’on tend à oublier, et où les ravages d’une mondialisation
sauvage sont plus que criants.
Au contraire de certaines institutions nationales
et internationales qui abordent les problèmes africains en soufflant le chaud et le
froid pour des raisons qui leur sont propres, l'Église, elle, affirme haut et fort
que sans la réconciliation des peuples, de chacun des Africains avec lui-même, le
continent noir ne cessera jamais de figurer sur la liste noire des perpétuels assistés
et des misérables. Sans la paix, il ne peut y avoir ni développement, ni démocratie,
ni progrès social. Sans la justice, l’Afrique ne peut connaître une paix durable et
ne peut prétendre entrer en compétition avec les autres continents. L’Afrique
devant ses responsabilités
L'Église est loin de se faire des illusions
sur ce qu’il est convenu d’appeler la problématique africaine. En convoquant ce synode,
le Pape demeure convaincu que c’est d’abord aux Africains eux-mêmes de trouver des
solutions à leurs problèmes. Face aux cris de misère et de détresse issus de beaucoup
de coins d’Afrique, le Saint-Père dit aux Africains à peu près ceci : « Donnez leur
vous-mêmes à manger… » (Mc 6, 37). A travers ses pasteurs, c’est toute l’Afrique qui
est invitée à trouver des solutions à ses problèmes. C’est dire que la réconciliation,
la justice et la paix sont une affaire de tous. Les responsables politiques ont sans
doute une responsabilité importante, mais ils ne sont pas les seuls. L'Église pense
qu’il faut que tout le monde s’engage dans la voie de la réconciliation, de la justice
et de la paix. Comment ne pas s’étonner devant l’indifférence ou le silence qu’affichent
certains pays africains vis-à-vis de leurs pairs en proie aux conflits armés ? Comment
ne pas non plus condamner ces pays qui s’érigent en sanctuaires de rebellions pour
déstabiliser leurs voisins ? C’est nous-mêmes Africains qui devons prendre le taureau
par les cornes.
Toutefois, cette responsabilisation de l’Afrique n’épargne
pas les acteurs non africains qui, très souvent, influent, parfois de manière décisive,
sur les problèmes africains. C’est pourquoi, les conclusions de ce synode ne concerneront
pas seulement les catholiques, moins encore ceux d’Afrique seulement. Elles seront
adressées à toute la communauté humaine, pour que chacun tire sa responsabilité sur
ce qui se passe en Afrique. Nos politiciens, en particulier, doivent se sentir très
concernés. Un synode de tous les espoirs, mais sans illusions
L’acuité
des problèmes de sécurité, de stabilité sociale, de développement et de démocratie
dans beaucoup de pays africains suscite beaucoup d’espoirs par rapport au prochain
synode africain. Les attentes des populations africaines sont nombreuses. Celles-ci
croient que ce sera, peut-être, l’occasion d’entendre un discours à nouveaux frais
sur la paix, la justice et la réconciliation en Afrique. Elles attendent une analyse
rigoureuse qui cerne les vrais enjeux, c’est-à-dire un examen sans complaisance, sans
hypocrisie, dépourvu d’inutiles redites ou de formules classiques comme on en entend
souvent dans les milieux politiques. Elles souhaitent surtout qu’au-delà des recommandations,
des actions courageuses soient entreprises pour que règnent la paix et la justice
dans ce continent qui n’a que trop souffert. Toutefois, les Africains ne se font guère
d’illusions. L’entreprise est complexe. Nos populations espèrent un nouveau départ
pour le continent noir. D’une part, à l’instar de la parole de Dieu (cfr Is 55, 10-11),
les initiatives de l'Église ne restent pas sans effets. D’autre part, « l’espérance
ne déçoit point » (Rm 5,5). Mais ceci n’est pas un excès de candeur. Car, en effet,
la tourmente qui enivre l’Afrique recèle les intérêts de certains autochtones et étrangers
qui, sûrement, ne lâcheront pas prise devant les appels du Pape et des Pères synodaux.
L’exemple des guerres de la République démocratique du Congo(RDC) est, à cet égard,
fort éloquent.
D’une part, les guerres qui déchirent de nombreux pays africains
ont leurs seigneurs locaux, mais aussi, très souvent, leurs parrains étrangers. Elles
prétextent d’être des guerres politiques et idéologiques, mais sont, en réalité, des
guerres des ressources naturelles et d’hégémonie. Assez souvent, le retour de la paix
dépend plus, en règle générale, de la volonté des parrains occultes que de leurs filleuls
qu’ils manipulent à souhait. Les participants au synode devraient s’efforcer de remonter
la filière de nos conflits pour mettre le doigt sur les vrais acteurs qui tirent les
ficelles dans l’ombre en sacrifiant de nombreuses vies humaines. L'Église doit user
de son courage prophétique pour dire ce que les milieux politiques, par exemple, se
refusent de révéler au grand public.
D’autre part, des réseaux maffieux étrangers
et des industries d’armement, agissant en complicité avec des acteurs autochtones,
prennent parfois en otage des populations entières de certaines parties du continent
africain au nom de leurs seuls intérêts égoïstes. Ils organisent le trafic d’armes
et arment les milices pour tuer. De fois, elles poussent leur cupidité jusqu’à fabriquer
des armes pour enfants soldats. L’Afrique des Grands Lacs est témoin de ces horreurs
dont les victimes se chiffrent en millions de morts. Le regard de l'Église africaine
en synode doit également être dirigé vers ces milieux, afin de donner un signal fort
pour que cesse cette barbarie.
L’enjeu économique est sans nul doute le dénominateur
commun des problèmes de justice, de paix et de réconciliation en Afrique (cfr Lineamenta,
n.16). Le synode gagnerait à l’aborder sans froid aux yeux. Le pape Benoît XVI en
a donné le ton dans son encyclique Caritas in veritate. Au regard de la croissance
de la pauvreté en Afrique, il est important que les Pères synodaux approfondissent
la problématique des injustices du nouvel ordre mondial, de la coopération boiteuse
et de l’inefficacité de l’aide. Le changement des règles de jeu dans le commerce mondial
est une nécessité pour que la paix règne en Afrique. Aussi, est-il important que les
Africains, eux aussi, sachent que la pauvreté ne doit pas servir de prétexte pour
justifier la violence. Ils ont intérêt à comprendre que le chemin de la tolérance,
de la justice, de la paix et du dialogue est le plus noble pour honorer la grandeur
de l’homme en toutes circonstances.
En outre, il est de plus en plus notoire
que certaines institutions internationales sont frappées d’inefficacité et de manque
de crédibilité dans leur mission de paix. Il n’est un secret pour personne : les bataillons
de l’ONU envoyés dans les zones des conflits en Afrique ne viennent pas que pour rétablir
la paix. En effet, sans mettre en doute la bonne foi des institutions internationales
qui s’activent pour la paix en Afrique, il faut avouer que des ratés, pour ne pas
dire des échecs, se multiplient. Les compromissions d’ordre moral sont de plus en
plus signalées. La composition même des troupes de la paix envoyées au secours des
populations en conflits reflète un problème éthique qu’on ne saurait escamoter. Il
est utile que le synode adresse une parole prophétique à ces institutions. Certaines
donnent l’impression de compliquer la paix plutôt que de la rétablir.
Il est
également impérieux que l'Église africaine rectifie ses stratégies pastorales de la
réconciliation, de la paix et de la justice. Elle ne peut plus se contenter de faire
fonctionner les Commissions Justice et Paix et de voler au secours des sinistrés de
guerres à travers le réseau Caritas. D’une part, en plus d’organiser des actions de
prévention des conflits, il me semble qu’elle doit marquer, de façon significative,
sa présence prophétique dans les hauts milieux où se prennent les grandes décisions
sur la paix et la justice en Afrique. Elle doit sérieusement envisager sa participation
active aux assises de l’Union Africaine, des associations régionales de politique
et d’économie, des ONG, etc. Par-dessus tout, mieux qu’elle ne le fait déjà, elle
doit activer le plaidoyer et le dialogue pour la paix, la justice et la réconciliation
en direction des grands « décideurs » du monde. Sa voix compte beaucoup. D’autre part,
consciente que l’exploitation des ressources naturelles est de plus en plus le nerf
de la guerre en Afrique, elle doit inclure cette question dans sa pastorale d’ensemble
pour préserver la paix des populations.
En guise de conclusion, le prochain
synode sur l’Afrique est un grand rendez-vous qui marquera sans doute l’histoire de
notre continent. C’est un témoignage de solidarité et de compassion de toute l'Église
à l’égard des populations africaines. Il prononcera une parole forte sur l’Afrique,
qu’on aurait intérêt à traduire en actes. Il est temps que chacun de nous prie pour
son succès et s’engage dans la voie de la réconciliation, la justice, la paix, la
tolérance et le dialogue. C’est la meilleurs façon, pour nous, d’être sel de la terre
et lumière du monde. Et ce n’est pas impossible.
Fulgence MUTEBA MUGALU Évêque
de Kilwa-Kasenga / RDC Président de la Commission épiscopale pour la communication
sociale (CECOS)