Jeudi Saint à Rome : Benoît XVI répète le geste du lavement des pieds
C’est dans la basilique Saint-Jean-de-Latran, cathédrale de Rome, que Benoît XVI a
présidé en ce Jeudi Saint, dans la soirée, la messe in coena domini, qui donne le
coup d’envoi du triduum pascal, sommet de l’année liturgique. Au cours de cette messe,
qui commémore le dernier repas du Christ avant sa passion, le célébrant lave symboliquement
les pieds de 12 personnes, comme Jésus le fit pour ses disciples, afin que chacun
devienne à son tour serviteur. Un geste fortement symbolique que le Pape a reproduit
cette année encore. Le Pape qui a longuement commenté le récit de l’institution de
l’eucharistie. L’eucharistie – a dit Benoît XVI - est amour rendu corporel, elle
ne peut jamais être seulement une action liturgique, elle n’est complète que lorsqu’elle
devient amour dans le quotidien. Nous voulons prier – a encore affirmé le Pape - pour
que nos yeux ne laissent pas entrer en nous les vanités, les futilités et le mal.
Nous voulons prier pour avoir des yeux qui voient tout ce qui est vrai, lumineux et
bon; afin que nous devenions capables de voir la présence de Dieu dans le monde. Prions
pour que nos mains servent toujours plus à porter le salut, à porter la bénédiction,
à rendre présente sa bonté. La quête de cette messe a été faite, cette année, au
profit de la toute petite communauté catholique de Gaza, ce territoire durement éprouvé
il y a 3 mois par une offensive israélienne et que Benoît XVI ne pourra pas visiter
pendant son prochain voyage en Terre Sainte, du 8 au 15 mai. Ce jeudi, l’Osservatore
romano a dénoncé le blocus de l’aide internationale destinée aux habitants de Gaza,
qui devait servir à reconstruire des milliers de vie brisées, à redonner l’espoir
à un peuple blessé par l’horreur de la guerre.
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Lire le
texte intégral de l'homélie du Pape
Chers frères et sœurs,
Qui,
pridie quam pro nostra omniumque salute pateretur, hoc est hodie, accepit panem :
ainsi dirons-nous aujourd’hui dans le Canon de la Messe. « Hoc est hodie » - la Liturgie
du Jeudi Saint insère dans le texte de la prière la parole « aujourd’hui », soulignant
ainsi la dignité particulière de cette journée. C’est aujourd’hui qu’Il l’a fait :
pour toujours, il s’est donné lui-même à nous dans le Sacrement de son Corps et de
son Sang. Cet « aujourd’hui » est avant toute chose le mémorial de la Pâques d’alors.
Mais il est davantage encore. Avec le Canon, nous entrons dans cet « aujourd'hui ».
Notre aujourd'hui rejoint son aujourd'hui. Il fait cela maintenant. Par la parole
« aujourd'hui », la Liturgie de l’Église veut nous amener à porter une grande attention
intérieure au mystère de ce jour, aux mots dans lesquels il est exprimé. Cherchons
donc à écouter de façon neuve le récit de l’institution comme l’Église l’a formulé
sur la base de l’Écriture, tout en contemplant le Seigneur. En premier lieu, il
est frappant que le récit de l’institution ne soit pas une phrase autonome, mais qu’il
débute par un pronom relatif : qui pridie. Ce « qui » rattache le récit entier aux
paroles précédentes de la prière, « … qu’elle devienne pour nous le corps et le sang
de ton Fils bien-aimé, Jésus Christ, notre Seigneur ». De cette façon, le récit de
l’institution est lié à la prière précédente, à l’ensemble du Canon, et il devient
lui-même une prière. Ce n’est pas simplement un récit qui est ici inséré, et il ne
s’agit pas davantage de paroles d’autorité indépendantes, qui viendraient interrompre
la prière. C’est une prière. C’est seulement dans la prière que s’accomplit l’acte
sacerdotal de la consécration qui devient transformation, transsubstantiation de nos
dons du pain et du vin dans le Corps et le Sang du Christ. En priant, en cet instant
capital, l’Église est en accord total avec l’événement du Cénacle, puisque l’agir
de Jésus est décrit par ces mots : « gratias agens benedixit – il rendit grâce par
la prière de bénédiction ». Par cette expression, la Liturgie romaine a énoncé en
deux mots ce qui dans l’hébreu berakha n’est qu’un seul mot et qui dans le grec apparaît
en revanche à travers les deux termes eucharistie et eulogie. Le Seigneur rend grâce.
En rendant grâce, nous reconnaissons que telle chose est un don que nous recevons
d’un autre. Le Seigneur rend grâce et par là il rend à Dieu le pain, « fruit de la
terre et du travail des hommes », pour le recevoir à nouveau de Lui. Rendre grâce
devient bénir. Ce qui a été remis entre les mains de Dieu, nous est retourné par Lui
béni et transformé. La Liturgie romaine a donc raison en interprétant notre prière
en ce moment sacré par les paroles : « offrons », « supplions », « prions d’accepter »,
« de bénir ces offrandes ». Tout cela est contenu dans le terme « eucharistie ».
Il
y a une autre particularité dans le récit de l’institution rapporté dans le Canon
romain, que nous voulons méditer en ce moment. L’Église priante regarde les mains
et les yeux du Seigneur. Elle veut comme l’observer, elle veut percevoir le geste
de sa prière et de son agir en cette heure singulière, rencontrer la figure de Jésus,
pour ainsi dire, même à travers ses sens. “Il prit le pain dans ses mains très saintes…”.
Regardons ces mains avec lesquelles il a guéri les hommes; les mains avec lesquelles
il a béni les enfants; les mains, qu’il a imposées aux hommes; les mains qui ont été
clouées à la Croix et qui pour toujours porteront les stigmates comme signes de son
amour prêt à mourir. Maintenant nous sommes chargés de faire ce qu’Il a fait: prendre
entre les mains le pain pour que, par la prière eucharistique, il soit transformé.
Dans l’Ordination sacerdotale, nos mains ont reçu l’onction, afin qu’elles deviennent
des mains de bénédiction. Prions le Seigneur pour que nos mains servent toujours plus
à porter le salut, à porter la bénédiction, à rendre présente sa bonté! De l’introduction
à la prière sacerdotale de Jésus (cf. Jn 17, 1), le Canon reprend les paroles suivantes:
“Les yeux levés au ciel, vers toi, Dieu, son Père tout-puissant…” Le Seigneur nous
enseigne à lever les yeux et surtout le cœur. À élever le regard, le détachant des
choses du monde, à nous orienter vers Dieu dans la prière et ainsi à nous relever.
Dans une hymne de la prière des heures nous demandons au Seigneur de garder nos yeux,
afin qu’ils n’accueillent pas et ne laissent pas entrer en nous les “vanitates” –
les vanités, les futilités, ce qui est seulement apparence. Nous prions pour qu’à
travers nos yeux n’entre pas en nous le mal, falsifiant et salissant ainsi notre être.
Mais nous voulons surtout prier pour avoir des yeux qui voient tout ce qui est vrai,
lumineux et bon; afin que nous devenions capables de voir la présence de Dieu dans
le monde. Nous prions afin que nous regardions le monde avec des yeux d’amour, avec
les yeux de Jésus, reconnaissant ainsi les frères et les sœurs, qui ont besoin de
nous, qui attendent notre parole et notre action. En bénissant, le Seigneur rompit
ensuite le pain et le distribua à ses disciples. Rompre le pain est le geste du père
de famille qui se préoccupe des siens et leur donne ce dont ils ont besoin pour la
vie. Mais c’est aussi le geste de l’hospitalité par lequel l’étranger, l’hôte est
accueilli dans la famille et il lui est consenti de prendre part à sa vie. Partager
– partager avec, c’est unir. Par le fait de partager une communion se crée. Dans le
pain rompu, le Seigneur se distribue lui-même. Le geste de rompre fait aussi mystérieusement
allusion à sa mort, à son amour jusqu’à la mort. Il se distribue lui-même, le vrai
“pain pour la vie du monde” (cf. Jn 6, 51). La nourriture dont l’homme a besoin au
plus profond de lui-même est la communion avec Dieu lui-même. Rendant grâce et bénissant,
Jésus transforme le pain, il ne donne plus du pain terrestre, mais la communion avec
lui-même. Cette transformation, cependant, veut être le commencement de la transformation
du monde. Afin qu’il devienne un monde de résurrection, un monde de Dieu. Oui, il
s’agit d’une transformation. De l’homme nouveau et du monde nouveau qui prennent leur
commencement dans le pain consacré, transformé, transsubstantié. Nous avons dit
que le fait de rompre le pain est un geste de communion, d’union par le fait de partager.
Ainsi, dans le geste même est déjà indiquée la nature profonde de l’Eucharistie: elle
est agape, elle est amour rendu corporel. Dans le mot “agape” les significations d’Eucharistie
et d’amour s’interpénètrent. Dans le geste de Jésus qui rompt le pain, l’amour auquel
nous participons a atteint sa radicalité extrême: Jésus se laisse rompre comme pain
vivant. Dans le pain distribué nous reconnaissons le mystère du grain de blé, qui
meurt et qui ainsi porte du fruit. Nous reconnaissons la nouvelle multiplication des
pains, qui vient de la mort du grain de blé et qui continuera jusqu’à la fin du monde.
En même temps nous voyons que l’Eucharistie ne peut jamais être seulement une action
liturgique. Elle est complète seulement si l’agape liturgique devient amour dans le
quotidien. Dans le culte chrétien les deux choses deviennent une – le fait d’être
comblés par le Seigneur dans l’acte cultuel et le culte de l’amour à l’égard du prochain.
Demandons en ce moment au Seigneur la grâce d’apprendre à vivre toujours mieux le
mystère de l’Eucharistie si bien que de cette façon la transformation du monde trouve
son commencement. Après le pain, Jésus prend la coupe remplie de vin. Le Canon
romain qualifie la coupe que le Seigneur donne à ses disciples, de “praeclarus calix”
(de coupe glorieuse), faisant allusion ainsi au Psaume 22 [23], ce Psaume qui parle
de Dieu comme du Pasteur puissant et bon. On y lit: “Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis… ma coupe est débordante” – calix praeclarus. Le Canon romain interprète
ces paroles du Psaume comme une prophétie qui se réalise dans l’Eucharistie: Oui,
le Seigneur nous prépare la table au milieu des menaces de ce monde, et il nous donne
la coupe glorieuse – la coupe de la grande joie, de la vraie fête, à laquelle tous
nous aspirons ardemment – la coupe remplie du vin de son amour. La coupe signifie
les noces : maintenant est arrivée l’ « heure », à laquelle les noces de Cana avaient
fait allusion de façon mystérieuse. Oui, l’Eucharistie est plus qu’un banquet, c’est
un festin de noces. Et ces noces se fondent dans l’auto-donation de Dieu jusqu’à la
mort. Dans les paroles de la dernière Cène de Jésus et dans le Canon de l’Église,
le mystère solennel des noces se cache sous l’expression « novum Testamentum ». Cette
coupe est le nouveau Testament – « la nouvelle Alliance en mon sang », tel que Paul
rapporte les paroles de Jésus sur la coupe dans la deuxième lecture d’aujourd’hui
(1 Co 11, 25). Le Canon romain ajoute : « de l’alliance nouvelle et éternelle » pour
exprimer l’indissolubilité du lien nuptial de Dieu avec l’humanité. Le motif pour
lequel les anciennes traductions de la Bible ne parlent pas d’Alliance mais de Testament,
se trouve dans le fait que ce ne sont pas deux contractants à égalité qui ici se rencontrent,
mais entre en jeu l’infinie distance entre Dieu et l’homme. Ce que nous appelons nouvelle
et ancienne Alliance n’est pas un acte d’entente entre deux parties égales, mais le
simple don de Dieu qui nous laisse en héritage son amour – lui-même. Certes, par ce
don de son amour, abolissant toute distance, il nous rend finalement vraiment « partenaire »
et le mystère nuptial de l’amour se réalise. Pour pouvoir comprendre ce qui arrive
là en profondeur, nous devons écouter encore plus attentivement les paroles de la
Bible et leur signification originaire. Les savants nous disent que, dans les temps
lointains dont nous parlent les histoires des Pères d’Israël, « ratifier une alliance »
signifie « entrer avec d’autres dans un lien fondé sur le sang, ou plutôt accueillir
l’autre dans sa propre fédération et entrer ainsi dans une communion de droits l’un
avec l’autre. De cette façon se crée une consanguinité réelle bien que non matérielle.
Les partenaires deviennent en quelque sorte « frères de la même chair et des mêmes
os ». L’alliance réalise un ensemble qui signifie paix (cf. ThWNT II, 105-137). Pouvons-nous
maintenant nous faire au moins une idée de ce qui arrive à l’heure de la dernière
Cène et qui, depuis lors, se renouvelle chaque fois que nous célébrons l’Eucharistie ?
Dieu, le Dieu vivant établit avec nous une communion de paix, ou mieux, il crée une
« consanguinité » entre lui et nous. Par l’incarnation de Jésus, par son sang versé,
nous avons été introduits dans une consanguinité bien réelle avec Jésus et donc avec
Dieu lui-même. Le sang de Jésus est son amour, dans lequel la vie divine et la vie
humaine sont devenues une seule chose. Prions le Seigneur afin que nous comprenions
toujours plus la grandeur de ce mystère ! Afin qu’il développe sa force transformante
dans notre vie intime, de façon que nous devenions vraiment consanguins de Jésus,
pénétrés de sa paix et également en communion les uns avec les autres. Maintenant,
cependant, une autre question se pose encore. Au Cénacle, le Christ a donné aux disciples
son Corps et son Sang, c’est-à-dire lui-même dans la totalité de sa personne. Mais
a-t-il pu le faire ? Il est encore physiquement présent au milieu d’eux, il se trouve
devant eux ! La réponse est : en cette heure Jésus réalise ce qu’il avait annoncé
précédemment dans le discours sur le Bon Pasteur : « Personne ne m’enlève ma vie :
je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, et le pouvoir de la reprendre… »
(Jn 10, 18). Personne ne peut lui enlever la vie : il la donne par sa libre décision.
En cette heure il anticipe la crucifixion et la résurrection. Ce qui se réalisera
là, pour ainsi dire, physiquement en lui, il l’accomplit déjà par avance dans la liberté
de son amour. Il donne sa vie et la reprend dans la résurrection pour pouvoir la partager
pour toujours. Seigneur, aujourd’hui tu nous donnes ta vie, tu te donne toi-même
à nous. Pénètre-nous de ton amour. Fais-nous vivre dans ton « aujourd’hui ». Fais
de nous des instruments de ta paix ! Amen.