Entretien du Père Peter-Hans Kolvenbach à Radio Vatican
Une nouvelle page se tourne pour la Compagnie de Jésus, qui compte 19 000 membres
à travers le monde. Le Pape a en effet accepté la démission du père Peter-Hans Kolvenbach,
80 ans, supérieur général des jésuites, et lundi 7 janvier, 225 jésuites du monde
entier se réunissent à Rome pour élire leur nouveau supérieur général.
Entretien
du Père Kolvenbach à Radio Vatican
1ère question : Lors de la congrégation
précédente, en 95, vous aviez qualifié d’ « étincelle » le lien entre foi et Justice.
Quelle pourrait être l’étincelle de la congrégation qui s’ouvre le 7 janvier ?
Réponse
: L’étincelle de cette congrégation générale sera fatalement le choix du nouveau
supérieur général. En choisissant parmi des milliers de jésuites capables de le devenir,
tel ou tel, la compagnie dit ce qu’elle attend pour son avenir : un prophète sage,
un innovateur ou un modérateur, un contemplatif ou un actif, un homme de pointe ou
un homme d’union ? En effet la congrégation générale commence par une évaluation de
sa situation présente, par un discernement présent de ce qui est lumière dans la compagnie
ou plutôt ombre, dans son service à l’Eglise et au monde. C’est de cette évaluation
de sa situation que doit surgir l’étincelle : voila le jésuite dont nous avons besoin
pour avancer sur le chemin de Dieu.
2ème question : Après le concile
Vatican II l’histoire de la Compagnie de Jésus a été caractérisée par l’engagement
social. Est-il encore aujourd’hui une priorité ?
Réponse : La priorité demeure
mais, mais plus intégrée dans la mission de la compagnie de Jésus. Pastoral et social
ne s’opposent plus : c’est la foi qui nous pousse au nom du Seigneur vers l’autre
vivant dans une condition de misère et d’injustice. Le Seigneur Lui-même s’est rendu
proche de l’homme demi-mort, gisant au bord de la route, vivant ainsi le commandement
toujours vivant de l’amour. Si seulement quelques jésuites accomplissent leur mission
dans le travail social, tous les jésuites sont appelés à vivre pleinement la dimension
sociale inévitablement présente dans tout travail pastoral ou scolaire, dans tout
accompagnement spirituel et en toute évangélisation. Déjà pour les premiers jésuites,
il n’était pas possible de s’appeler compagnon de Jésus sans être ami de ces compagnons
de Jésus que sont les pauvres.
3° question : Certains théologiens catholiques
se plaignent du manque d’autonomie de leur tache vis-à-vis du magistère. Quel regard
portez-vous sur ce rapport ?
Réponse : Le théologien catholique ne s’étonne
pas de ne pas être autonome dans sa recherche et dans sa pensée car l’Eglise elle
non plus n’est pas autonome dans sa foi. Les pères de l’Eglise appelèrent volontiers
l’Eglise : le mystère de la Lune, car toute la lumière dont elle dispose pour éclairer
notre nuit lui vient du soleil. Saint Paul le disait autrement en soulignant qu’il
transmettait ce que lui-même avait reçu. N’empêche, cette tradition de la foi ne
condamne nullement le théologien à copier textuellement la doctrine de l’Eglise. L’Eglise
attend du théologien qu’il transmette la foi comme une réponse vive et vitale aux
hommes en quête de Dieu, à la recherche des solutions aux problèmes que la vie leur
pose. C’est un vrai don de l’Esprit lorsqu’un théologien en pleine fidélité au magistère,
sait illuminer d’une manière personnelle et créatrice les ténèbres de nos tâtonnements
et doutes. Saint Paul demande déjà à l’Eglise d’assurer la foi dans toute son intégrité
sans éteindre l’esprit qui anime le théologien.
4° question : Quelle
inspiration avez-vous pris de votre prédécesseur le Père Arrupe (dont nous avons commémoré
au mois de novembre le centenaire de la naissance) pour guider la Compagnie de Jésus
au cours de ce dernier quart de siècle ?
Réponse : Nous avons appris du
Père Pedro Arrupe un retour aux sources dans la lumière du Concile Vatican II. Si,
selon les pères de ce Concile, une famille religieuse est un don de l’Esprit à l’Eglise,
qu’est ce que le Seigneur à voulu pour son Eglise en suscitant sa compagnie ? A une
époque où l’Eglise était prise par les divisions des chrétiens, et risquait d’oublier
qu’elle était fondée pour annoncer la Bonne Nouvelle aux peuples, saint Ignace et
ses compagnons sont appelés pour continuer la mission du Christ, surtout là où il
n’est pas connu ou mal connu. Dans le Concile, le père Arrupe puisait la force de
questionner tous ses confrères et toutes leurs œuvres pour savoir si tout ce travail
impressionnant était vraiment et clairement de continuer la mission du Christ. Une
mission qui géographiquement parlant n’est nullement achevée et qui, au contraire,
est à recommencer dans des pays de chrétienté. Une mission aussi qui se passe aux
frontières entre foi et culture moderne, foi et science, foi et justice sociale, où
il faut porter la présence de l’Eglise. Pour pouvoir accomplir cette annonce du Christ,
le compagnon de Jésus doit être et vivre en fonction de cette mission, ce qui déjà
au temps de saint Ignace comportait une rupture avec la vie consacrée monastique,
et qui exige encore aujourd’hui une vie qui contemple les mystères de la vie du Christ
en mission et y conforme l’action missionnaire de tous les jours. Voilà ce que le
père Arrupe, comme un véritable prophète du renouveau conciliaire, a essayé de réaliser
par une vie qui demeure une source d’inspiration.
5° question : Le Père
Arrupe a été un prophète du renouveau conciliaire, mais que reste-t-il à faire aujourd’hui
pour mettre en pratique les indications du Concile Vatican II ?
Réponse : La
tâche de mettre en oeuvre les lignes tracées par le Concile Vatican II ne sera jamais
achevée. Elle est sans cesse à reprendre à nouveau, car il ne s’agit pas de changer
ici ou là quelques pratiques dans l’Eglise, mais de faire du neuf en se convertissant,
en changeant son cœur pour se laisser saisir par le cœur de Dieu. Par exemple la reconnaissance
des laïcs dans l’Eglise ne peut pas s’arrêter à la désignation de quelques postes
dans l’organigramme de l’Eglise, mais elle appelle les laïcs fidèles du Christ à assumer
leur mission spécifique dans l’Eglise et pour l’Eglise dans le monde. Cette prise
de responsabilité dans la communion en l’Esprit qu’est l’Eglise, exige une conversion
du cœur. Concrètement les nombreux mouvements ecclésiaux qui sont le fruit du concile,
ne demandent pas une simple inscription, mais le don de soi-même. En choisissant pour
le développement post-conciliaire l’expression : l’herméneutique de la continuité,
le Saint Père dit que la rénovation puisera toujours dans le passé de la vie de l’Eglise
avec son Seigneur qui fait sans cesse toute chose neuve. Nous n’aurons jamais le dernier
mot : il est à Lui qui construit avec nous une terre nouvelle et un Ciel nouveau.
6°
question : Après 24 ans vous aurez à nouveau un supérieur religieux : vous serez
le premier général des jésuites à se trouver dans cette situation (mise à part la
maladie du P. Arrupe). Comment vous préparez-vous à ce changement dans votre vie ?
Réponse
: Saint Benoît savait déjà qu’il devait être à l’écoute de ses confrères, parce
que Dieu pouvait Lui parler par la bouche du plus jeune moine. Après 25 ans d’écoute
d’à peu près 20 000 jésuites, l’obéissance à uniquement un seul parmi eux devrait
être plutôt un temps de paix. Au moins j’espère ne pas être pour lui un fardeau à
porter et à supporter.