RF Et merci d’accorder cet entretien
aux médias du Vatican, réunis pour la première fois : le CTV, l’Osservatore Romano
et R.V.
NS C’est un honneur que vous me faites en m’invitant.
RF Merci
M. le président. Vous avez été reçu par Benoît XVI ce matin. Il y a une semaine
le porte-parole de l’Elysée, en annonçant cette visite, avait affirmé qu’elle était
extrêmement importante. Alors nous aimerions avoir votre sentiment sur cette visite
et si possible, sans indiscrétion, quelques détails sur la teneur de votre entretien.
NS : Elle
est importante parce que le Pape est un chef d’État, le Pape est un chef religieux
et je me sens catholique de tradition et de cœur. C’est une autorité mondiale, spirituelle,
et pour moi c’était une rencontre différente des rencontres avec d’autres chefs d’État.
Il y a une dimension spirituelle, il incarne un message de paix, d’espoir et de réconciliation
qui est utile dans le monde d’aujourd’hui qui est tout entier tourné vers la division,
les affrontements, les incompréhensions. Et puis l’entretien que j’ai eu avec le Pape
était extrêmement chaleureux. C’est un homme de grande culture, un homme intelligent,
c’est un homme qui aime écouter, qui a une grande expérience, à qui on peut parler
franchement et nous avons eu cette conversation.
RF : Est-ce que vous pourriez
nous donner quelques précisions sur l’échange que vous avez eu avec lui ?
NS Nous
avons parlé en détail de la situation au Liban, je lui ai dit combien j’étais attaché
à la notion de diversité dans les pays de l’Orient et du Moyen-Orient. Je lui ai dit
l’importance pour moi des valeurs chrétiennes dans l’histoire de France. Je lui ai
dit combien j’attachais d’importance à la défense, à l’incarnation d’une identité
européenne dans un monde qui ne devait pas s’aplatir devant une seule culture, et
c’était un échange extrêmement libre. Mais je lui ai également dit combien je serais
heureux que nous le recevions en France - indépendamment de la visite à Lourdes, bien
sûr - et combien je serais heureux qu’il vienne à Paris.
JMC Il y a de nombreuses
convergences dans la diplomatie et la politique étrangère de la France et du Saint-Siège.
Le Liban, vous l’avez dit, est une priorité. Avez-vous une proposition concrète pour
sortir le Liban de l’impasse actuelle, est-ce que ça a été un sujet de conversation,
est-ce que vous avez approfondi ?
NS J’ai dit au Saint Père la nature des
échanges que j’avais eus avec les interlocuteurs de la scène libanaise et même avec
le Président syrien. Je lui ai dit également ma préoccupation, le souci qui était
celui de la France que le Liban sorte de cette période d’incertitude pour se rassembler
derrière un Président de consensus. Et je lui ai dit que la France jusqu’à la dernière
minute, jusqu’à la dernière seconde, ferait tous ses efforts pour préserver ce miracle
de la diversité qu’est le Liban.
JMC Y a-t-il, selon vous, une possibilité
d’action conjointe entre la diplomatie du Saint-Siège et l’Église maronite ?
NS D’une
certaine façon, il y en a eu, puisque le patriarche a joué un rôle extrêmement important
en prenant ses responsabilités pour tenter de réconcilier la communauté chrétienne
libanaise. Et par ailleurs la voix du pape est entendue dans le monde entier, et spécialement
au Liban, où il compte de nombreux fidèles.
RF Le Liban mais aussi le conflit
israélo-palestinien. On sait que la France est très engagée dans ce domaine, on l’a
vu encore lundi dernier à la conférence de Paris. Là aussi y a-t-il convergence et
de quels moyens la France dispose-t-elle pour agir dans ce dossier ?
NS À
la Conférence de Paris, nous avions invité le nonce apostolique, Mgr Baldelli, qui
témoignait de la présence de l’Église dans une enceinte où il y avait tant de représentants
de diplomaties d’autres pays. Le Vatican comme la France nous voulons la paix, nous
pensons que c’est le moment de faire la paix autour de deux États, un État palestinien
moderne, démocratique, viable et un État israélien garanti dans sa sécurité. Et j’ai
dit au Pape combien je pensais que c’était maintenant qu’il fallait faire tous les
efforts pour aboutir au résultat de la paix et il m’a semblé qu’il partageait mon
analyse.
RF Vous n’avez pas eu l’occasion de discuter avec lui des moyens
par lesquels passe la paix aujourd’hui dans cette région ?
NS Le pape m’a
dit combien il avait été satisfait des résultats de la Conférence de Paris : 7 milliards
300 millions pour aider à la reconstruction d’un État palestinien moderne. Parce que
la misère fait le lit et le terreau du terrorisme. Par contre ces moyens qui ont été
dégagés à la Conférence de Paris, ça compte. Nous avons également parlé des suites
de cette Conférence de Paris. Le pape s’inquiétait de savoir s’il y aurait d’autres
conférences. Je lui ai confirmé qu’il y en aurait d’autres.
JMC Si vous
voulez, on va passer à la politique intérieure, la France et la laïcité notamment.
En 2004 vous pensiez à une modification de la loi de 1905. À la veille de l’élection
présidentielle, il semblerait que vous ayiez renoncé... c’était dans un entretien
à La Croix.... que vous renonciez à cette modification. Qu’en est-il aujourd’hui,
parce que tôt ou tard, il faudra affronter cette question. Qu’en est-il ?
NS Vous
savez, je suis passionné par la question spirituelle depuis bien longtemps, je ne
suis pas le seul : la vie a-t-elle un sens ? Qu’est-ce qui se passe après la mort ?
Ce sont quand même des questions essentielles, la question spirituelle se pose depuis
que l’homme a conscience de sa destiné singulière. La place des religions, la laïcité
positive, c’est-à-dire une laïcité qui reconnaît à chacun le droit de vivre sa foi
et de la transmettre à ses enfants. Les besoins immenses qui sont ceux des religions
révélées pour s’adapter à la nouvelle réalité française. La France profonde, c’était
la France des campagnes il y a 50 ans. Aujourd’hui, la France profonde c’est la France
des banlieues. Or les lieux de culte sont dans les campagnes où il y a moins de monde
et les banlieues sont devenues des déserts cultuels. Ce n’est pas positif et donc
j’avais imaginé des adaptations nécessaires pour la Loi de 1905. Mais j’ai dit : on
peut ne faire ces adaptations que dans le cadre d’un consensus et c’est autour de
ce consensus que l’on pourra construire d’éventuelles évolutions. Partant du principe
également que je ne souhaite pas un islam en France mais un islam de France. C’est
donc la question d’un islam européanisé, compatible avec les valeurs de la civilisation
européenne et donc c’est pour ça que j’ai créé le C.F.C.M. : voilà les débats que
je souhaite voir prospérer en France. Et nous verrons ensuite s’il y a lieu de faire
telle ou telle modification.
JMC Le pape, vous ne l’ignorez pas, appelle
les laïcs à une visibilité, il demande d’avoir le courage de la différence aux catholiques
d’aujourd’hui. Quelles sont vos convictions profondes sur ce point ?
NS Le
message du Christ, c’est un message très audacieux puisqu’il annonce un Dieu fait
de pardon et une vie après la mort. Je ne pense pas que ce message d’audace extrême
et d’espérance totale puisse être porté de façon mitigée. Il nécessite une grande
affirmation, une grande confiance et je suis de ceux qui pensent que dans les débats
d’aujourd’hui, les grandes voix spirituelles doivent s’exprimer plus fortement.
RF M.
le Président vous avez souvent qualifié de déterminante la place du christianisme
dans la réalité française et, au début de cet entretien, vous l’avez rappelé. Vous
savez que l’Église de France a émis quelques réserves sur certains points de la politique
française comme la maîtrise de l’immigration ou encore sur certains points concernant
la famille et la bioéthique. Il y a quelques craintes concernant l’euthanasie. Alors
quelle place pensez-vous pouvoir accorder dans une République laïque à ces voix de
l’Église.
NS La laïcité, c’est le droit à chacun de vivre sa religion, ses
croyances, et d’espérer. Donc, justement dans la république laïque, des voix religieuses
doivent s’exprimer. Justement parce qu’elle ne sont pas l’État, qu’elles sont séparées
de l’État. C’est justement pour ça qu’elles doivent s’exprimer. Parce que si elles
étaient l’État, elles n’auraient pas besoin d’être garanties dans leur droit d’expression.
C’est justement parce que l’État est laïc, qu’il est indépendant des religions, que
le temporel et le spirituel sont séparés, qu’il est important que, dans le débat,
des voix indépendantes, spirituelles s’expriment. Moi, je suis pour qu’elles s’expriment
mais je ne suis pas pour qu’elles s’expriment pour dire qu’elles sont d’accord avec
ce que je pense. Que l’Église ait un message particulier sur les plus pauvres, sur
ceux qui n’ont rien, sur les immigrés… mais si l’Église ne l’avait pas qui l’aurait ?
Je reconnais le droit à la différence, moi, mais je pense que c’est positif qu’on
s’exprime. Et je souhaite que les grandes religions, y compris la religion de l’Islam
de France, puissent avoir des voix qui s’expriment tranquillement, avec un message
d’amour, un message de paix. Et ça compte pour moi qu’ils puissent s’exprimer. Ça
manque les intellectuels chrétiens, ça manque les grandes voix qui portent dans les
débats pour faire avancer une société et lui donner du sens et montrer que la vie
n’est pas un bien de consommation comme les autres.
RF Et vous pensez que
les décideurs politiques devraient être à l’écoute de ces voix différentes ?
NS
En tous cas je pense qu’on ne doit pas avoir peur d’aller au contact. Quand le
cardinal Vingt-Trois a été créé cardinal, j’ai été moi-même, en tant que président
de la République, lui présenter mes félicitations et lui dire combien c’était positif.
Il ne faut pas avoir peur des religions : personne n’imagine que les religions vont
mettre l’État français sous le boisseau, sous tutelle. Il faut simplement voir les
grands courants religieux comme des témoignages d’espérance. Qu’est-ce qu’un homme
qui croit si ce n’est un homme qui espère ? Et je ne vois pas au nom de quoi l’espérance
serait contraire à l’idéal républicain. D’ailleurs j’ai vu avec plaisir que le Pape
dans son encyclique prenait le thème de l’espérance comme thème premier. Je m’étais
laissé aller à écrire un livre, en 2004, qui s’appelait « La République, les religions
et l’espérance ».
JMC Nous voulons y venir. Si vous
voulez, je vais vous amener en Europe, on va sortir de France. Vous rencontrerez ce
soir M. Prodi et M. Zapatero pour discuter de votre projet d’union méditerranéenne.
Est-ce que vous voulez nous dire quelles seraient les limites de cette union et est-ce
que cette union ne risque pas d’affaiblir l’Union Européenne ?
NS Non. Il
y a 60 ans, cette Europe recluse de souffrances, d’affrontements, de guerres fratricides,
a décidé de s’unir. La question est posée : est-ce que la rive Sud et la rive Nord
de la Méditerranée ne doivent pas s’unir ? Est-ce qu’il n’est pas temps d’arrêter
les souffrances et les oppositions ? Est-ce qu’il n’est pas temps de construire autour
de cette mer Méditerranée qui est notre mer – et je le dis en Italie – une zone de
paix, de faire de la Méditerranée la mer la plus propre au monde ? De créer des sources
d’énergie commune entre le Nord et le Sud, notamment avec le nucléaire ? De créer
une zone de développement, d’assurer la paix et la sécurité ? De réunir ces peuples
qui de toute manière ne changeront pas d’adresse ? Et c’est la grande idée, la grande
vision que j’ai de cette Union de la Méditerranée : rassembler pour faire la paix.
L’Europe s’est rassemblée sur l’acier et sur le charbon dont on avait besoin pour
reconstruire après la guerre. Et bien la Méditerranée doit se rassembler autour de
projets concrets : la paix, le développement, l’écologie, la sécurité, la maîtrise
de l’immigration, le dialogue des cultures.
RF Et bien entendu cette union
concernerait tous les pays du pourtour méditerranéen ?
NS Bien sûr, on est
méditerranéen ou on ne l’est pas... et je ne vois pas comment on peut porter un message
de rassemblement et de paix en excluant tel ou tel.
RF Vous n’ignorez pas,
M. le Président, que certains analystes estiment que ce projet a aussi pour but d’écarter
définitivement la candidature de la Turquie à l’Union européenne ou de lui donner
une autre forme. Est-ce que vous avez l’occasion de parler de votre point de vue concernant
la Turquie et l’Union européenne au Vatican et est-ce que vous pensez que votre point
de vue rejoint celui du Saint-Siège ?
NS Je ne suis pas le porte-parole
du Saint-Siège mais j’en ai parlé bien sûr avec le Saint-Siège. La Turquie n’est pas
en Europe, c’est une réalité géographique. La Turquie est en Asie mineure. Donc il
faut des liens très étroits entre la Turquie et l’Europe. La Turquie c’est une grande
civilisation, c’est un grand État, c’est un grand peuple mais qui n’est pas en Europe.
Nous avons encore en Europe les Balkans : c’est l’Europe ; et par ailleurs la Turquie
est méditerranéenne. Je veux un accord de partenariat entre la Turquie et l’Europe,
le plus intense possible, qui n’est pas une adhésion. Et bien sûr la Turquie, dans
le cadre de l’union de la Méditerranée, a toute sa place : c’est une grande puissance
méditerranéenne, du moins à ma connaissance. Mais cela ne veut pas dire que parce
qu’elle est dans l’union de la Méditerranée, elle ne doit pas être en Europe : elle
ne doit pas être en Europe, de mon point de vue, parce qu’elle n’est pas européenne.
JMC Vous
parliez tout à l’heure de l’espérance. Vous avez écrit en 2004 ce livre : « La
République, les religions, l’espérance ». Le Saint-Père vient de publier sa deuxième
Encyclique justement sur le thème de l’espérance. C’est une belle coïncidence, mais
qu’en dites-vous ? Ce terme d’espérance....
NS ... Ah ! je ne prétends pas
qu’il se soit inspiré de moi... J’en dis qu’il est plus facile d’espérer que d’être
condamné au désespoir. Et que dans le doute, il vaut mieux trouver des raisons d’espérer.
JMC J’aurais
une dernière question, peut-être plus personnelle, mais dans le cadre diplomatique.
La presse quotidienne italienne ou internationale se fait l’écho quotidiennement de
votre diplomatie. Il semble que vous innoviez, en dehors de la diplomatie bilatérale
et multilatérale, et que vous utilisiez une diplomatie qu’ils appellent « de l’émotion ».
Au Vatican, du temps de Jean-Paul II, on appelait cela « la diplomatie du cœur ».
Je pense aux infirmières bulgares, mais je pense à Ingrid Betancourt : en lisant aujourd’hui
le communiqué de presse, je sais que vous avez parlé des otages avec le Saint Père.
Est-ce que vous pensez que cette défense des droits de l’homme n’a pas de prix et
que tout est possible ?
NS La diplomatie du cœur, c’est une belle expression,
mais ce n’est pas parce que c’est de la diplomatie qu’il faut n’y mettre ni sentiment
ni cœur. C’est peut-être pour cela que la diplomatie a si souvent échoué. Et si tout
d’un coup on y mettait du cœur et du sentiment... Moi je suis comme je suis et
j’essaie d’être authentique, sincère, honnête, vrai. Et partant, je ne vois pas comment
on fait de la diplomatie en faisant abstraction de toute forme de sentiment. J’ai
remercié le Saint-Père pour ses prières et son message pour que Ingrid Betancourt
sorte de l’enfer où elle se trouve. Et en ce qui me concerne, je mettrai tous mes
efforts, jusqu’à la dernière seconde, pour qu’elle en sorte. Comme j’ai mis tous mes
efforts pour que les infirmières en sortent. Alors appeler cela de l’émotion... je
plains beaucoup ceux qui n’en ont pas. Parce que sans émotion, on ne fait rien du
pouvoir que le peuple vous a confié. Moi, je veux faire quelque chose du pouvoir qu’on
m’a confié : ce quelque chose, c’est d’être utile.
RF Nous avons une dernière
question. L’avenir de l’Europe est un thème qui tient à cœur au Pape Benoît XVI et
vous me disiez que vous en avez parlé. Est-ce que vous pourriez nous en dire plus
sur cet échange ?
NS L’Europe a franchi une grande étape avec le Traité
simplifié et l’Europe s’est doté d’un groupe des sages. L’Europe doit maintenant mettre
du concret. La France assurera la présidence de l’Europe après nos amis Slovènes,
au 1er juillet 2008. Et la France essaiera de porter l’idée d’une Europe
de l’immigration, d’une Europe de la défense et d’une Europe de l’environnement, c’est-à-dire
d’une Europe qui ait de grandes ambitions en matière de développement durable. Pour
montrer le chemin au monde, il faut que le monde arrête de danser sur un volcan.