2007-10-09 14:37:14

Soeur Emmanuelle, une icône de la solidarité


Une icône de la solidarité pour des millions de français. Elle aura consacré une grande partie de sa vie à venir en aide aux plus démunies. Sœur Emmanuelle va bientôt fêter ses 99 ans. Il y a 37 ans, elle avait quitté l’enseignement pour venir en aide aux chiffonniers du Caire. Aujourd’hui, elle vit dans le Sud de la France une vie de prière, une vie de contemplation à l’approche de la fin de sa vie, une étape qu’elle appréhende avec une grande lucidité. Sœur Emmanuelle se confie à Cécile Desjardins RealAudioMP3


L'entretien de Soeur Emmanuelle avec Cécile Desjardins :
 
Sœur Emmanuelle, comment une femme d’action comme vous vit cette phase plus contemplative de sa vie ?
Evidemment… je ne peux plus courir à travers le monde ou vivre dans un bidonville, ce n’est plus possible… C’est évident, je suis entrée dans une autre phase de ma vie. Mais, moi, j’ai un caractère… je suis toujours contente : où que je sois, et quoi que je fasse. Alors, maintenant, je prie beaucoup, presque toute la journée : je prie pour la Gloire de Dieu, comme on dit dans la messe, et pour le Salut du Monde. Rien que cela. Je chante Dieu. Je chante dans mon cœur. Je ne suis pas du tout malheureuse, bien au contraire, puisque maintenant, j’ai de longues étapes où je peux prier.
Et, quand je suis un peu fatiguée - ce qui m’arrive évidemment assez souvent - je prends tout simplement mon chapelet : le chapelet n’est pas difficile puisqu’on répète des « Je vous salue Marie ». Mais chaque dizaine du chapelet remémore un mystère de la vie du Christ ou de la Vierge. L’imagination peut revoir ces mystères. Depuis que l’Ange a salué Marie en lui disant qu’elle deviendrait la mère de Jésus, quand Marie va voir sa cousine Elisabeth, parce que l’Ange lui a dit qu’elle était déjà à son sixième mois et qu’elle était âgée, alors elle court vite chez elle pour l’aider... Et puis toute la suite, avec les mystères joyeux, c’est-à- dire par exemple Cana, où il n’y avait plus de vin, et où Marie l’a fait reconnaître à Jésus. Et Jésus a fait des miracles : d’avoir beaucoup de vin, des très bons vins, pour que les mariés ne soient pas ennuyés... Et puis on arrive aux mystères douloureux, jusqu’à la crucifixion… Et enfin les mystères glorieux : c’est l’entrée au Ciel, et c’est la joie. Et voilà !


Et ce que c’est la vieillesse que d’avoir du temps pour méditer, pour prier ?
Oui, bien sûr… J’ai beaucoup de temps, et c’est ça qui me ravit le cœur parce que, vraiment, j’ai l’impression d’être plus unie qu’avant à Dieu qui est amour, et plus unie aux hommes et aux femmes sur terre. A ceux que je connais et à ceux que je ne connais pas. A ceux qui souffrent et à ceux qui ne souffrent pas… De sorte qu’il me semble que mon cœur est devenu grand comme l’Océan.


Est-ce qu’aujourd’hui vous pensez plus à la mort qu’avant ?
A la mort ? Ah bien… naturellement, bien sûr. (Rires). La mort, elle peut me tomber tout à l’heure. Mais, tu vois, la mort… elle est belle, la mort. Moi, j’aime beaucoup la parole de notre fondateur, le père Théodore Ratisbonne, qui était un juif converti. Il disait en s’adressant aux sœurs : « Mais, mes sœurs, qu’est ce que c’est que la mort ? C’est le plus beau jour de la vie, c’est le jour où l’enfant tombe dans les bras de son père…, où la jeune épousée retrouve enfin face à face son époux… ».
La mort me ne fait pas peur, mais j’avoue que l’agonie me fait peur : je ne sais pas ce que ce sera, et ça, ce sera plutôt redoutable… Mais cela ne fait rien, je suis prête.
Moi, j’ai toujours prié la Sainte Vierge, en lui disant le chapelet. Je lui ai dit des milliers de fois : « Priez pour nous pauvres pêcheurs, maintenant et à l’heure de notre mort ». Donc je suis sûre qu’Elle sera avec moi au moment de la mort… Et puis on verra bien : ce n’est pas un problème !
La portée de la mort est redoutable pour tout homme sur terre. C’est évident, parce que chacun de nous, nous le savons, nous passerons tous un jour ou l’autre par la mort. Alors, je pense que quand on est sûr qu’il y a un grand amour qui nous enveloppe, quand on est sûr que Dieu nous attend dans son amour, cela donne évidemment à l’idée de la mort une toute autre signification…
De sorte que je peux vraiment dire que ce n’est pas la mort qui m’effraie, c’est évidemment l’agonie, mais je sais que je vais vers un très grand amour : je vais vers la lumière, je vais vers la Gloire, je vais vers l’harmonie et la paix… Donc cela m’aide énormément à ce que finalement, je n’aie pas peur de la mort…
 
Vous avez vu tant de gens mourir… Est-ce que votre regard sur la mort a changé au cours des années ?
Ca, c’était épouvantable… Quand je suis arrivée au bidonville, quatre bébés sur dix mourraient du tétanos… Je n’avais rien : je n’avais pas de médicament, de n’avais pas de docteur, je n’avais pas d’infirmière : je n’avais que mon petit cœur, et les mamans m’apportaient leur bébé mourrant, et je savais que c’était fini…
Et on était dehors parce que dans les cabanes il faisait trop chaud, et nous pleurions ensemble… Et comme je savais que ces femmes ont une foi beaucoup plus grande que la mienne, je disais « écoute bien, regarde dans le ciel les étoiles ». Elles sont belles les étoiles dans le bidonville. « Regarde, ton enfant n’est plus dans tes bras, mais tu vois, il est parti vers le ciel, vers les étoiles, vers Dieu ». Et je voyais cette malheureuse femme qui levait un peu le petit cadavre qu’elle portait dans ses bras et qui levait les yeux au Ciel et qui disait : «  ah oui, il y a habibi - « habibi », c’est « mon chéri » - Tu m’as quittée mais tu as rejoint Maryam – c’est la Vierge Marie -, et tu es heureux... Et moi je pleure, mais cela ne fait rien mon chéri, habibi, tu es heureux… et moi je ne veux plus pleurer ».
Alors tu vois, cela m’a été d’une grande leçon de savoir aller au-delà de la mort, jusqu’à Dieu, et à son amour… dans les éternités des éternités.








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