Homélie du pape de la messe de la Nuit de Noël 2005
«Le Seigneur m’a dit: “Tu es mon fils; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré”». Par
ces paroles du psaume 2, l’Église commence la Messe de la veillée de Noël, dans laquelle
nous célébrons la naissance de notre Rédempteur Jésus Christ, dans l’étable de Bethléem.
Autrefois, ce psaume appartenait au rituel du couronnement du roi de Juda. Le peuple
d’Israël, en raison de son élection, se sentait de façon particulière fils de Dieu,
adopté par Dieu. Comme le roi était la personnification de ce peuple, son intronisation
était vécue comme un acte solennel d’adoption de la part de Dieu, dans lequel le roi
était, en quelque sorte, introduit dans le mystère même de Dieu. Dans la nuit de Bethléem,
ces paroles, qui étaient en fait plutôt l’expression d’une espérance qu’une réalité
présente, ont pris un sens nouveau et inattendu. L’Enfant dans la crèche est vraiment
le Fils de Dieu. Dieu n’est pas solitude éternelle, mais cercle d’amour où il se
donne et se redonne dans la réciprocité. Il est Père, Fils et Esprit Saint. Plus
encore: en Jésus Christ, le Fils de Dieu, Dieu lui-même s’est fait homme. C’est à
Lui que le Père dit: «Tu es mon fils». L’aujourd’hui éternel de Dieu est descendu
dans l’aujourd’hui éphémère du monde et il entraîne notre aujourd’hui passager dans
l’aujourd’hui éternel de Dieu. Dieu est si grand qu’il peut se faire petit. Dieu est
si puissant qu’il peut se faire faible et venir à notre rencontre comme un enfant
sans défense, afin que nous puissions l’aimer. Dieu est bon au point de renoncer à
sa splendeur divine et descendre dans l’étable, afin que nous puissions le trouver
et pour que, ainsi, sa bonté nous touche aussi, qu’elle se communique à nous et continue
à agir par notre intermédiaire. C’est cela Noël: «Tu es mon fils; moi, aujourd’hui,
je t’ai engendré». Dieu est devenu l’un de nous, afin que nous puissions être avec
Lui, devenir semblables à Lui. Il a choisi comme signe l’Enfant dans la crèche: Il
est ainsi. De cette façon nous apprenons à le connaître. Et sur chaque enfant resplendit
quelque chose du rayon de cet aujourd’hui, de la proximité de Dieu que nous devons
aimer et à laquelle nous devons nous soumettre – sur chaque enfant, même sur celui
qui n’est pas encore né. Écoutons une deuxième parole de la liturgie de cette
sainte Nuit, cette fois tirée du Livre du prophète Isaïe: «Sur ceux qui habitaient
le pays de l’ombre, une lumière a resplendi» (9, 1). Le mot «lumière» pénètre toute
la liturgie de cette Messe. Elle est mentionnée de nouveau dans le passage tiré de
la lettre de saint Paul à Tite: «La grâce de Dieu est apparue» (2, 11). L’expression
«est apparue» (est manifestée) appartient au langage grec et, dans ce contexte, dit
la même chose que ce que l’hébreu exprime par les mots «une lumière resplendit»:
l’«apparition» – l’«épiphanie» – est l’irruption de la lumière divine dans le monde
plein d’obscurité et plein de problèmes irrésolus. Enfin, l’Évangile nous rapporte
que la gloire de Dieu apparut aux bergers et «les enveloppa de lumière» (Lc 2, 9).
Là où paraît la gloire de Dieu, là se répand, dans le monde, la lumière. «Dieu est
lumière, il n’y a pas de ténèbres en lui», dit saint Jean (1 Jn 1, 5). La lumière
est source de vie. Mais lumière signifie surtout connaissance, vérité en opposition
à l’obscurité du mensonge et de l’ignorance. Ainsi, la lumière nous fait vivre, nous
indique la route. Mais ensuite, la lumière, parce qu’elle donne de la chaleur, signifie
aussi amour. Là où il y a de l’amour, apparaît une lumière dans le monde; là où il
y a de la haine le monde est dans l’obscurité. Oui, dans l’étable de Bethléem est
apparue la grande lumière que le monde attend. Dans cet Enfant couché dans l’étable,
Dieu montre sa gloire – la gloire de l’amour, qui se fait don lui-même et qui se prive
de toute grandeur pour nous conduire sur le chemin de l’amour. La lumière de Bethléem
ne s’est plus jamais éteinte. Tout au long des siècles, elle a touché des hommes et
des femmes, «elle les a enveloppés de lumière». Là où a surgi la foi en cet Enfant,
là aussi a jailli la charité – la bonté envers les autres, l’attention empressée pour
ceux qui sont faibles et pour ceux qui souffrent, la grâce du pardon. À partir de
Bethléem, un sillage de lumière, d’amour, de vérité, envahit les siècles. Si nous
regardons les saints – de Paul et Augustin, jusqu’à saint François et saint Dominique,
de François-Xavier et Thérèse d’Avila à Mère Teresa de Calcutta – nous voyons ce courant
de bonté, ce chemin de lumière qui, toujours de nouveau, s’enflamme au mystère de
Bethléem, à ce Dieu qui s’est fait Enfant. Dans cet Enfant, Dieu oppose sa bonté à
la violence de ce monde et il nous appelle à suivre l’Enfant. Avec l’arbre de
Noël, nos amis autrichiens nous ont apporté aussi une petite flamme qu’ils avaient
allumée à Bethléem, pour nous dire: le vrai mystère de Noël est la splendeur intérieure
qui vient de cet Enfant. Laissons cette splendeur intérieure se communiquer à nous,
allumer dans notre cœur la petite flamme de la bonté de Dieu; par notre amour, portons
tous la lumière dans le monde! Ne permettons pas que cette flamme de lumière soit
éteinte par les courants froids de notre temps! Gardons-la fidèlement et faisons-en
don aux autres! En cette nuit, dans laquelle nous regardons vers Bethléem, nous voulons
aussi prier de façon spéciale pour le lieu de la naissance de notre Rédempteur et
pour les hommes qui y vivent et qui y souffrent. Nous voulons prier pour la paix en
Terre Sainte: Regarde, Seigneur, cette région de la terre qui, étant ta patrie, t’est
si chère! Fais que ta lumière y brille! Fais que la paix y advienne! Avec le terme
«paix», nous sommes arrivés à la troisième parole-guide de la liturgie de cette sainte
Nuit. L’Enfant qu’Isaïe annonce est appelé par lui «Prince de la paix». On dit de
son règne: «La paix n’aura pas de fin». Aux bergers sont annoncées dans l’Évangile
la «gloire de Dieu au plus haut des cieux» et «la paix sur terre...». Autrefois on
lisait: «...aux hommes de bonne volonté»; dans la nouvelle traduction, on dit: «...aux
hommes, qu’il aime». Que signifie ce changement? La bonne volonté ne compte-t-elle
plus? Posons mieux la question: qui sont les hommes que Dieu aime et pourquoi les
aime-t-il? Dieu est-il partial? Aime-t-il seulement des personnes déterminées et abandonne-t-il
les autres à elles-mêmes? L’Évangile répond à ces questions en nous présentant quelques
personnes particulières aimées de Dieu. Ce sont des personnes précises – Marie, Joseph,
Élisabeth, Zacharie, Siméon, Anne, etc. Mais il y a aussi deux groupes de personnes:
les bergers et les sages de l’Orient, ceux qu’on appelle les rois mages. Arrêtons-nous
en cette nuit sur les bergers. Quelle sorte d’hommes sont-ils? Dans leurs milieux,
les bergers étaient méprisés; ils étaient considérés comme peu fiables et, au tribunal,
ils n’étaient pas admis comme témoins. Mais qui étaient-ils en réalité? Ils n’étaient
certainement pas de grands saints, si par ce terme nous entendons des personnes de
vertu héroïque. C’étaient des âmes simples. L’Évangile met en lumière une caractéristique
qui, par la suite, dans les paroles de Jésus, aura un rôle important: c’étaient des
veilleurs. Cela vaut avant tout dans le sens extérieur: de nuit, ils veillaient auprès
de leurs moutons. Mais cela vaut aussi dans un sens plus profond: ils étaient disponibles
à la parole de Dieu. Leur vie n’était pas fermée sur elle-même; leur cœur était ouvert.
D’une certaine façon, au plus profond, ils L’attendaient. Leur vigilance était disponibilité
– disponibilité à écouter, disponibilité à se mettre en route; elle était une attente
de la lumière qui leur indiquerait le chemin. C’est cela qui intéresse Dieu. Dieu
aime tous les hommes parce que tous sont ses créatures. Mais certaines personnes ont
fermé leur âme; son amour ne trouve aucun accès auprès d’eux. Ils croient qu’ils n’ont
pas besoin de Dieu; ils ne le veulent pas. D’autres, qui peut-être moralement sont
aussi pauvres et pécheurs, souffrent au moins de cela. Ils attendent Dieu. Ils savent
qu’ils ont besoin de sa bonté, même s’ils n’en ont pas une idée précise. Dans leur
cœur ouvert à l’attente, la lumière de Dieu peut entrer et, avec elle, sa paix. Dieu
cherche des personnes qui apportent sa paix et qui la communiquent. Demandons-lui
de faire en sorte qu’il ne trouve pas notre cœur fermé. Faisons en sorte de pouvoir
devenir des porteurs actifs de sa paix – précisément dans notre temps. Chez les
chrétiens, le mot paix a pris ensuite une signification toute spéciale: elle est devenue
un nom pour désigner l’Eucharistie. En elle, la paix du Christ est présente. Grâce
à tous les lieux où se célèbre l’Eucharistie, un réseau de paix s’étend sur le monde
entier. Les communautés rassemblées autour de l’Eucharistie constituent un règne de
paix, vaste comme le monde. Quand nous célébrons l’Eucharistie, nous nous trouvons
à Bethléem, dans la «maison du pain». Le Christ se donne à nous et nous donne avec
cela sa paix. Il nous la donne pour que nous portions la lumière de la paix au plus
profond de nous-mêmes et que nous la communiquions aux autres; pour que nous devenions
des artisans de paix et que nous contribuions ainsi à la paix dans le monde. Prions
donc: Seigneur, réalise ta promesse! Fais que là où se trouve la discorde naisse la
paix! Fais que là où règne la haine jaillisse l’amour! Fais que là où dominent les
ténèbres surgisse la lumière! Fais-nous devenir des porteurs de ta paix! Amen.